Exode – Histoire de deux destins

Nouvelle écrite par Yohanes Aboya, Abduljalil Al Hussein, Ashraf Armani, Bafode Doumbouya, Siaka Fofana, Junior Samini Taku, Oumar Traore et Abdulkhalil Wakily

sur le thème « Vers un accueil équitable de tous les migrants « 

 

5 mars 2021

Je m’appelle Sidiki. J’ai 16 ans. J’habite près d’Atâr en Mauritanie. Je dois partir.

5 mars 2022

Je m’appelle Oleg. J’ai 15 ans et demi. J’habite à côté de Kiev en Ukraine. Je dois partir.

Sidiki – 6 mars 2021

Hier soir, en rentrant à la maison, le voisin m’a prévenu que la police militaire était descendue et avait tué mes parents. Je suis effondré. Il dit qu’ils me cherchent moi aussi. Je panique, je ne peux pas retourner à la maison. Il m’accueille pour la nuit et me donne à manger. Je pleure. Je n’arrive pas à dormir, j’ai peur. Le matin très tôt, je pars sans rien dire à personne, tout seul, juste avec mes habits et chaussures aux pieds, sans rien à manger ni à boire.

Oleg – 6 mars 2022

Ce matin je pars ; la ville est sous les bombes. Mon immeuble a été en partie détruit et mon père qui est militaire veut que je sois en sécurité. Il m’a préparé un sac avec des provisions, mes papiers et un téléphone portable.

Je pars avec d’autres habitants, nous sommes nombreux, jeunes, vieux, enfants. Nous devons traverser la rivière sur un pont improvisé. Quelques planches en bois posées sur les restes des piliers. Il bruine. En aidant une femme avec son enfant, je glisse et je tombe à l’eau. Mon téléphone, mon sac et mes papiers : tout est emporté par le courant. Je me retrouve sans rien. Mon pantalon et mes chaussures sont trempés. J’ai envie de pleurer mais je dois me dépêcher pour être pris sur le camion qui nous emmènera à la frontière polonaise.

Oleg – 7 mars 2022

Il fait froid sur le plateau du camion. Quelqu’un me donne une couverture qui me réchauffe un peu. Nous sommes serrés les uns contre les autres, mais je grelotte quand même. Le froid et la peur m’empêchent de dormir. Le camion roule toute la nuit, c’est mieux pour éviter les barrages des chars russes. Le matin, on arrive à la frontière polonaise. Les derniers kilomètres à pied m’épuisent beaucoup.

Sidiki – 1er juillet 2021

Cela fait plusieurs semaines que je marche dans le désert. Je veux rejoindre le Maroc. J’ai rencontré d’autres personnes qui font la même route que moi. Ils viennent du Mali, du Burkina, de la Côte d’Ivoire. On parle bambara et on partage le peu qu’on a. On va d’un campement à l’autre. Il faut faire attention, être discret, il y a des djihadistes, c’est dangereux.  Ensemble, nous arrivons au Maroc et un groupe d’hommes nous montre les bateaux pour traverser la Méditerranée.

Sidiki – 2 octobre 2021

En Espagne nos chemins se séparent, trop dangereux de rester ensemble et se faire arrêter par la police. J’ai faim, je dois absolument manger quelque chose.

Je cherche la gare, je veux prendre un train pour aller en France. Je parle un peu français, ce sera plus simple pour trouver de l’aide. J’ai une boule au ventre, j’essaie d’être calme, surtout ne pas attirer d’attention. Soulagement, pas de contrôleurs. Mais le train s’arrête à la frontière, il ne va pas plus loin. J’observe autour, cette nuit, ça sera dehors, comme toutes les autres. J’ai faim et pas d’argent.

Oleg – 8 mars 2022

Juste derrière la frontière, il y un centre d’accueil et une famille polonaise propose de m’héberger quelques jours. Je peux me reposer, laver mes habits, manger, être au chaud. A la télé, je vois des images de gens comme moi, partis d’Ukraine, nous sommes nombreux, il y a même un grand-père qui n’a pas voulu laisser son chat, alors il le porte sur le chemin. On dit que les trains sont gratuits pour nous les Ukrainiens, ici en Pologne, et dans d’autres pays aussi.

J’aimerais bien aller en France, ma mère aimait tout ce qui était français, m’en parlait souvent, les baguettes et Notre-Dame et la Tour Eiffel ! Elle rêvait de voir Paris ! J’étais petit à l’époque mais j’en rêvais moi aussi. Je décide donc de partir là-bas. 

Sidiki – 5 octobre 2021

En cachette, je monte dans un train. Pas de chance, avant de pouvoir m’enfermer aux toilettes, un contrôleur m’interpelle. J’essaie d’expliquer comme je peux, mais il me signale à la police parce que je n’ai pas de billet. La police me reconduit à la frontière. Je me cache dans les montagnes. J’ai affreusement faim et froid. Je décide de traverser la frontière à pied.

Oleg- 15 mars 2022

Comme j’ai perdu mes papiers, on est allé à la police pour faire le constat et recevoir un récépissé. Maintenant je peux partir. J’ai regardé l’itinéraire et les horaires, le voyage va être long. Avec un peu de chance je pourrai traverser l’Allemagne et monter dans un train qui va en France. Le train est gratuit, heureusement, car tout mon argent est parti avec mon sac.

Dans le train, le contrôleur demande un billet que je n’ai pas. Il ne comprend pas mon anglais, alors je lui montre le papier provisoire. Il me donne un billet. Ouf ! Il m’emmène dans un autre compartiment où je rencontre une famille ukrainienne. Ils partagent leur repas avec moi. En discutant avec eux, j’apprends qu’ils vont à Avignon, une ville dans le sud de la France. Ils proposent de me prendre avec eux. Pourquoi pas ?

Sidiki – 25 octobre 2021

J’arrive dans un petit village, c’est enfin la France. Je ne sais pas où aller, mais l’église est ouverte et j’y vais pour me reposer. Je m’endors. Tout à coup, je sens une main sur mon épaule et j’entends une voix. Une vieille dame. Elle m’emmène chez elle, me donne à manger, un lit et un peu d’argent. Le lendemain, elle me dit d’aller à la police dire ce qu’il m’est arrivé, qu’ils m’aideront, je suis encore un enfant. A la police, ils me disent d’aller au Centre pour mineurs dans la ville voisine. Il est déjà tard et finalement ils m’y déposent en voiture. Le responsable du Centre m’installe dans une pièce pour la nuit. Il m’apporte un repas, me dit de prendre une douche, me donne une couverture et des habits propres. De l’autre côté, j’entends des voix ; il y a du monde qui joue et discute, mais je n’ai pas le droit d’y aller.

Sidiki – 26 octobre 2021

Le matin, j’ai rendez-vous avec un responsable qui me demande mes papiers et une photo. Mais je n’ai ni papiers ni photo, je suis parti en catastrophe de chez moi, il y a très longtemps déjà me semble-t-il. Le responsable me dit que je ne peux pas rester ici, qu’il faut des papiers. Je me retrouve à nouveau dehors, tout seul.

Sidiki – 27 octobre 2021

Je cherche la gare. Je dois partir ailleurs, mais je ne sais pas où. Je monte dans un train en faisant semblant d’être cool. En vérité, une boule de nerfs se serre dans mon ventre. Il faut tenir, mais je n’en peux plus.

Le train se met à rouler, je ne sais pas où il va, peu importe. Je crains de me retrouver face à un contrôleur. Je m’assois à côté de la porte et je guette. Une heure passe, la suivante aussi, la troisième. Puis le train ralentit, on arrive dans une gare. Je vois le contrôleur venir dans ma direction. Dès que le train s’arrête, je saute du wagon et cours pour sortir de la gare. Là, je m’arrête, je ne sais même pas où je suis. Je tremble. Je vois deux jeunes noirs qui me font signe. Je vais vers eux, ils me demandent : « Ça va mon frère ? » Je suis épuisé et j’ai envie de pleurer. « Viens avec nous, on connaît » Je les suis.

Oleg – 16 mars 2022

Sur le quai de la gare, un couple d’Ukrainiens nous attend, ils nous saluent chaleureusement. Ils ont un logement et il y a de la place pour nous aussi. Ils appellent l’association de l’amitié franco-ukrainienne pour leur annoncer notre arrivée. Ils vont nous aider. 

Il y a dans la ville un service d’aide pour les jeunes sans famille et l’association m’y accompagne. Je suis pris en charge, le manque de passeport ne pose pas de problème. Je peux rester. Je suis entouré d’autres jeunes de mon âge. Le service contacte l’Ambassade d’Ukraine pour demander un passeport pour moi.

 Et la grande nouvelle : lundi je vais aller au lycée. J’ai un peu peur, je ne parle pas du tout français, juste un peu anglais. 

 

Sidiki – 15 février 2022

Maintenant, je vais bien. Les deux copains de la gare m’ont amené dans une association, j’habite avec eux, il y a plein d’autres jeunes d’Afrique et même un qui parle peul comme moi. Je me sens apaisé. Avec les bénévoles de l’association je peux parler. J’ai vu un médecin, je me repose, je discute, je prends quelques cours de français. Et le plus important, ils m’aident à avoir des papiers et font toutes les démarches avec moi pour que le service des mineurs accepte mon dossier. C’est difficile et très long.

 

Sidiki – 21 mars 2022

9h05

Aujourd’hui, c’est le grand jour : je vais pour la première fois à l’école. Je suis content et j’ai honte en même temps. Christian, le bénévole de mon association m’accompagne. Heureusement qu’il est là, le bâtiment est si grand et j’ai peur de me perdre dans les couloirs. On s’arrête devant une porte au premier étage, et là, je vois un autre garçon qui attend. Il ne vient pas d’Afrique. Lui aussi est accompagné par quelqu’un. Christian frappe à la porte et une enseignante nous ouvre. Elle fait un signe aux bénévoles, sourit et s’adresse à moi et à l’autre garçon : « Bienvenue !  Entrez ! » Je m’assois avec lui à la table de devant, à l’entrée.

La classe s’arrête de travailler ; ils sont une quinzaine, plutôt des garçons, j’aperçois aussi trois ou quatre filles. Madame leur demande de se présenter ; l’un après l’autre ils disent bonjour et aussi leur nom et le pays d’où ils viennent. Et nous faisons pareil à notre tour…

9h10

Je m’appelle Sidiki Diallo, je viens de Mauritanie.

Je m’appelle Oleg Zawsenko, je viens d’Ukraine

Nous sommes arrivés.