Justice !

Nouvelle écrite par Ilhyana ALIXANT FUTIN, élève de 3e  au collège Victor Considérant de Salins Les Bains (39) – Classe de Mme Élodie Grange

Sur le thème : « L’IA, risque pour les libertés individuelles et collectives ?»

 

La pluie battait les trottoirs depuis quatre jours et l’eau, dégringolant des auvents en inox, formait des rivières sombres semblant prêtes à m’engloutir à chaque pas. J’avançais dans la rue difforme, la rue unique. Sa singularité était due au fait que c’était ici qu’étaient regroupées les dernières petites boutiques tenues par des êtres de chair, de sang …et d’âme. « Quel malheur que, parmi la quinzaine de boutiques encore debout, tous les commerçants aient atteint un âge si avancé que, dans une dizaine d’années, il ne restera plus rien de notre bonne vieille rue Madrigues », m’avait dit M.Crande, le potier, l’autre jour. J’arrivai devant une porte vitrée sur laquelle était écrit en lettres rouges « Le p’tit canon d’la vie ». Je l’ouvris, et, avant même que la clochette ne sonne, Mme Arlad me lança de derrière son comptoir : « Quelle rabasse ! Pas vrai mon grand ? ». Mme Arlad était une petite femme aussi fine qu’un pied de verre à vin mais qui avait une énorme tête, parfaitement disproportionnée avec le reste de sa personne. Elle semblait avoir avalé deux melons tant ses joues étaient gonflées et, au-dessus de sa figure empourprée, étaient déposées de petites boucles noires. Elle appelait tout le monde « mon grand » ou « ma grande », et nul ne savait pourquoi. Nous étions seuls. Je commandai un petit fût de son Spécial et m’enivrai jusqu’à la fermeture, elle dut même me mettre à la porte. Je pris le chemin du retour en titubant.

 

J’arpentais la grande rue quand je remarquai un drone de surveillance et je dis à voix basse : « C’est bien à ça que les Hauts-Cons sont doués : garder les moutons dans le moule et butter les anomalies, avec leurs foutus robots humanoïdes. Leur véritable talent est d’emmerder leur soi-disant monde parfait et de planquer leurs conneries derrière les grosses entreprises. Et ces gens si stupides ne réalisent même pas qu’ils ne sont que des 1 et des 0 dans leurs programmes de conquête. »

 

A force de zigzaguer et avec mes sens d’ivrogne, je finis par me cogner la tête dans un réverbère. Je portai la main à mon crâne et c’est là que j’entendis des cris et des coups provenir de la ruelle adjacente. Je m’approchai et découvris un spectacle sanglant. Un homme était debout et tenait un lambeau de vêtement jaune d’une main, et de l’autre, un bout de tôle rouillée qui devait sûrement servir de couvercle à l’une des poubelles de l’étroit passage, avant bien sûr de servir de machine de mort : à gauche de l’homme, de la chair en charpie maculée de sang, que la pluie diluait, gisait sur le sol. J’aperçus un bout de chemisier jaune sortir des restes de la femme que j’avais reconnue. L’homme se tourna et c’est là que j’identifiai le jeune homme si gentil, si généreux, si altruiste que l’on voyait sur les affiches électorales au bras de la femme toujours vêtue d’un chemisier jaune. C’était elle, par terre. Et sur le visage d’ordinaire bienveillant du politique s’affichait à présent un sourire de fierté carnassière. Je me souvins qu’un automate humanoïde patrouillait une rue plus loin. Je reculai doucement, sans bruit, quand mon pied heurta une poubelle et le bruit résonna comme les cloches d’une cathédrale. Il se retourna complètement face à moi et me regarda, ébaubi. Nous restâmes là, à nous dévisager durant un certain temps. La pluie ruisselant sur les tôles et les bouteilles en verre formait une mélopée qui, seule, venait rompre le silence pesant de la scène.

 

Je me décidai alors à aller chercher secours auprès de l’automate. Je lançai à l’homme une bouteille dont je m’étais saisi, fis volte-face et m’élançai dans la rue en cherchant des yeux la fameuse machine. Je pense que l’agresseur comprit mon plan car il se mit à me poursuivre. La pluie avait enfin cessé. Nous courions dans les flaques restantes. Un bruit presque continu provenait des remous et des clapotis à nos pieds. L’homme gagnait du terrain. Je repérai le robot, je m’élançai et distançai mon concurrent.

 

J’arrive à l’engin et appuie sur le bouton des urgences : « Un meurtre a été commis et l’assassin me poursuit ! ». « Monsieur, veuillez libérer la ligne pour des urgences », me dit la voix d’androïde. « Mais c’est une urgence, bordel ! ». L’automate humanoïde me plaqua au sol et dit au meurtrier : « Ne vous inquiétez pas monsieur le député, l’individu menaçant a été appréhendé. Excellente journée. » Et je vis l’assassin de ma sœur s’en aller tranquillement, à pas sûrs, les mains maculées de sang. Voilà toute l’histoire telle qu’elle fut, monsieur le juge. »

 

Le système automatisé déclara : « Monsieur Pierre Tarnille, le tribunal vous condamne à dix ans de prison puis à cinq ans de camp de rééducation pour état d’ébriété sur la voie publique, critique en vers le Saint Gouvernement, dégradation de réverbère, agression, diffamation, insulte à agent dans l’exercice de ses fonctions, assassinat… »