Nouvelle écrite par Calliste CARTAL, élève de 1e Bac Pro BMA au Lycée professionnel Pierre Vernotte de Moirans en montagne (39) – Classe de Mr Didier Nacache
Sur le thème : « La nature a-t-elle des droits ?»
Pensez-vous pouvoir vivre sans l’odeur des fleurs ? L’odeur du petrichor juste avant que l’on ne devienne réellement actif ? Pensez-vous pouvoir vivre sans le goût sucré des fruits, sans l’espoir d’un jour nouveau, sans ne plus pouvoir toucher un être cher ?
Père, ne t’enflamme pas. Ne me suis pas. Si aujourd’hui, je ne me sens pas capable de vivre sans l’odeur des fleurs, sans ce souffle vibrant qu’est l’espoir, ce n’est pas seulement à cause des autres. Pas seulement à cause des milliards de blessures que l’on m’a infligées. C’est aussi, Père, un peu de ta faute.
Je le sais. Je n’ai pas toujours fait les bons choix. Je me suis entourée de présences toxiques, d’êtres qui ne voyaient pas plus loin que leur propre reflet. J’ai toléré leurs abus. Pire, je les ai laissés croire qu’ils pouvaient modeler mon existence à leur guise.
Je sais aussi que mes erreurs ont fait du mal à ceux que j’aimais. Te souviens-tu, Père ?
Le 8 novembre 1970. Ce jour-là, je suis devenue une force menaçante. Mon cœur battait au rythme du chaos, un chaos né de la tristesse et de l’injustice. Mais, emportée par ma soif de vengeance, j’ai brisé des murs qui n’auraient jamais dû tomber. Tu m’as regardée ce jour-là, non pas avec colère, mais avec une sorte de résignation glacée. Et pourtant, je sais que tu les as vues, ces larmes sur mes joues, ces perles brûlantes que je ne pouvais retenir.
Puis, il y a eu le 26 décembre 2004. Ce jour où mon corps est entré en ébullition. Les douleurs étaient insupportables. Elles irradiaient, emportant tout sur leur passage. Ceux qui ont été témoins de ma colère s’en souviennent encore. Ils ont fui, terrifiés. Et toi, Père, tu n’as fait qu’observer à distance. Un jour, je me suis demandé si tu avais honte de moi. Si ma douleur, si visible, était trop lourde à porter pour toi ?
Et décembre 1999… C’est une plaie qui ne se referme pas. Ce jour-là, j’ai pleuré. Oh, comme j’ai pleuré ! Une partie de moi s’est effacée dans ces sanglots infinis, emportée par un torrent que rien ne pouvait arrêter. Toi, Père, tu disais que c’était temporaire. Que j’en ressortirais plus forte. Mais, dis-moi, comment peut-on reconstruire ce qui a été emporté par les flots ?
Je ne te reproche pas tout, Père. J’ai aussi mes responsabilités. Je me suis abandonnée à mes tempêtes, laissant mes émotions dicter mes gestes. La rage, la tristesse, le désespoir. Ces forces s’entrechoquent en moi, encore aujourd’hui, comme des vagues déchaînées contre une falaise.
Mais toi aussi, Père, tu as contribué à ce chaos. Tu m’as demandé d’être forte, de me tenir droite face aux vents violents. Tu disais que chaque larme était un luxe que je ne pouvais pas me permettre. Mais Père, je ne suis pas faite de roche et de fer seulement ; en moi vivent des torrents, des brises légères, des forêts qui s’enlacent et se déchirent. Comment pouvais-je prétendre à l’immobilité que tu exigeais ?
Je t’en ai longtemps voulu pour ton silence. Pour ces instants où, au lieu de me tendre la main, tu regardais ailleurs. Mais aujourd’hui, je commence à comprendre. Peut-être étais-tu aussi perdu que moi, peut-être que tes propres blessures t’empêchaient de voir les miennes ?
Et pourtant, Père, il est encore temps. Temps de poser des mots là où régnait le silence. Temps de bâtir quelque chose, fragile peut-être, mais vrai. Je veux croire qu’ensemble, nous pourrions réparer ces fissures, même si elles resteront visibles.
Car malgré tout, j’ai encore en moi cet espoir. L’odeur des fleurs, le goût sucré des fruits, la chaleur d’une étreinte… Je veux retrouver ces sensations, Père.
Mais il y a un problème. Mes forces m’abandonnent. J’ai été trop malmenée, trop souvent. Mon souffle s’affaiblit. J’ai tenté de crier, de me débattre, de te faire comprendre que je ne pouvais plus supporter ce poids. Mais tu ne m’as pas entendue.
Ils ne m’entendent pas non plus, ces milliards d’êtres qui me piétinent, qui m’exploitent, qui m’épuisent sans jamais regarder ce que je leur donne. Ils me prennent tout. Mon sang, mes os, mes rêves. Ils ne voient pas mes blessures. Et toi, Père, tu les observes. Tu regardes tout cela, sans intervenir. Pourquoi ?
Dis-moi, Père, jusqu’à quand vais-je pouvoir tenir ainsi ?
Je veux te pardonner. Je veux leur pardonner. Mais, Père, le pardon suffit-il lorsque les blessures continuent de s’ouvrir ?
La voix se brisa un instant, avant qu’une conclusion ne vienne, comme un murmure porté par le vent.
Ils disent que je suis immortelle, mais ils se trompent. Comme tout être, j’ai des limites. Et si je parle aujourd’hui, c’est parce que je suis épuisée. Je suis celle qui abrite, celle qui nourrit, celle qui endure. Mais je n’en peux plus.
Père, je suis la Terre, et je n’ai pas mon mot à dire sur ma propre destinée.