Bienvenue au pays des droits de l’Homme !

Nouvelle écrite par Ines BERKANE, Maïssa BENLAHARCHE, Khadidiatou KANDE et Saniya HAKKAR

sur le thème « Vers un accueil équitable de tous les migrants »

 

« On est à l’antenne dans 30 secondes, me crie Éric le caméraman.

–  Assure-toi de bien filmer le camp derrière moi. »

 Je mets mon oreillette et me prépare mentalement à passer en direct. Je suis à la fois stressée et excitée de réaliser mon premier reportage, tout particulièrement grâce au sujet de celui-ci.

« 3.2.1, s’écrie Éric.

– Bonsoir à tous, nous sommes à la plage de la Reine Jeanne où un camp de migrants a été découvert il y a quelques jours. Derrière moi se trouvent un peu plus de 500 migrants venus d’Afrique noire et du Maghreb. Les forces de l’ordre sont sur place depuis maintenant deux jours… »

Un brouhaha se fait entendre et je vois Eric me faire signe qu’il a coupé la caméra. Je me retourne vers l’origine du bruit. Des policiers maintiennent des adolescents au sol, provoquant ainsi de l’agitation chez les autres migrants.

« Pourquoi as-tu arrêté de filmer ? C’est trop grave pour ne pas montrer ça aux gens.

-Impossible, ordre des forces de l’ordre. »

D’abord surprise par les mots du caméraman, je ne réagis pas. Petit à petit je me rends compte de la gravité de la situation et tente de prendre sa place derrière la caméra. Eric me prend le bras et me menace du regard, pour la première fois depuis que je le connais, j’aperçois de l’animosité dans ses yeux.

« Je savais que t’étais une emmerdeuse… Mais là, tu bats tous les records. »

Il lâche mon bras et se dépêche de ranger son matériel. Les policiers deviennent de plus en plus agités, des coups de matraques pleuvent sans que je n’en comprenne la raison. Eric me fait signe de le suivre et j’abandonne toutes mes convictions en même temps que les quelque 500 personnes qui hurlent toute leur souffrance et leur colère derrière moi.

Mais comme attirée par ce qu’il se passe, je jette un dernier coup d’œil et croise le regard d’une jeune femme. Pendant quelques instants, je me perds dans ses yeux océan et je comprends rapidement qu’ils vont devenir miens. Je fonce vers elle tout en ignorant Eric qui me crie de revenir et me faufile dans la marée humaine.

« Cache-le, lui dis-je en lui montrant sa poche. Raconte-moi tout ce que tu vois. Essaye de venir tous les soirs sur la petite colline là-bas. »

Je quitte la jeune femme en espérant qu’elle m’ait comprise et je prie intérieurement pour qu’elle sache se servir d’un magnétophone.

Les nuits suivantes, je la rejoins près du camp et écoute tout ce qu’elle a sur le cœur, ses craintes, ses peurs de l’avenir et à quel point sa vie d’avant lui manque. Et le reste des nuits, je les passe à me plonger dans le contenu du magnétophone. J’apprends que les migrants sont toujours sur la plage et vivent dans des conditions abominables. Traités comme des animaux et à peine nourris, ils passent leurs journées à attendre que l’Etat daigne s’occuper d’eux. Les jeunes pour la plupart sans parents sont délaissés et traités de menteurs quand ils clament être mineurs et méritent d’être protégés. Les personnes âgées croupissent à même le sol et la majorité, trop affaiblies, lâchent leur dernier souffle.

Depuis que je les ai vus dans ce camp, ma vie leur est consacrée. Pendant quelque temps, j’ai tenté de vivre normalement, en vain. Les cris, les pleurs, les regards, tout est ancré dans ma mémoire et je sais que tant que je n’aurai pas raconté ce qu’il se passe dans cet endroit, je ne pourrais jamais tourner la page. J’ai tenté de me faire entendre, par la presse, par la radio, sur des plateaux télé. Mais rien, à cause du gouvernement actuel, personne ne veut montrer la réalité. Le Président apparaît tout souriant à la télévision, fuyant toute conversation qui se rapporte de près ou de loin aux hommes, aux femmes et aux enfants abandonnés sur cette plage de sa chère France. Comment peut-il se proclamer le Président du pays des droits humains alors qu’il ne respecte pas ces valeurs ?

La liberté. C’est ce que la plupart de ces migrants pensaient trouver en arrivant en France. Être libres de vivre en paix, sans violence et sans jugement ; mais pour cela, il aurait fallu que les gens fassent preuve de fraternité, un concept qui est oublié depuis bien trop longtemps. Le gouvernement nous parle d’égalité, mais quand je vois la maltraitance de ces Africains alors que d’autres personnes dans la même situation ont été bien mieux accueillies, je n’arrive plus à y croire.

Un soir, lors d’une de mes rencontres nocturnes, je décide de prendre mes responsabilités. Je vais chercher la jeune fille à notre point de rendez-vous et lui montre le chemin jusqu’à ma voiture. Je sais qu’aux yeux de la loi je ne devrais pas le faire, je ne devrais même pas être là. Mais en tant qu’être humain, il est de mon devoir de sortir cette adolescente de cette situation, même si ce n’est que temporairement.

Je lui demande doucement : « Tu es prête Sally ? ».

Elle hoche la tête avec un air inquiet et je démarre la voiture pour l’emmener le plus loin possible de cet endroit. Pour le moment c’est la seule que je peux sauver mais quand sa voix se fera entendre, j’espère que tous les autres seront délivrés.

Une fois arrivée chez moi, je vois Sally regarder les pièces avec émotion, sûrement heureuse d’enfin avoir un toit. Chaque petite attention que je lui accorde, elle la voit comme le plus beau cadeau qu’elle aurait pu recevoir. Un simple hamburger relève pour elle d’un festin, une douche chaude est comme un moment au Paradis. Des choses simples pour nous mais des moments exceptionnels pour elle qui a vécu dans la misère pendant plusieurs semaines.

Une fois l’adolescente endormie, je transfère tous les enregistrements sur mon ordinateur dans le but de les publier sur les réseaux sociaux. Je n’hésite plus, je dois le faire. Je clique sur le petit bouton et je vois les fichiers rejoindre Internet avec l’espoir qu’ils touchent le monde.

Le lendemain matin, je contemple mon ordinateur et c’est en voyant les nombreux commentaires et le nombre de partages que je décide d’appeler mes supérieurs pour les informer de ma démission. Ce journalisme-là n’est finalement pas ce à quoi je suis destinée et, étrangement, ma décision ne m’attriste pas. Depuis ma rencontre avec Sally, je sais ce que je veux : faire entendre les voix de ces personnes qui, comme elle, ont dû quitter un pays qu’elles aimaient, affronter et subir l’horreur du long voyage et informer les Français de la réalité des désastreuses conditions d’accueil, car au fond, même si nous ne vivons pas directement cette situation, elle nous concerne tous. A tout moment nous pouvons nous retrouver à la place de ces personnes.

Je ne m’arrêterai pas aux publications sur les réseaux sociaux, c’est une promesse que je fais à Sally, aux gens de ce camp et à celles et ceux qui décideraient de se lancer dans ce long périple qu’est l’immigration.

 

Prologue

Je suis Sally

Liberté, égalité, fraternité… une devise qui me faisait rêver lorsque j’étais en Mauritanie. Elle n’est devenue qu’illusion lorsque je suis arrivée en France. Mon rêve a volé en éclats lorsque je suis arrivée sur cette plage comme celui des autres personnes qui se trouvaient avec moi.

Je suis Sally mais aujourd’hui, par ce récit que je publie, je serai également Aylan, Binta, Ganet ou encore Mariam. Je décide d’être la voix de ceux qui n’en n’ont pas et quoi qu’il arrive, ce qu’ils ont vécu sera dévoilé.