Vie sans issue

Nouvelle écrite par Gaëtane PERREY, Mélina LOUAIL, Malak TEBAI, Eva MAUGAIN et Lola BENZAGHOU

sur le thème « La grande pauvreté, une négation des Droits Humains »

 

Lydia. Ce prénom, le mien, signifie celui qui est beau, belle en l’occurrence. La seule chose belle qui me soit arrivée, ce sont mes enfants.

Marie, la plus âgée va avoir douze ans. Mon cadet, Romain, neuf et Sophie sept ; sa naïveté m’émeut toujours. Nous vivons en banlieue parisienne, dans un petit studio lugubre, froid et humide de douze mètres carrés. Enfin, les uns sur les autres, nous nous réchauffons un peu… Je suis mère célibataire. J’ai eu d’énormes difficultés à trouver un travail stable, les entreprises décrétant que je n’ai pas les capacités nécessaires pour décrocher le poste. Heureusement, j’ai réussi à me faire embaucher en tant que bonne à tout faire (cuisine, ménage, nounou…) chez un particulier, une famille très bourgeoise. Je ne gagne pas le SMIC, ne suis pas déclarée mais bon, même si j’en ai assez d’être exploitée, je ne me plains pas car j’ai trop peur de me retrouver sans rien. Là, je peux au moins payer le loyer et les allocations m’aident aussi.  

 

À l’aurore, je lève ma plus grande, pour qu’elle se prépare, je lève ensuite Romain et Sophie. Une fois habillés, ils se dirigent dans la cuisine pour manger un peu. Malheureusement, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. La luminosité est médiocre, le froid est pénible et la maison est en désordre, malgré mes efforts. Je ne mange pas, laissant le peu de nourriture qu’on possède à mes enfants. Je les emmène ensuite, chacun dans son établissement scolaire, puis me rends chez mon employeur. Je tombe nez à nez avec Clara, la fille de ma patronne. Elle est en larmes, sa mère n’a pas le temps de s’occuper d’elle. Je la prends dans mes bras, affectueusement.

 

« Lydia ! crie sa mère. Il était temps, je vais recevoir du monde ce soir. Je veux que la maison soit entièrement récurée, le sol doit briller !! Lâchez Clara, elle va aller jouer dans sa chambre, elle n’a pas école ce matin !

Mais madame…

– Mais, mais, mais… ne traînez pas ! Sinon, nous ne serons jamais prêts pour ce soir !

 

Je lâche donc Clara. Madame Lemon se prépare à sortir et je vais donc commencer à nettoyer. Je pense à cette petite Clara, pauvre enfant. J’ai toujours fait tout ce que je pouvais pour la réconforter. Depuis que je travaille ici, c’est toujours la même chose pour elle : ses parents ne lui prêtent aucune attention, ils n’ont jamais le temps…

Par mégarde, je bouscule la table basse du petit salon et remarque une enveloppe sur le sol. Je la ramasse et ne peux m’empêcher de jeter un œil à l’inscription au-dessus.

 

 Arbre de Noël 

Tiens, tiens… J’ouvre l’enveloppe. Un arbre de Noël est organisé dans la ville par une fameuse fondation. J’imagine déjà le beau monde et le faste de l’événement. Cela ferait tellement plaisir à mes enfants d’y assister ! Non. Je ne peux pas faire ça. Je remets les invitations dans l’enveloppe et la repose sur la table.

Il est dix-sept heures trente, j’ai fini mon travail. Je quitte la maison et vais chercher mes enfants à la garderie. Ma petite Sophie est très heureuse car elle a fait un dessin pour Noël, et sa joie est contagieuse. 


Nous rentrons dans ce qui nous sert de logement ; le mois dernier, la facture d’électricité a été si élevée que désormais nous chauffons peu. Il fait donc froid, si froid que l’on pourrait tomber en hypothermie si l’on ne s’emmaillotait pas dans des couvertures. On dirait des yétis dans une cage qui font des acrobaties pour se déplacer entre un vieux canapé, un tancarville et la table !


Le lendemain, j’arrive au travail et aperçois Clara devant la télé. Madame Lemon descend les escaliers et me dit :
« Lydia, ce week-end, nous ne serons pas là, nous partons à Deauville. Vous vous occuperez de vider le frigo et, au passage, jetez-moi ces invitations qui traînent sur la table. »
Vos désirs sont des ordres…
Elle n’ira donc pas à l’arbre de Noël ! Rien ne m’empêche de garder les cartons et de les donner à mes enfants pour qu’ils puissent s’amuser, avoir un moment de plaisir que je ne peux leur offrir ! A qui ferais-je du tort ? A personne ! Ce n’est pas malhonnête ! Et de cacher les invitations dans ma blouse !


Je rentre chez moi après avoir dit au revoir à Clara et à sa mère, heureuse et pressée d’être à demain et d’annoncer à mes enfants la nouvelle pour voir leurs réactions !
Dès que nous sommes tous enfin à la maison, je leur donne le programme du lendemain ! Leurs visages rayonnent de bonheur !

Neuf heures, je les lève, pressée et stressée à l’idée de croiser, à cet arbre de Noël, des connaissances des Lemon qui me reconnaîtraient et qui pourraient me nuire. Mais je ne veux pas gâcher la joie de mes trois amours et masque, autant que possible, mes craintes. A l’entrée, tout se passe bien, un homme à oreillettes contrôle négligemment nos invitations ! A l’intérieur, tout est somptueux et les enfants sont subjugués ! La fondation qui veut remercier ses généreux donateurs n’a rien négligé : décor, boissons, petits fours, divertissements…
Je me laisse aussi porter par cette magie, commence à me détendre. Nous nous amusons, mangeons des mets délicieux ! Qu’il est bon de nager dans le luxe, ne serait-ce que quelques heures ! On devrait tous y avoir droit !

Lorsqu’un père Noël géant commence à distribuer des cadeaux, sous un immense sapin illuminé, j’aperçois, de l’autre côté de l’immense salle… Clara ! Je suis sûre que c’est elle, je la reconnaîtrais entre mille ! Sans doute les Lemon ont-ils renoncé à leur week-end à la dernière minute et ils n’ont eu aucune difficulté à entrer… Quand on a des connaissances… Elle m’a vue, j’en suis sûre ! Que va-t-elle dire à sa mère ? Je vais perdre mon travail… Qu’ai-je fait ? Quelle folie… tout ça pour des petits fours, des magiciens et des cadeaux… Aussi discrètement que possible, je quitte la fête, poussant les enfants qui voudraient prolonger ce bon moment…

 

Le soir, quand les enfants sont couchés, je ne peux m’empêcher de pleurer… J’ai commis une faute professionnelle… Je sais bien ce qui m’attend si je retourne chez les Lemon… Mais ils me doivent de l’argent et je leur dois des excuses.

Le lendemain, je sonne, la main tremblante, à la porte de ma patronne. Etrangement, c’est monsieur qui m’ouvre, il n’est pourtant jamais à la maison… Je crains le pire…
« Bonjour Lydia, je dois vous parler. Je vous ai aperçue samedi à l’Arbre de Noël avec vos enfants, vous êtes sans doute, tout comme nous, une généreuse donatrice de la fondation…
– Je… euh….

– Ma femme m’a dit que vous deviez jeter les invitations, l’avez-vous fait ? »

Je reste sans voix, la tête basse. Je repense à cette phrase dans La Gloire de mon père, « Comme on est faible quand on est dans son tort ! » Et pourtant… qui avais-je lésé ? Rouge de honte, sans même oser demander mes gages dus pour mes deux dernières semaines, je tourne les talons et me dirige vers la porte, balbutiant quelques « pardon » étranglés. Les pauvres ne doivent pas rêver, ils ne peuvent espérer passer une après-midi de plaisir, sans que le ciel ne leur tombe sur la tête…

« Lydia ? Où allez-vous ? Clara vous attend avec impatience dans sa chambre, vous êtes sa deuxième maman comme elle le dit si souvent ! Quant à moi, je suis occupé, j’ai quelques paperasses à remplir. Vous les signerez tout à l’heure devant une tasse de café, à votre pause, un contrat en bonne et due forme… Et Lydia, vous savez quoi, vous aviez presque l’air des nôtres à cet arbre de Noël, en robe, oui, élégante, presque l’air des nôtres ! »