Inaya

Comme tous les matins je me lève pour aller faire mes courses dans le village d’à côté, je longe cette même et longue route bordée de beaux paysages, d’autres personnes regardent-elles aussi ce décor ? Je continue ma route vers ce magasin, toujours le même, où les gens ne sont pas très courtois quand tu les salues. Puis je ressors du magasin et repars en direction de ma maison toujours sous le regard lourd du soleil qui tape sur ma peau blanche comme de la neige. Ils continuent à me regarder comme si j’étais différente, leurs regards me traquent.

 

 Arrivée chez moi, ils sont encore là, qui sont ces gens ? Qu’attendent-ils ? Cela dure depuis si longtemps, pourquoi sont-ils là ? Leurs regards, sont-ils bienveillants ? Une fois passé le seuil de la porte, je surprends mes parents dialoguant avec un homme vêtu de noir. Cet homme est plutôt impressionnant par sa taille, il doit faire environ 1M95. Il me dévisage, m’examine comme si j’avais quelque chose à me reprocher… cet homme étrange porte des gants… Je sens le regard pesant de mes parents rempli de dégoût, je ne comprends pas : eux qui, jusqu’ici, me regardaient avec tant d’amour, peut-être n’était-ce qu’une Illusion ? Un sentiment de trahison me traverse le corps, quand je sens une présence malveillante derrière moi. Je n’ose pas me retourner. Est-ce le dieu de la mort qui vient me chercher ? Tout à coup, tout devient noir et brouillé, je ne sais pas ce qui se passe, ni combien de temps ça a duré.

Quand je reprends mes esprits, je me rends compte que je suis dans une pièce qui ne m’est pas familière. Seul un rai de lumière pénètre. Des perfusions me transpercent la peau, mon corps est percé de part en part, ma tête me fait mal, je suis entièrement paralysée. Est-ce la peur qui me pétrifie ? Je ne sais pas pourquoi ces fils sont là, mais rien ne me rassure : la pièce dégage une impression étrange, une sensation d’insécurité. La mort m’attend sûrement si je reste ici plus longtemps.

Soudain la porte s’ouvre, une lueur éclatante illumine alors un quart de la pièce, mes yeux se referment aussitôt, éblouis par cette lumière à laquelle je ne suis plus habituée. Deux hommes se tiennent devant la porte, je ne vois que leurs silhouettes sombres. Mon cœur se met à battre la chamade. Que veulent-ils ? C’est à ce moment précis que j’essaie de me remémorer ce qu’il s’est passé avant ce trou noir. Je venais de rentrer chez moi, mes parents discutaient avec cet étrange inconnu qui m’a procuré un malaise. Et puis, j’ai peur, je n‘arrive pas à me défaire de cette peur. Quand soudain un des hommes s’approche de moi et me gifle violemment le visage. Il me tient fortement les épaules en me secouant avec force tout en me criant des injures que je ne comprends pas. Mon esprit est perdu, mon corps ne répond plus, je n’arrive plus à bouger, et je plonge à nouveau dans les abîmes, mes yeux se ferment une seconde fois pour un long voyage dans l’espace infini de mon esprit.

Quand j’ouvre à nouveau les yeux, je reprends peu à peu conscience, les hommes ont disparu, je ne sais toujours pas pourquoi je suis là, je me sens vraiment oppressée par ces quatre murs. Ma gorge est sèche, la faim me tiraille le ventre, j’en déduis donc que cela fait longtemps que je suis là, allongée dans le noir. Le soleil n’éclaire plus ce lieu infernal, je suis donc restée plusieurs heures, peut-être quelques jours, cloîtrée dans cette pièce. Elle est tellement sombre que j’en ai perdu la notion du temps.

Par chance, un matin, un des ravisseurs rentre et vérifie mes perfusions. Pourquoi suis-je perfusée ? Que me font-ils ? Pourquoi moi ? Quand une déflagration retentit. Ils se précipitent alors à l’extérieur et laissent la porte entr’ouverte derrière eux. Je vois, à ce moment-là, la seule chance de m’en sortir, je reprends espoir. Je me débranche de tous ces liens qui me bloquent et je cours en direction de la liberté. En sortant de cet enfer, je sens toujours ces mêmes regards pesants. Mes ravisseurs me suivent, je poursuis ma course effrénée en direction de la lumière. Enfin, le soleil caresse à nouveau mon visage d’ange et je continue à courir vers la liberté, je crie :

“Ek is uniek, niemand sal my verbied om myself te wees nie ! ” (Ce qui signifie : « je suis unique et personne ne m’interdira d’être moi-même ! »).

Après cette course folle j’arrive enfin devant ma maison, je suis encore sous le choc de ce qui vient de m’arriver, je ne réalise pas la chance que j’ai eue que cette porte soit restée ouverte. J’observe longuement ma maison, c’est à partir de là que mon cauchemar a commencé. Après de longues minutes, je décide de rentrer dans cette maison où j’ai grandi, où j’ai été choyée, où j’ai fait mes premiers pas… et où j’ai été enlevée sous les yeux de mes parents consentants. Puis, je reprends mon souffle, je monte dans cette chambre que je connais si bien et rassemble mes quelques affaires. Je retourne dans ces pièces où j’ai tant vécu de bonheurs familiaux, je retombe sur ces photos qui ont toujours fait partie de mon univers.

 

Et je pars. Emportant tous ces souvenirs chaleureux, empreints de joies. Je prends la route, j’entame ma nouvelle vie…

 

Et me voilà devant vous aujourd’hui, quelques années plus tard, moi, Inaya, femme albinos d’origine Nigérienne. Chez moi, les albinos sont stigmatisés, subissent des discriminations et sont victimes de crimes rituels car l’albinisme est une malédiction. D’autres sont vendus pour leurs organes, ce fut mon cas : mes parents m’avaient vendue à ces hommes contre une forte somme d’argent. J’ai pu en réchapper et c’est pour cela qu’à présent je me bats, que je témoigne pour faire respecter les droits humains et pour éviter que ces persécutions dont sont victimes les albinos se perpétuent.

 

Je vous souhaite donc la bienvenue dans mon association.