La voix de Vouglans

Nouvelle écrite par Alexis MAUPASSANT et Ambroise VIEL, Elèves de 2nde au Lycée Charles Nodier de Dole (39) – Classe de Mmes Dupont, Lyet et Pageaut

sur le thème : « La nature a-t-elle des droits ? »

 

Jura, été 1967. Le doux bruit des rivières, la tranquillité des forêts et de la faune qui s’y trouve semblaient ignorer l’intense activité des hommes qui préparaient sur les hauteurs de Vouglans une construction titanesque. Les premières machines perforaient déjà le sol. Les habitants du village voisin regardaient avec émerveillement et inquiétude ce projet qui promettait d’inonder une vallée entière pour construire un barrage.

 

Léon Marchand était journaliste à L’Écho Jurassien, un petit journal local. Lorsqu’il fut envoyé sur ces immenses travaux de Vouglans, il s’attendait à écrire un nouvel article sur les succès de l’ingénierie moderne française.

 

Alors qu’il observait les abords du chantier, une vieille femme, Marguerite Dupré, l’interpella. Elle hurlait haut et fort que la nature était vivante, et que personne ne devait toucher à cette splendide vallée.

—  Vous pensez écrire un article sur l’avancée catastrophique de ces travaux, monsieur le journaliste ? demanda-t-elle d’une voix ferme et nerveuse.

— Oui, c’est l’idée. Ce barrage est une grande avancée pour l’électricité du département jurassien.

— Et la vallée ? Et la rivière ? Elles n’ont pas leur mot à dire ?

Léon fut étonné. Il tenta une réponse maladroite sur le progrès, mais Marguerite le coupa avec certitude.

— Écoutez-la, monsieur. La vallée parle. Elle vous demande de l’entendre.

 

Léon ne perdit pas de temps pour écouter et pour constater la magnifique mélodie que cette nature produisait.

 

Au même moment, à Paris, une jeune avocate du nom d’Élise Renaud préparait un dossier. Recrutée par une association environnementale, Les Gardiens de la Nature, elle travaillait sur un concept : attribuer une personnalité juridique à des entités naturelles. Inspirée par des textes et des pratiques indigènes d’Amérique du Sud, Élise voulait faire valoir si la vallée de Vouglans avait des droits fondamentaux : celui d’exister, de ne pas être détruite, et de préserver sa biodiversité.

— Vous êtes folle, lui répétait son patron. Comment convaincre un tribunal que des arbres, qu’une rivière peuvent être des « personnes » ?

Mais Élise n’abandonnait pas. Elle prépara un dossier d’une centaine de pages, mêlant droit civil, écologie et philosophie. Pour elle, Vouglans n’était pas qu’un lieu, c’était aussi un environnement regroupant un écosystème varié. C’était une entité vivante.

Un soir, Léon donna rendez-vous à Marguerite au bord d’une rivière, poussé par la curiosité d’en savoir plus sur cette vallée.

— Vous connaissez la vallée depuis petite ?

— Oui, j’ai grandi et vécu ici toute ma jeunesse. Cette vallée est toute ma vie.

Et pour la première fois, Léon prêta vraiment attention. Il entendit les paroles de Marguerite racontant son histoire liée à la nature dynamique de la vallée.

Par la suite, il décida d’écrire un article, mais cette fois, son ton changea. Il parla de cette vallée qui semblait vivante avec cette variété d’êtres animés qui y habitaient.  » Et si nous pouvions donner une voix à la vallée de Vouglans ? « 

En décembre 1967, Élise parvint à porter l’affaire devant le tribunal administratif de Lons-le-Saunier. Ce procès allait devenir historique et toute la France suivait avec attention cette affaire inédite. Marguerite témoigna, décrivant la vallée comme une entité qu’elle connaissait intimement. Elle parla de la faune, de la flore, des traditions ancrées dans la terre, mais aussi de la souffrance de voir cette vallée menacée.

Mais un des moments les plus marquants fut la plaidoirie d’Élise. Elle se leva devant le tribunal, prête à défendre l’indéfendable aux yeux de la société.

— Nous, humains, avons décidé que la nature nous appartenait. Mais la nature n’est pas notre propriété. La vallée de Vouglans est une entité à part entière, avec son rôle écologique, spirituel et social. Elle a droit à sa propre existence.

Après une semaine d’audience intense et un délibéré qui sembla durer une éternité, le jugement tant attendu fut enfin rendu. Les tensions, palpables dans la salle d’audience, avaient laissé place à un lourd silence. Lorsque le juge prononça la décision, une onde de choc traversa la salle. Au plus grand désespoir des entreprises impliquées dans la construction du barrage et de ceux qui soutenaient le projet, le tribunal annonça que le projet de construction de l’infrastructure était annulé. Le barrage n’aurait pas l’autorisation d’être construit. C’était aux yeux d’Élise et de Léon leur plus grande victoire.

Léon, Élise et Marguerite se retrouvèrent dans la petite maison de cette dernière, non loin de la vallée de Vouglans, en pleine célébration de cette décision historique.

Mais pour eux, ce jugement n’était pas simplement une victoire isolée. Ce n’était pas un verdict banal, ni une simple décision administrative qui effacerait le projet de cartes. C’était un premier pas vers une nouvelle vision du monde, une vision où les écosystèmes, les rivières, les montagnes, seraient traités avec le respect et la dignité qu’ils méritent. Ce jugement marquait le début d’une longue lutte pour que les espaces naturels soient reconnus comme des entités à part entière, dotées de droits et de protections.

Élise, les yeux brillants de détermination, prit la parole, son cœur battant fort, consciente de l’ampleur de ce qui venait de se passer. « Ce n’est que le commencement, » dit-elle. « Aujourd’hui, la vallée de Vouglans a gagné, mais demain, ce seront d’autres vallées, d’autres rivières qui pourront revendiquer leur droit à exister, à être protégées. »

Marguerite, quant à elle, ne pouvait s’empêcher de sourire. Le sourire d’une femme qui avait vu sa terre, son histoire, son identité menacées, mais qui venait d’assister à un moment de justice et de reconnaissance pour cette vallée qu’elle adorait tant.  » Ce n’est pas seulement la vallée qui a gagné, murmura-t-elle, c’est la voix de la nature elle-même. « 

Léon, silencieux pendant un moment, laissa les mots de Marguerite résonner en lui. Cet article qu’il avait rédigé sur la vallée n’était désormais plus qu’un petit chapitre. Une histoire où les hommes, et pas seulement les avocats ou les juges, devraient changer leur manière de percevoir la nature, non plus comme une ressource à exploiter, mais comme un acteur à part entière.

Ce jugement ne se contenta pas de protéger la vallée de Vouglans. Il ouvrit la voie à une réflexion plus profonde sur le statut de la nature dans le droit. C’était un précédent juridique qui permettrait à d’autres citoyens, d’autres défenseurs de la nature de se battre pour des causes similaires. Léon, journaliste à L’Écho Jurassien, savait qu’il avait posé une pierre dans un édifice encore à construire. Il rêvait d’une loi qui interdirait des projets de destruction, qui préserverait les droits des espaces naturels.

Cette loi, encore loin d’être adoptée, semblait cependant aujourd’hui plus possible que jamais. Elle deviendrait un symbole mondial, un modèle à suivre pour les pays du monde entier. Si la vallée de Vouglans pouvait être protégée, pourquoi pas les forêts amazoniennes, les récifs coralliens ? « C’est une victoire pour tous les êtres vivants de notre planète, » ajouta Élise, son regard tourné vers la vallée qu’ils venaient de sauver.

Les jours suivants, les journaux locaux et nationaux firent écho à la décision. Pour beaucoup, c’était un événement sans précédent. La bataille juridique avait été résolue, mais elle ouvrait des horizons nouveaux, aussi bien pour la justice que pour l’écologie.  De plus en plus de voix s’élevaient pour soutenir l’idée que la nature méritait des droits, des protections légales qui pouvaient, à l’avenir, être étendues à d’autres régions du monde.

Léon, une fois de plus, se sentit emporté par l’ampleur de ce qui venait de se passer. Il n’écrivait plus simplement des articles. Il participait à un mouvement, à une révolution silencieuse mais profonde.  » Vouglans n’est pas une fin en soi, se dit-il. C’est le début d’un nouveau chapitre. Un chapitre où la nature n’est plus un simple décor, mais un protagoniste, une partenaire de l’humanité. »

Aujourd’hui, le lac de Vouglans, qui n’a jamais vu le jour grâce à la décision historique du tribunal, reste une vallée préservée. Ses forêts denses et ses rivières limpides abritent une faune et une flore exceptionnelles. Les habitants de la région y voient un symbole de résistance et un trésor naturel à protéger.

La vallée est devenue un lieu de visite pour les amoureux de la nature et un exemple pour ceux qui veulent défendre l’environnement. Des sentiers serpentent entre les arbres centenaires, et les rivières continuent de chanter, libres et sauvages. La vallée de Vouglans n’est plus seulement un paysage : c’est un témoignage vivant d’un combat gagné pour la nature.

Le retour à la vallée de Vouglans, cet endroit qui avait failli disparaître, serait désormais pour Léon un symbole, un lieu de mémoire. Mais plus encore, ce jugement marquait un point de départ, un moment clé dans une lutte sans fin pour la reconnaissance des droits de la nature.