Nouvelle écrite par Clotilde JUIF, élève de 1ère au lycée Claude-Nicolas Ledoux de Besançon (25) – Classe de Mme Mélanie Potevin
Sur le thème : « Les discriminations : sources de violence ?»
« À ma professeur de français de français de seconde, Madame Prieur, sans qui cette nouvelle n’aurait pu exister »
Le soleil afghan se reflétait sur la fenêtre de sa petite chambre, en cette chaude après-midi du mois de mai. Assise par terre, Maryam, ajustait son voile intégral noir, le regard perdu. Depuis ses neuf ans, ce geste répété, appris par sa mère, faisait partie de son quotidien. Son visage d’ange était marqué par les dernières années de souffrance. Elle qui ne rêvait que de liberté se voyait contrariée par les décisions des dirigeants de son pays. Depuis le retour des Talibans au pouvoir, l’année de ses treize ans, la vie de Maryam avait basculé dans un monde où chaque mouvement, chaque parole étaient scrutés. Elle se souvenait de l’époque où l’école était encore un lieu autorisé, où elle courait les cheveux dans le vent, rêvant d’explorer ce monde si grand. Mais tout cela était terminé. Ses journées ne tournaient désormais qu’autour du ménage et de la cuisine.
Elle pensait souvent à son amie d’enfance, mariée de force à l’âge de dix ans, se demandant à quoi ressemblerait sa vie si elles avaient eu le même destin. Maryam était la cadette d’une fratrie de quatre enfants, tous des garçons avant elle. Chacun de ses frères avait quitté la maison familiale un par un, pour poursuivre ses études dans une autre ville. Mais la disparition tragique de ses parents, dans un accident de voiture, avait bouleversé sa vie. Désormais, elle vivait sous l’autorité de son oncle. Privée d’un enseignement dans le supérieur, pourtant accordé à ses frères, Maryam restait enfermée dans ces quatre murs nuit et jour. Elle passait ses journées à accomplir des tâches domestiques, écoutant les voix graves des hommes dans le salon, préoccupés par la situation politique du pays. Elle aurait voulu elle aussi prendre part à ces discussions, crier haut et fort qu’elle étouffait dans cette cage de silence et de soumission, mais tout cela lui était interdit. Dans sa société, aucune femme ne pouvait contester sous peine de détention. Alors, elle ravalait sa colère et son désespoir, espérant qu’un jour, enfin, elle pourrait s’exprimer, libre et forte, comme les hommes autour d’elle. L’adolescente avait malgré tout un seul et unique rêve : fuir, s’échapper de cette maison devenue une prison, disparaître de cette capitale oppressante, mais surtout quitter ce pays où la loi la tenait captive simplement à cause de son sexe. Elle rêvait de faire des études de droit et de devenir avocate, animée par le profond désir de défendre les plus vulnérables et de donner une voix à ceux qui n’en avaient pas. Mais elle savait au fond d’elle qu’elle ne devait pas espérer.
Sa vie semblait déjà tracée. Une bonne épouse, telle était la seule et unique place que la société lui réservait. Alors, chaque soir, cachée sous sa couette et éclairée par la lumière de la lune, elle écrivait dans son carnet secret regroupant ses plus grands désirs : « Comment m’échapper de cette vie ? ». Elle savait que si son oncle Amir venait à découvrir l’existence de ce journal intime, de terribles sanctions s’abattraient sur elle.
Un jour, alors que Maryam profitait d’un moment de tranquillité, elle reprit l’écriture de son journal. Installée sur son matelas posé directement sur le sol, elle voyait les pages se remplir peu à peu de mots tracés à l’encre noire. Écrire dans ce carnet était son seul moyen de s’exprimer. Dans ce pays, toute forme de contestation ou de pensée féminine contre l’État était réprimée, au risque d’être arrêtée et soumise à des tortures physiques et morales. Elle laissait son esprit vagabonder, rêvant d’un avenir où elle serait enfin respectée pour ce qu’elle était. Alors qu’elle touchait presque à la fin de son écriture quotidienne, un coup résonna à la porte de sa maison. Pressée d’ouvrir avant que son oncle ne vienne la rappeler à l’ordre, elle oublia de cacher son journal. Elle laissa la porte de sa chambre entrouverte et se rendit rapidement vers l’entrée. Son oncle, Amir, n’avait pas remarqué qu’elle s’était précipitée, et, furieux que Maryam ne réponde pas à son « devoir », il se leva brusquement de son fauteuil. Il entra dans la chambre d’un pas décidé, criant : « Dois-je te rappeler ton rôle dans cette maison ! ». Mais il s’interrompit soudainement.
Les yeux fixés sur l’objet de couverture bleue et rouge, Amir comprit de suite. Une rage extrême l’envahit. Le secret de Maryam était découvert, elle ne pouvait plus rien faire contre cela. L’oncle se jeta sur le journal, découvrant les pensées de sa nièce rêvant de liberté. Son regard se durcit à mesure que les mots se succédaient. Chaque phrase défaisait les règles qu’il imposait. Le journal n’était pas seulement un simple recueil de pensées : c’était un acte de rébellion. Maryam revint en direction de sa chambre, alors qu’un silence assourdissant régnait dans la maison. La jeune fille sentit que quelque chose d’inhabituel se passait : les voix de la télévision s’étaient tues, les oiseaux dehors ne chantaient plus, seule sa respiration accélérée s’entendait. Son corps longeait les murs en terre, se faisant le plus discret possible. Arrivée devant sa porte de chambre, l’adolescente n’avait jamais ressenti une peur aussi intense en elle. A son tour, elle comprit la situation. Réalisant qu’elle s’était précipitée pour aller ouvrir à sa voisine, elle n’avait pas caché son journal sous son matelas comme à son habitude. Pétrifiée dans l’encadrement de la porte, elle le vit. Son oncle était là, face à elle. Raidi au milieu de la pièce, Amir ne prononça aucun mot. Maryam attendait le moment où il exploserait de colère. Mais rien ne se passa. Ces secondes d’attente lui paraissaient une éternité. Soudain, il laissa le journal tomber sur le sol et s’avança jusque devant la jeune fille. Il l’attrapa brusquement par le bras, lui chuchotant : « Tu vas voir ce qu’on fait aux filles comme toi ».
Deux semaines s’étaient écoulées depuis que son oncle avait découvert son journal. Depuis ce jour, Maryam vivait enfermée dans la cave sombre de la maison, emmenée de force et privée de tout contact avec le monde extérieur. La petite pièce semblait se refermer un peu plus sur elle à chaque instant. Les murs humides dégageaient un air suffocant, tandis que l’obscurité pesante amplifiait son isolement. Son oncle lui permettait de sortir une heure par jour, mais uniquement pour accomplir les tâches ménagères indispensables. Ses mouvements étaient lents et douloureux, son corps affamé et meurtri par les coups qu’Amir lui infligeait chaque jour. Il avait même abusé d’elle à plusieurs reprises. Alors que Maryam était à l’étage supérieur pour son heure de sortie, son oncle l’avait laissée seule dans la cuisine. C’était la toute première fois qu’Amir n’était pas sur son dos, inspectant ses moindres faits et gestes. La jeune Afghane profita de ce moment opportun pour déambuler dans la maison qu’elle n’avait pas revue depuis son enfermement. Les pièces lui paraissaient si grandes. Passant devant sa chambre, elle s’étonna de voir qu’elle était ouverte. Elle s’avança avec précaution mais s’immobilisa tout de suite quand son regard se posa sur l’objet qui lui manquait tant. Son journal intime. Il était là, posé sur le sol, là où elle l’avait précipitamment abandonné. La jeune adolescente avait rêvé de le retrouver. Elle se rapprochait à petits pas de ce carnet si précieux. Alors qu’elle se baissait pour le ramasser, Amir surgit de nulle part avec une voix ferme : « Qui t’a autorisée à venir ici ? ». Maryam sursauta de peur et se retourna face à lui, le regard baissé. A cet instant précis, la jeune fille savait qu’elle n’y survivrait pas. Son oncle n’accepterait jamais cette désobéissance. Un coup violent arriva dans le visage de Maryam. Le coup de trop. Elle perdit connaissance et se réveilla plusieurs heures après dans la cave. Elle aurait voulu se battre pour sa vie, mais son corps était déjà mort depuis longtemps. Maryam ferma les yeux une ultime fois, laissant s’échapper dans son dernier souffle ses rêves, ses espoirs et sa liberté.