Nouvelle écrite par Chloé ESMINGEAUD, Margot PERUFFO et Elisa HEMIDY, élèves de 3e au collège Georges Pompidou, Claix (38) – Classe de Mmes PAIN et LASBLEIZ
sur le thème « Les discriminations : source de violences ? »
Samedi 28 novembre :
Je m’appelle Rica et je suis une perruche pas comme les autres. Je vis en Amazonie avec ma famille et toute notre tribu de perroquets. Si je commence ce journal, c’est parce que je me sens seule et que j’ai besoin de me confier. Le problème c’est que je n’ose parler de mon secret à personne, j’ai peur des réactions.
Matin du dimanche 29 novembre :
Aujourd’hui, c’est un jour spécial, mon petit frère fait son premier vol. Comme pour tous les perroquets, on fête cette réussite le soir en famille.
Après la fête :
Je leur ai avoué mon secret parce que je ne pouvais plus le garder pour moi, c’était trop lourd à porter. Laisse-moi te raconter. Pendant la soirée, j’ai eu droit à la question insupportable de mon oncle : « Alors les amours ? Tu t’es enfin trouvé un super compagnon de vol ? ». Un long silence s’est installé où je n’ai pas su quoi répondre. Il fallait que je leur dise. Alors je me suis levée et j’ai annoncé d’une voix timide et incertaine : « J’aime les perruches ». Il y a eu de nouveau un silence insoutenable. J’ai senti que tout le monde était mal à l’aise. Je me suis assise puis tout à coup mes grands-parents se sont levés et ont dit qu’ils préféraient s’en aller.
Je regrettais déjà mes paroles. Quelques secondes après, mon oncle les a imités. De quel droit je me permettais de gâcher la soirée de mon petit frère ? Je me sentais tellement coupable. Nous n’étions plus que cinq autour de la table : mes parents, mes frères, ainsi que moi. Dès que nous sommes arrivés chez nous, dans notre nid familial, l’ambiance a été glaciale. Mes parents et mes frères ne m’ont pas adressé la parole et m’ont ignorée toute la soirée jusqu’au lendemain matin.
Lundi 30 novembre :
On est lundi matin, c’est jour de cours. Je n’ai aucune motivation pour aller au lycée mais ma mère m’y oblige et j’ai la sensation qu’elle ne veut plus me voir chez elle.
Le soir :
Mon cher journal, aujourd’hui c’était épouvantable. Je n’ai même plus d’appétit. Voilà ce qui s’est passé : au lever du soleil, quand je suis arrivée devant notre lycée, un vieux laboratoire abandonné, entouré de lianes et d’arbres, j’ai eu des frissons de peur. Et si tous les oiseaux du lycée étaient au courant ? Dès que j’ai franchi le portail, tous les regards se sont tournés vers moi. J’ai immédiatement compris qu’ils le savaient. Oui, tous mes camarades savaient que j’étais lesbienne. Ils me pointaient du bec, me fuyaient. Même mes amis m’ont évitée quand j’ai essayé d’aller leur parler.
J’ai alors couru me réfugier dans le coin d’un arbre où je pouvais me retrouver seule. J’ai pleuré pendant longtemps jusqu’à ce que le maître perroquet jase que c’était l’heure d’aller travailler. J’ai donc rejoint la salle de cours. La journée est passée lentement. Mes camarades n’ont pas arrêté de rire de moi. Je les entendais. Je me suis alors demandé qui les avait mis au courant.
Aucun d’entre eux n’était à la fête dimanche. C’était forcément quelqu’un de ma famille qui les avait informés. Donc, obligatoirement mon frère. C’était le seul qui était au lycée et le seul qui aurait pu me trahir comme cela. Il ne savait pas tenir son bec. Il répétait toujours tout ce qu’on lui disait. C’était insupportable. Quand je suis rentrée chez moi, personne ne m’a parlé de toute la soirée. Seulement ma mère qui m’a ordonné d’aller me coucher. J’ai compris alors qu’elle avait honte de moi. Me voilà à écrire car je ne trouve pas le sommeil. J’attends donc que les heures passent.
Mardi 1 décembre :
Je suis encore forcée d’aller en cours. Je te raconterai ma journée en rentrant.
Le soir :
Je viens de passer la pire journée de ma vie, c’était atroce. Je me retrouve à écrire ces lignes, seule dans la forêt. Je t’explique : le matin, quand je suis arrivée au lycée, deux amis de mon frère m’ont attaquée, m’ont déplumé les ailes. Je ne leur ai jamais adressé la parole. J’ai rapidement compris qu’ils avaient fait ça car j’aimais les femmes et que cela leur déplaisait. Ils ne voulaient pas accepter que je sois différente, alors que j’essayais juste d’être moi-même. Je ne suis donc pas allée en cours. J’ai passé la journée seule à me cacher dans un arbre, à m’indigner de l’injustice de cette vie.
Lorsque je suis rentrée chez moi à l’heure prévue, histoire que mes parents ne se rendent compte de rien, mon frère était déjà à la maison. Il les avait informés de ce qu’il s’était passé le matin même. Alors ma mère et mon père, pris de gêne, m’ont jetée à la porte. Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient plus me revoir ! Alors je suis partie, emportant avec moi seulement mon journal. Il ne faisait pas encore nuit. J’étais à la recherche d’un abri où me loger, au moins pour une nuit. Mais je ne savais pas où aller De toute façon, tout le monde me détestait ici. J’avais beau chercher, mais rien en vue. J’ai alors survolé l’immense forêt tropicale où j’ai trouvé refuge dans un mini bananier. Je me retrouve donc à écrire sans avoir aucune idée de mon lendemain.
Mercredi 2 décembre :
Mon cher journal, je suis réveillée depuis déjà quelques heures à cause d’une pluie extrêmement violente. Je me sens tellement faible. J’ai mal partout et je n’ai pas mangé depuis plus de deux jours. J’ai envie de disparaitre, personne ne se soucie de moi.
Jeudi 3 décembre :
C’est décidé, je ne veux plus vivre. Je ne sers à rien. Je suis inutile. A quoi bon rester en vie si je peux m’en aller ? De tout façon personne ne remarquera ma disparition. Alors, je n’ai plus qu’un mot à te dire : adieu.
Après-midi du 3 décembre :
Me revoilà, je ne suis pas morte, je suis vivante. Je t’explique : après les dernières phrases que j’ai écrites, je me suis avancée près d’une falaise très vertigineuse. C’était très glissant après le déluge. J’ai volé jusqu’au sommet du rocher. Je suis restée plusieurs heures là-haut. J’ai attendu, afin de regarder une dernière fois le paysage. Puis j’ai fini par sauter. Je me suis laissée tomber, et je n’ai pas déployé mes ailes. La chute a duré plusieurs secondes jusqu’à ce que j’atterrisse en bas. Après ça, le trou noir. Je ne me rappelle plus rien.
Je me suis réveillée il y a déjà quelques minutes dans un nid inconnu. J’ai un bandage autour de l’aile et elle me fait très mal. Je me la suis sûrement cassée pendant ma chute. À mon réveil, tu étais là, à côté de moi. J’ai alors décidé de prendre la plume pour t’écrire car j’entends du bruit pas loin. C’est sûrement le propriétaire du nid. Mais je n’ose pas l’appeler, j’ai peur. Et si je le connaissais, se moquerait-il de moi ? Je ne vais pas rester ici à attendre. Il faut que je sache qui c’est.
Le soir :
Pour partir à sa recherche, j’ai alors sautillé de branche en branche, le plus doucement possible afin de ne déranger personne. En sautillant, j’ai remarqué que mes pattes avaient elles aussi été touchées par cette immense chute. Je sentais une horrible douleur qui me brûlait mais j’ai quand même continué. J’ai alors vu une silhouette qui me semblait féminine. Je l’ai reconnue grâce à son plumage rouge vif et bleu. Elle était magnifique, elle avait de très grandes ailes. Je me suis rapprochée et je crois qu’elle m’a entendue car elle s’est alors retournée. J’étais mal à l’aise et elle aussi il me semble. Aucune de nous n’a parlé. Pour rompre le silence, je lui ai demandé son prénom et elle m’a répondu qu’elle s’appelait Aza.
Puis je lui ai demandé qui elle était et comment je m’étais retrouvée ici. Elle m’a répondu qu’elle était un perroquet, comme moi. Elle m’avait retrouvée en boule et avec du sang de partout sur le corps puis elle m’avait ramenée chez elle. Là-bas, elle m’avait lavée avec de l’eau de pluie et avait soigné mes blessures. Enfin, elle m’avait installée dans un nid douillet où j’étais restée inconsciente pendant plusieurs heures. Elle m’avait laissée là et elle était allée chercher des vers pour le repas du soir. C’était à ce moment que j’étais partie à sa rencontre. Nous voilà donc deux inconnues face à face à essayer de comprendre ce qui se passait.
Il y a eu un long silence puis elle m’a demandé comment j’avais atterri en bas de cette falaise. Je lui ai donc raconté toute mon histoire et je lui ai avoué que je voulais mettre fin à mes jours. Elle m’a répondu qu’elle avait vécu une histoire semblable à la mienne car elle aussi était lesbienne. Mais elle n’avait pas voulu mourir mais plutôt s’en aller loin de tout son peuple qui était au courant et qui lui faisait vivre un enfer. Depuis ce jour, elle voyageait à travers le monde. Et c’était par hasard qu’elle m’avait trouvée en bas de cette falaise.
Après cette conversation nous avons mangé les vers et parlé de sujets divers jusqu’à ce que la nuit tombe. Me voilà désormais dans une partie de son nid qu’elle a aménagé pour moi. Je te laisse, je vais dormir, à demain pour une nouvelle journée !
Vendredi 4 décembre :
Je viens de me réveiller. Le soleil est levé depuis déjà plusieurs heures. Je n’arrive toujours pas à croire ce qu’il m’est arrivé hier. Aujourd’hui je n’ai qu’une envie, profiter avec Aza de chaque instant. Hier, quand elle m’a raconté son histoire, j’ai eu tellement honte d’avoir voulu me tuer. Je voulais être comme elle. Elle qui était une perruche forte, courageuse, qui m’avait sauvé la vie. Je lui étais tellement reconnaissante. C’est pour ça qu’au petit déjeuner j’aimerais lui demander de partir loin à ses côtés. Je t’écris dès que j’ai sa réponse.
Quelques minutes plus tard :
C’est bon, elle a accepté. Elle était ravie de ma proposition. Il me semble que la solitude commençait à lui peser. Nous partons dans une heure en direction du soleil. Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend mais qu’importe, je ne suis plus seule, je suis avec quelqu’un qui m’aime comme je suis. J’ai enfin trouvé le bonheur.