Nouvelle écrite par Mohamed Amine MOUMAN et Nino SEILER, élèves de 2nde au lycée Louis Pergaud de Besançon (25) – Classe de Mme Cathy Jurado
Sur le thème : « Droits acquis : la vigilance s’impose pour les préserver »
L’humanité a échappé au grand déclin climatique. Une fragile alliance mondiale a réuni les rescapés et a mis au point avec ses meilleurs scientifiques le dôme. Une oasis au milieu du désert terrestre où des échantillons de ce que furent la flore et la faune s’épanouissent à nouveau. L’eau synthétisée y ruisselle et l’homme y évolue dans sa nouvelle cité comme dans un Éden sous cloche.
Les survivants avaient conscience de leur propre vulnérabilité, de leur part obscure, celle qui les avait amenés au bord du gouffre. Les scientifiques, architectes de ce nouvel écosystème voulurent aller plus loin, mettre au point un monde parfait. Ils se devaient de contrôler la violence qui consume l’humanité depuis toujours.
Ils étudièrent les gènes et plus particulièrement une défaillance au sein de l’ADN déjà pointée du doigt au XXIe siècle et responsable d’une prédisposition à la violence.
Une fois la théorie validée, l’ère post-génétique commença au détriment de l’autodétermination. Je suis un de ces enfants qui dès sa conception se vit classé. Un peu comme s’il y avait le bien d’un côté, le mal de l’autre et entre, rien…
Moi Oshine, je fus déclaré intègre alors que mon frère jumeau Sinhoé défaillant. Nous étions parfaitement identiques physiquement, de vrais jumeaux. La peau mate, les yeux clairs et une chevelure rousse et bouclée héritée de notre mère. Mais notre place au sein de la société serait radicalement différente. J’étais promis à un avenir radieux évoluant librement au sein de la cité alors que mon double serait surveillé continuellement. Chacun de ses faits et gestes seraient épiés et analysés et jamais au grand jamais Sinhoé ne pourrait prétendre à occuper une place importante au sein du dôme de peur qu’il révèle sa part obscure.
Ce fut un véritable déchirement pour nos parents. Ils firent tout ce qu’ils purent pour éviter de nous traiter différemment au sein du foyer mais dès que nous avions passé la porte de notre habitation nous devions faire face aux regards lourds de soupçons des voisins. Il faut dire que les cas dits défaillants n’étaient pas si nombreux mais une loi les obligeait à porter un signe distinctif visible de tous, un bracelet rouge au poignet comme une marque au fer brûlant.
Nous passions le plus clair de notre temps ensemble pour échapper aux surveillances et comme bien d’autres jumeaux nous jouions à être l’autre. Le bracelet passait d’un poignet à l’autre, échangeant ainsi nos destins. Ce simple morceau de cuir avait un effet étonnant. Sinhoé une fois délivré de lui se sentait plus léger, il courait plus vite et son visage était plus lumineux. De mon côté, une fois marqué, je percevais le poids que les autres, même sans le vouloir, faisaient peser sur moi, il y avait la peur qui s’immisçait ; une part honteuse de moi souhaitait que mon frère reprenne son dû.
Nos parents qui nous observaient toujours avec bienveillance connaissaient notre petit jeu. Ils ne s’y opposaient pas, convaincus que cela renforçait nos liens et nous rendait toujours plus solidaires. Au fond d’eux-mêmes, ils se sentaient coupables de ce qui nous arrivait et d’aussi loin que je m’en souvienne, je les ai toujours trouvés un peu tristes même lorsqu’ils nous souriaient.
Sinhoé et moi bouclâmes nos études avec succès. Une fois que nous fûmes diplômés en biologie génétique, le poids de cette société, qui sous couvert de bonnes intentions condamnait avant même de connaître, se fit plus pressant.
On me proposa immédiatement de rejoindre l’administration dans ce qu’elle avait de plus prestigieux, un poste de grand maître au sein de l’université du dôme alors que mon frère se démenait pour tenter de trouver sa place. Les portes se fermaient les unes après les autres. Il ne pourrait enseigner, les défaillants ne le pouvaient pas, il ne pourrait mettre ses talents de généticien au service du département des sciences, il serait tenté de détourner ses recherches au profit d’on ne sait quel dessein malheureux. Ce qui était terrible, c’est que Sinhoé était bien meilleur que moi, ses compétences ne faisaient aucun doute, il avait un don pour créer de nouvelles espèces végétales, plus robustes, plus prolifiques, plus belles…
Je sentais monter en lui un sentiment de révolte et en moi aussi.
Je pris ma place de grand maître, reconnaissant de pouvoir transmettre mon savoir. Sinhoé toujours désœuvré n’hésita pourtant pas à me prêter main forte, en m’aidant à préparer mes cours magistraux, rivalisant d’astuces pour glisser ce petit plus qui permet aux étudiants même médiocres de s’accrocher et de trouver leur voie. Nous discutions ensemble des projets de thèse des doctorants et bien entendu nous n’avions pas perdu le goût du jeu. On ne pourra pas dire que Sinhoé n’a jamais pu enseigner, le bracelet rouge continuait à passer d’un frère à l’autre. Et je dois avouer que je n’étais pas mécontent de rejoindre la ferme expérimentale où mon frère avait fini par trouver un emploi de maraîcher. Le travail de la terre, difficile, fatiguant, me permettait de faire le vide et de fuir les questions qui m’obsédaient. Étions-nous en danger en poursuivant nos jeux d’enfants ? Que pourrait-il nous arriver si nous étions découverts ? Pire encore, qu’arriverait-il à nos parents ?
Ce qui arriva fut bien différent de ce que j’avais pu imaginer. Le laboratoire de l’université mit au point un élixir de production. Malgré des essais concluants et des tests prometteurs, les fruits et légumes étant comme multipliés par miracle, l’effet s’inversa rapidement. Malheureusement, une grande partie des champs du dôme avaient déjà été traités. Les fruits pourrissaient sur les arbres et les légumes se raréfiaient. Une véritable catastrophe si l’on considère que le dôme est le seul lieu encore vivable sur terre et qu’il se devait donc d’être autosuffisant. L’alimentation principale de la population était depuis bien longtemps végétale afin de réduire l’impact écologique désastreux de l’élevage.
Les plus grands scientifiques furent réunis. Je fus invité à me joindre aux recherches. Mes connaissances étaient grandes mais mes capacités en matière de manipulation en laboratoire limitées. Si je n’étais pas gaucher, l’expression « avoir deux mains gauches » aurait été une bonne description de mes aptitudes manuelles. C’est ainsi que Sinhoé prit ma place au labo pour réaliser les études expérimentales alors que je tentais désespérément de décrypter ce qui avait pu théoriquement mal tourner, réfugié dans la cuisine familiale, un bracelet rouge au poignet. Nous savions l’urgence de trouver une solution et en même temps cette courte période fut incroyable. Mon frère et moi, nous nous complétions entièrement, et de cette synergie vint la solution. Il testait mes suppositions me permettant de lui proposer de nouvelles théories qui finirent par s’avérer concluantes.
C’est ainsi que le dôme retrouva son équilibre et que, pour un temps, les scientifiques se contentèrent de soigner la nature plutôt que de la manipuler.
Bien évidemment, je fus convoqué pour recevoir une jolie médaille et tous les honneurs qui vont avec. C’est là que nous avons décidé d’arrêter de jouer. Sinhoé et moi, nous nous devions de faire reconnaître enfin à cette société qu’elle était injuste, qu’elle usait de discrimination alors qu’elle se voulait parfaite. Mon frère était l’exemple vivant de leur erreur et il fallait définitivement enterrer cette théorie génétique défaillante et les bracelets rouges avec.