Mon Eldorado s’appelle France

Nouvelle écrite par Maeilys CHETORY HENINE

sur le thème « Vers un accueil équitable de tous les migrants »

 

Je m’appelle Amir Hossein. Je suis afghan. J’ai 14 ans. Depuis 2021, les talibans ont repris le pouvoir, imposant à nouveau leur idée très stricte de l’islam. Ma mère Alya m’a toujours dit que mes sœurs Amina 12 ans, Yasmina 10 ans et moi avions beaucoup de chance d’avoir vu le jour après les années noires où la musique, la danse, la peinture, le droit de regarder ou d’approcher une femme autre que sa mère ou sa sœur étaient interdits et passibles de mort. Mon père Naim, instituteur a été assassiné car il a tenu tête aux talibans qui interdisaient aux filles d’aller à l’école.  Je me suis retrouvé du jour au lendemain chef de famille, devant nourrir ma mère et mes deux sœurs. Pour quelques afghanis, j’enroulais les ficelles des cerfs-volants. Cette tradition qui consiste à livrer des batailles dans le ciel se soldant par la rupture du fil de l’adversaire permet à des milliers d’afghans de survivre, notamment les femmes ayant perdu leur mari pendant la guerre. C’est également un moyen qui permet aux amoureux de communiquer puisque l’homme dessine un cœur sur le cerf-volant et le fait voler au-dessus de la demeure de l’élue de son cœur. Malheureusement, les talibans ont interdit cette tradition sous prétexte qu’elle éloignait les hommes de leurs obligations religieuses. Ainsi, nous sommes passés d’un repas par jour à un repas par semaine d’où la décision de quitter le pays.  Ma préoccupation première était de savoir comment sortir de l’Afghanistan sans un sou. Heureusement, je me suis rappelé Pierre, militaire français qui s’était lié d’amitié avec mon père. Ce dernier parlant couramment français et anglais servait d’interprète aux militaires français. A cet effet, je me suis rendu immédiatement au camp et Pierre a réussi à convaincre ses supérieurs de nous faire quitter le pays car il était dangereux de nous y laisser alors que mon père avait travaillé pour eux. 

Je suis monté dans un avion pour la première fois de ma vie le cœur serré car je quittais mon pays natal sans être sûr de pouvoir y revenir un jour avec ma mère et mes deux sœurs, mais le cœur léger car j’allais vers l’Eldorado français : terre d’asile où tout est possible. Pendant tout le voyage, je me remémorais les paroles de mon père au sujet de la France :  pays des droits de l’Homme, de la laïcité, du vivre-ensemble, de l’égalité des chances… A un moment donné, ma mère et mes sœurs, les yeux pleins de larmes, se sont mises à chanter La vie en rose d’Edith Piaf comme un hymne à l’espoir., J’ai tiré de mon sac à dos mon seul bien, le livre de chevet de mon père les cerfs-volants de Kaboul en version française et j’en ai lu quelques passages à voix haute aux militaires français. Pierre glissa dans mon livre un bout de papier en guise de marque page sur lequel il nota son numéro de téléphone.

Nous voilà atterrissant à Paris à l’aéroport d’Orly. On nous a immédiatement dirigés vers un bureau rattaché à la Direction générale des étrangers et des réfugiés. On s’est retrouvés devant un bureaucrate en chemise blanche qui nous a dévisagés des pieds à la tête, qui ne nous a même pas invités à nous asseoir ni même proposé un verre d’eau à ma mère alors qu’elle était au bord de l’évanouissement, et qui a haussé le ton sur mes sœurs parce qu’elles avaient touché ses bibelots sur son bureau. Il les a d’ailleurs immédiatement désinfectés avec une lingette. Puis, il s’est adressé à nous avec un ton hitlérien et dédaigneux nous demandant de décliner nos noms, prénoms, nationalités et âges. Alors que faute de passeports, je lui avais tendu un document remis par les autorités militaires françaises lui expliquant les raisons de notre présence sur le territoire français, il a poursuivi son interrogatoire sur le même ton avec un air suspicieux. Il nous a demandé si la mort de mon père était due à sa participation à la guerre. Si moi-même, je n’avais pas été un enfant soldat. Si j’avais l’intention de mettre une bombe ou de lancer une Fatwa ou de couper une main tout cela sur un ton ironique. Comme j’étais le seul à m’exprimer, il a sous-entendu que j’empêchais ma mère et mes sœurs de lui répondre alors que tout simplement elles ne parlaient pas français. Enfin, il a décroché son téléphone et a demandé à une certaine Marie de venir nous réceptionner tout en précisant qu’il fallait prévoir un passage aux douches et des vêtements civilisés.  On s’est retrouvés arpentant le couloir d’un centre d’hébergement d’une association d’aide aux réfugiés avec des centaines de personnes de toutes nationalités. Marie nous a indiqué la chambre de ma mère et de mes sœurs ainsi que la mienne et s’est volatilisée. Quinze jours se sont écoulés durant lesquels nous avons été livrés à nous- mêmes, sans aucun signe de Marie. Heureusement que dans ces centres d’hébergement, l’entraide entre réfugiés et immigrés est le mot d’ordre, ce qui nous a permis de nous alimenter, de nous laver et de nous tenir au courant de ce qui nous attendait.

Un beau matin, elle est venue enfin nous chercher pour effectuer nos démarches administratives, notamment notre demande d’asile. Elle nous a également fait passer à mes sœurs et à moi-même des tests de connaissances pour évaluer notre niveau et prétendre à une inscription à l’école. De nouveau, on est sans nouvelles de Marie. Des mois s’écoulent et avec eux, on assiste au départ, sans compréhension, de dizaines de familles de nationalités ukrainiennes dans des appartements, leurs enfants scolarisés à l’école, les parents avec un travail, des allocations… et nous toujours au même endroit, essayant de tuer le temps comme on peut. Plus le temps se fait long, plus on se pose des questions et on commence à perdre espoir. En effet, j’avais remarqué qu’on se démenait pour les nationalités dont la religion était catholique et dont le physique était de type caucasien. Pour preuve, les Ukrainiens avaient bénéficié, pendant leur séjour au centre d’hébergement, de cours de français pour s’intégrer plus vite, pour trouver du travail, pour aller à l’école, ainsi que de facilités pour leurs démarches administratives et pour l’attribution des aides et des allocations, contrairement aux Erythréens, aux Syriens, aux Iraniens… de confession musulmane ou de type méditerranéen. Pour ceux-là, j’avais constaté que c’était le parcours du combattant et c’était bien évidemment mon cas. J’étais conforté dans mon idée surtout avec les échanges que j’avais eus avec certains immigrés et réfugiés, notamment, Idir, un réfugié algérien qui est dans le centre depuis plus d’un an et qui a fui son pays à cause de son orientation sexuelle. En effet, dans un pays musulman, l’homosexualité est passible de mort. De plus, Tanios, un réfugié syrien de confession musulmane ayant quitté son pays avec femme et enfants pour cause de guerre, m’a avoué être là depuis six mois. Tous, à l’unanimité, soutiennent qu’ils aimeraient fuir le centre d’hébergement à la première occasion, s’ils en avaient la possibilité et les moyens. C’est pour ça que j’avais décidé de prendre le taureau par les cornes et de sortir ma mère et mes sœurs de là. Un soir, on a profité du changement de service de gardes pour s’enfuir avec pour seule richesse les quelques pièces d’euros récoltées auprès de mes camarades de fortune. Il faisait un froid de canard. Il neigeait à gros flocons. On ne sentait plus nos mains et nos pieds mais cela ne nous avait pas empêchés d’apprécier notre liberté même si on ne savait pas où on allait.  Tout à coup, nous voilà devant une cabine téléphonique où nous nous sommes abrités. Je n’en avais vu qu’en photo et c’est dire que je ne savais pas comment ça marchait. J’ai décroché le combiné, j’ai entendu un bruit dont j’ai appris des années plus tard qu’il s’agissait de la tonalité. Ayant vu une vieille dame passer devant, je l’ai interpellée et elle m’a expliqué avec des yeux ébahis devant mon ignorance et un grand sourire, qu’il fallait mettre des pièces de monnaie dans le trou et former un numéro de téléphone.

Je n’aurais jamais imaginé que le « Allô » de Pierre allait changer ma vie et celle de ma famille. Je lui dois tout, notre nouvelle naissance, notre salut. Ce soir-là, à minuit, Pierre est venu nous chercher en voiture et nous a conduits chez lui. Sa femme et ses enfants nous ont accueillis à bras ouverts. On a dormi dans de vrais lits et par-dessus tout, on s’est sentis considérés. Choqué par notre mésaventure au centre d’hébergement, Pierre nous a accompagnés à la Direction Générale des Etrangers et des Réfugiés et a dénoncé le comportement raciste des deux agents qui furent immédiatement sanctionnés. Ce jour-là, j’avais compris que la France n’était pas un pays raciste   mais que certains Français par ignorance et par peur de l’autre étaient racistes.

 

Grâce à l’intervention de Pierre et à la bienveillance du haut-fonctionnaire de la Direction Générale, nous avons obtenu dans un court délai notre carte de réfugiés. Je me suis mis à rêver d’un véritable avenir pour moi ainsi que pour mes sœurs et ma mère. Pour ma part, devenir cardiologue après des études de médecine, pour Médecins Sans Frontières. Pour mes sœurs Amina et Yasmina, devenir avocates défendant les droits des immigrés et des réfugiés au sein d’associations humanitaires et pour ma mère, devenir assistante maternelle après avoir appris la langue de Molière.

Pour remercier la France de nous avoir accueillis et assimilés, nous avons tous pris la nationalité française.