Le hameau du Dauphin

Nouvelle écrite par Chloé Charrel, Chloé Arlot et Clément Poirot

sur le thème « Accaparement des terres, expulsions forcées : une négation des droits »

 

Cela faisait quatorze ans que je vivais ici, au hameau du Dauphin. C’était le genre de village pauvre avec peu d’habitants, où les gens ne vivaient que d’agriculture. Mais mon petit village, je l’aimais, car tout le monde se connaissait et s’entraidait. C’est d’ailleurs lors de cette journée du 6 juin 1990 que je m’en suis rendu compte.

Je m’étais fait réveiller par les jappements du chien du voisin, ce qui me semblait pour le moins étrange car il était plutôt calme à son habitude. Arrivé à la grange pour la traite matinale je tombai des nues. Plus de vache ni de poule. J’étais comme paralysé à l’idée d’avoir perdu notre seule richesse. Avais-je pensé à bien fermer le loquet de la grange hier soir ? Mais je fus vite tiré de mes pensées par le cri de la mère de Richard. Alors je courus en direction de la place située sous l’église du village d’où les cris  semblaient provenir. Mes bottes frappaient sur le goudron usé et craquelé et la lueur du jour m’éblouissait. Je posai alors une main au-dessus de mes yeux pour me protéger du soleil, c’est alors que j’aperçus l’attroupement d’où les cris me parvenaient.

Des hommes chargeaient les bêtes des villageois dans un gros camion.

Un de ces hommes aisés, habillés de costards s’avança sur la place et éleva la voix :

– « Mesdames et Monsieur, en ce jour du 6 Juin, je vous annonce que vous êtes dans l’obligation de quitter le village du Dauphin sous un délai de cinq jours pour des raisons légales expliqua-t-il. En effet, pour compenser le manque d’électricité dans la région, un barrage hydroélectrique sera installé en ces lieux. Toutes vos bêtes et vos biens seront réquisitionnés. » Finit-il d’expliquer. Je fus outré de la suite. Il sourit, d’un sourire arrogant plein de méprise puis, il tourna les talons remonta dans sa voiture luxueuse et partit.

Le village semblait figé, pris d’une incompréhension totale. Comment ? Nous, partir sous cinq jours ? Etait-ce au moins légal de nous expulser de nos terres ? Cela me semblait impossible et pourtant…

A la maison, c’était la panique générale. Maman pleurait, papa criait et moi je ne savais plus où me mettre. Le jour J, je fis mon sac. Je me rendis très vite compte que finalement un pauvre petit baluchon suffisait. Notre seule richesse restante était les 1000 francs de notre petite indemnisation. Le terrain considéré comme agricole ne valait pas grand-chose aux yeux de l’état. Bien évidemment, histoire de ne pas simplifier notre départ, aucune personne du village n’avait de voiture. Je m’attendais à un départ collectif mais finalement ce fut très bref car chacun partit de son côté.

La marche fut longue et douloureuse, oui, trois jours de marche nous séparaient de la ville la plus proche. Une fois arrivés à Beaumont, nous nous retrouvâmes à la rue, sans logement. J’avais l’impression que le ciel nous tombait sur la tête. Au bout de deux jours dans la rue, où j’avais remué ciel et terre, j’avais enfin trouvé une chambre de bonne. Nous avons dû réapprendre à vivre. En effet, la ville était si différente du dauphin. Mes parents n’étaient plus que l’ombre d’eux même. Ma vie avait déjà basculée mais ce n’est que dix ans plus tard que tout s’arrêta pour moi.

C’était une journée banale et je revenais de mon travail de cireur de chaussures. Le mal de dos de fin de journée me guettait lorsque je vis un papier dépasser de la boîte aux lettres. Je m’en emparai, mon sourire tomba et je commençais  à trembler, mes mains froissèrent le papier. Une goutte tomba dessus. J’appris plus tard que le projet hydroélectrique avait été déplacé plus loin et que comme le village avait déjà été vidé, un promoteur avait repris le projet à son compte. J’avais entre les mains une invitation pour le parc aquatique du dauphin…