Nouvelle écrite par Maria UNGUREANU, élève de 2nde au lycée Louis Pergaud de Besançon (25) – Classe de Mme Cathy Jurado
Sur le thème : « La nature a-t-elle des droits ? »
Autrefois, les Arbres et les Humains s’affrontaient.
Les Humains les tranchaient pour se chauffer durant les rudes hivers, pour construire des maisons solides, ainsi que pour manger leurs fruits. Tandis que les Arbres, eux, désiraient sans cesse étendre leur territoire, ancrer leurs racines plus profondément dans le sol, toujours plus proches de leurs habitations.
La guerre fut féroce. Les Arbres tombaient sous les coups des haches, faites de leur propre bois. Tandis que les Humains pliaient genou devant les pluies de sève et d’épines.
Le Chaos est l’état naturel des choses. Mais les Humains ont besoin d’un cadre pour s’épanouir, ce que la nature ne peut respecter puisqu’elle reprend toujours ses droits.
Ainsi, la guerre n’en finissait plus.
Loin des conflits, dans une prairie ensoleillée se trouvait un olivier centenaire. Près de lui, une petite cabane abritait une jeune femme. L’olivier et elle semblaient vivre en harmonie : elle se nourrissait de ses fruits, se servait de ses branches cassées pour s’abriter. À son tour, elle le protégeait des vents violents qui menaçaient de le briser, des pluies de grêle qui trouaient ses feuilles et des insectes qui infestaient ses fruits.
Pour la première fois, la cohabitation était possible.
Au même moment, les Humains battaient en retraite devant la violence des Arbres. Ils s’enfuirent jusqu’à apercevoir cet olivier et pensèrent à venger leurs frères et sœurs tombés durant les batailles.
Arrivés devant l’arbre, stupéfaits par une humaine pactisant avec l’ennemi, ils l’interpellèrent : « Comment oses-tu prendre soin de l’un d’entre eux après le mal qu’ils nous ont fait ? »
La femme, qui avait toujours vécu au contact de l’olivier, ne comprit rien. Elle entreprit de leur expliquer qu’ils s’étaient rendus plus forts, qu’ils avaient bâti un monde où ils vivaient ensemble.
Les Humains tombaient des nues. Ils avaient toujours été si persuadés que les Arbres étaient fautifs, qu’ils en avaient oublié l’origine même de la guerre : les Arbres n’avaient fait que riposter.
De nouveau, ils se rapprochèrent petit à petit des forêts. Les bruits des haches et des branches cassées avaient cessé. Les Arbres étaient infestés par les insectes et les Humains les soignèrent. Les fruits qu’ils donnèrent ensuite ne furent que plus sucrés et juteux, les pommes plus rouges, les glands plus nombreux.
Humains et Arbres commencèrent à comprendre qu’il s’agissait là d’un échange équivalent : pour chaque chose prise, devait en être offerte une de la même valeur. Chaque branche contre de l’eau, chaque fruit contre des soins.
Mais les échos de la guerre restaient en mémoire, et Humains comme Arbres désiraient des garanties.
La communication ne fut pas simple, mais ils se mirent d’accord pour créer un parlement dans lequel on ne chercherait qu’une vérité : celle de la paix entre les Humains et les Arbres. Chaque décision votée par les Humains devait d’abord être expérimentée. Les Arbres récompenseraient ou non les Humains en fruits ou branches pour manifester leur approbation.
La première décision qui fut prise par le Parlement fut de conférer le droit de vivre aux Arbres. Ce droit leur donnait la possibilité d’avoir une existence propre, de ne plus être abattus au profit des êtres humains.
Petit à petit, les hivers furent moins froids pour les Humains qui se chauffaient de leur bois, et les étés moins secs grâce aux fruits rafraîchissants. Cependant leur expansion devenait presque invasive. Alors, le Parlement confia aux Arbres une zone où ils auraient le droit de prendre racine et de prospérer comme leur nature les invite à faire.
L’harmonie régnait, dans un monde équilibré où la terre fertile ressemblait au paradis terrestre. Printemps, été, automne, hiver. Les paysages colorés se succédaient. Le vent frais apportait toutes sortes d’odeurs florales. Le soleil illuminait les sapins imposants et les vieux pommiers, les chênes robustes et les amandiers blancs.
Les deux communautés vivaient en paix désormais. Non seulement ils se respectaient, mais ils étaient devenus alliés. Si bien que le Parlement accorda aux Arbres un droit si fondamental que la distinction entre Arbres et Humains devint floue. Le troisième droit fut d’accorder la personnalité juridique à tout arbre qui collaborait avec les êtres humains. Ainsi fut créé l’EDEN, « l’Equilibre Durable Envers la Nature ». Cette institution garantissait les droits des êtres humains. Elle maintenait l’égalité entre les populations.
Après la mise en place du droit de prendre racine, les Arbres se sont naturellement dispersés dans les zones qui leur conviendraient le plus. Les amandiers ont migré vers le Sud pour chercher le soleil. Les chênes se sont tournés vers l’Est, étant l’espèce la plus résistante pour faire face aux vents violents. Les pommiers ont recherché la douceur de l’Ouest, où se trouve un climat d’automne propice à leur fructification. Au Nord, où le froid accable même le plus courageux des Hommes, les sapins ont pris place.
La répartition des Arbres était ainsi faite que les Hommes se sont divisés en factions. Les Hommes du Nord sont devenus des experts dans la confection de charpentes. À l’Est, les bucherons s’alliaient avec les arbres afin d’extraire une certaine quantité de bois permettant de chauffer tous les abris des humains. Au Sud, on récoltait les fruits des amandiers, nécessaires à une alimentation riche. De même qu’à l’Ouest, les pomiculteurs fournissaient les fruits à l’entièreté de la population.
Dès lors, il s’était mis en place une économie humaine durable, où les Arbres trouvaient leur compte dans la mesure où les êtres humains devenaient experts des Arbres qui les entouraient. Mais ce semblant d’économie fit planer une ombre sinistre sur la communauté. Les Humains s’étaient toujours reposés sur l’idée d’échange équivalent : prendre le nécessaire et rendre la même chose.
Alors l’économie corrompit certains cœurs humains, qui ne virent plus les Arbres comme un moyen d’assurer une vie confortable, mais comme celui d’accumuler un maximum de biens.
L’EDEN n’eut pas directement connaissance de cette corruption qui proliféra dans chacune des factions. Les Arbres, qui eurent pour seule volonté de rendre service aux humains, s’affaiblirent par leur division. Et les Humains avares de toujours plus de profit en tiraient profit. Ils érigèrent des murs immenses de manière à séparer le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest. Les Arbres n’étaient plus soignés : les plus faibles déracinés et remplacés, les plus fructueux pressés jusqu’à la sève.
Le mal étant incrusté dans la nature des Hommes, l’EDEN ne put plus rien contre cette surexploitation. Elle ne put que constater la déchéance du Parlement.
L’exploitation massive des arbres et leur remplacement instantané en cas de faiblesse eurent raison des sols, devenus secs et infertiles et ouvrirent la porte aux parasites. Pourtant, les êtres humains ne souffraient pas encore de la situation, bien au contraire, elle ne faisait que s’améliorer pour eux. Les meubles luxueux, les banquets de roi, les feux de joie étaient devenus la norme. Mais une seule question restait en tête pour l’EDEN : « Pour combien de temps ? ».
Au bout de quelques années, les premiers effets commencèrent à se ressentir : les fruits étaient moins goûteux, le bois brûlait plus vite. Mais qu’importe, il suffisait d’en produire plus. Ainsi l’exploitation fut encore plus forte, car, pour maintenir une qualité de vie avec de moins bons produits, il en faut plus.
Puis les inégalités firent leur apparition, les factions du Sud et de l’Est prirent le dessus sur les deux autres. Les besoins en meubles luxueux devinrent secondaires lorsqu’ils furent opposés au besoin de se nourrir. La famine s’installait chez les Hommes. Comme ils ne pouvaient apporter quelque chose de même valeur, les échanges équivalents cessèrent.
L’hiver approchait peu à peu mais le bois manquait. Le froid se manifesta à nouveau. Les sols étaient si secs que les eaux ne coulaient même plus. La faim s’étendait sur tout le territoire des humains, qui se retrouvèrent face à face avec la nature qu’ils avaient vaincue, mais à quel prix ? Les êtres humains étaient seuls au milieu d’une terre morte, au milieu des immenses murs qu’ils avaient érigés eux-mêmes, comme s’ils avaient construit leur propre prison.
Désespérés, ils réunirent leurs forces pour abattre l’un des murs. Dehors, ils découvrirent une nature hostile bien plus indépendante, qui se portait mieux que lorsqu’elle collaborait avec eux. Ils marchèrent de longues journées afin de se mettre à l’abri. Les quelques êtres humains se réunirent pour tenter de comprendre comment ils en étaient arrivés là : les Arbres avaient été inoffensifs et voilà qu’ils étaient à nouveau la raison de leur malheur. Aveuglés par la colère d’avoir perdu le confort au détriment de la nature, ils ne saisirent pas tout de suite qu’ils étaient les architectes du mur qu’ils avaient heurté.
Le lendemain matin, ils reprirent la route et arrivèrent dans une prairie familière, quoique qu’un peu changée, pour les plus anciens d’entre eux. La femme, devenue vieille, était toujours là.
Le groupe n’en crut pas ses yeux, il n’y avait plus simplement un arbre, mais une forêt était sortie du sol. Cette vue les laissa bouche bée. Le silence prit place, puis le vent dans les branches : on n’entendit plus que le chant des oliviers.
Ils s’approchèrent de la vieille femme, qui comme toujours s’occupait de ses oliviers. Ils se rendirent compte qu’elle avait toujours eu peu, mais n’avait jamais manqué de rien.