Qui a tué le petit George ?

Nouvelle écrit par Maya Moore, classe de terminale au lycée René Perrin d’Ugine (73) –  Professeures : Mmes Trouessin, Agut et Saluzzo.

 

Thana était fascinée par le meurtre. Cela pouvait sembler un intérêt scandaleux, et c’était le cas. Elle passait son temps libre à écouter des podcasts sur des meurtres horribles, à regarder des documentaires sur des tueurs en série célèbres et à se tenir au courant des nouvelles concernant les assassinats réels.

Tout cela pour « satisfaire sa curiosité », mais en réalité, son obsession allait bien au-delà. Thana n’était pas fascinée par l’assassinat en soi, elle était fascinée par comment assassiner. Elle n’avait jamais partagé cet engouement avec qui que ce soit, sachant qu’il ne serait pas bien perçu si les autres appréhendaient pleinement son état d’esprit. Elle savait qu’ils ne pouvaient pas le comprendre, trop pris par leurs passe-temps méprisables et leurs préoccupations sociétales superficielles. Mais quoi de plus important que la vie et la mort ? Thana n’était pas folle, c’était un Ted Bundy, pas un Andrei Chikatilo. Calme, recueillie, narcissique, dérangée. Mais pas folle.

C’est sur le DarkNet qu’elle manifestait ses projets. Elle ne les accomplirait jamais, mais elle prenait plaisir à choisir ses victimes, à choisir leur mort, leurs derniers instants, sa fuite. Dans le DarkNet se trouvait sa liberté. Elle pouvait échanger avec d’autres personnes comme elle sur des sites de discussion, publier ses plans sur son blog et en être félicitée, même être payée pour, plutôt que d’être frappée d’ostracisme. Elle n’avait pas à craindre l’intervention de la police, elle était en sécurité parmi les psychopathes. Elle ne pouvait pas être attrapée, ses idées ne pouvaient pas se retrouver dans les mains lamentables du gouvernement. Après tout, elle n’avait jamais vraiment tué quelqu’un. Thana était simplement… passionnée.

Son activité sur le DarkNet était rendue complètement anonyme grâce à diverses techniques de cryptage et de routage qui acheminaient ses données via de nombreux serveurs intermédiaires qui masquaient son identité. Ce processus alambiqué était extrêmement difficile à retracer et à reproduire, ce qui rendait presque impossible pour quiconque de déchiffrer son activité, sa géolocalisation ou son adresse IP. Thana était si prudente dans ses communications et ses affaires qu’elle s’était souvent retrouvée à se moquer des criminels insouciants découverts par des chétives agences d’intelligence centrale. Non, Thana était meilleure qu’eux. Elle naviguait sur le marché Agora pendant des heures en vendant des entrées sur son blog, ne laissant aucune trace (même quand elle prenait plaisir à regarder des snuff movies pour se détendre), tandis que la valeur de son compte bitcoin augmentait considérablement chaque jour.

Thana n’était pas sans conscience. Elle avait parfois remis en question ses actions. Elle savait qu’elle partageait des informations qui pouvaient être dangereuses pour ceux qui les prenaient au sérieux. Cependant, ce n’était pas de sa faute si ses clients utilisaient ses idées d’une manière plus pratique, s’ils blessaient les autres. Thana était simplement une artiste, elle était créative et voulait partager ses talents avec ceux qui pouvaient les apprécier. Elle était convaincue que, de toute façon, dans la majorité des cas, ses clients étaient très probablement comme elle : ils dévoraient le contenu de son blog pour se divertir. Les clients aimaient lire ses plans de la même manière que les jeunes filles aimaient lire des fan fictions sur leurs boys band préférés. C’était son excuse de toute façon, ce qu’elle se disait pour défendre son ignorance de la réalité.

Une nuit en particulier, un dimanche, Thana était restée éveillée tard à son bureau d’ordinateur pour écrire de nouveaux contenus. Elle se sentait inspirée, venant juste de finir de regarder « Qui a tué le petit Grégory ? » sur Netflix. Ce mystère visqueux qui restait irrésolu, avec le meurtrier qui rôdait toujours en liberté, cela la réveillait, l’animait, l’excitait. Cependant, elle écrivait une version améliorée de la procédure, un plan plus propre, plus unique. Après tout, attacher les mains et les pieds d’une victime, tirer une taie d’oreiller sur sa tête et la jeter dans une rivière, eh bien… Thana trouvait cette stratégie plutôt ennuyeuse et redondante. Elle s’intéressait cependant à la victime du meurtre elle-même, un jeune garçon, un enfant. C’était inapproprié, alléchant.

Et c’était ainsi que Thana commença ses recherches. Elle choisit un garçon d’une école maternelle du sud de la France, près de Toulouse. Cheveux bruns, quatre ans, qui avait obtenu une mention très bien pour son expérience scientifique (dans laquelle il avait testé avec sa mère à quel point les barres de savon de différentes couleurs étaient glissantes) et aimait porter des tennis blanches à l’école. En quelques minutes, Thana avait retrouvé ses parents, sa maison, sa baby-sitter du mercredi après-midi. Leurs horaires, leur numéro d’étage, leurs listes de courses, leurs vulnérabilités. Elle avait piraté leur système de sécurité avec une facilité digne d’une ballerine russe jouant Odette. Sur son blog, elle avait détaillé son plan, ses armes et sa voie d’évacuation. Elle l’avait posté pour ses clients puis s’était endormie paisiblement.

Le mardi soir suivant, Thana s’était rendue chez ses parents en écoutant distraitement « Morbid : A True Crime Podcast ». C’était la fin d’un long trajet, cela faisait presque six heures de route entre son appartement et sa maison d’enfance. Thana trouvait plus facile de cacher son style de vie à sa famille de cette façon, elle habitait trop loin pour qu’on lui pose trop de questions. Alors qu’elle approchait de l’allée bordée de roses pâles, elle s’entraînait à réciter ses mensonges. Elle était toujours occupée à travailler comme directrice de marketing au siège de L’Oréal Paris, ce qui lui avait permis de s’offrir son appartement dans le 16e arrondissement, beaucoup trop petit pour les visiteurs. Non, Mère, elle n’avait toujours pas de petit ami, elle n’avait pas le temps pour ça, ni aucun ami d’ailleurs autre que ses collègues. Mais elle était heureuse, poursuivant sa passion pour le maquillage et la publicité. Une chose qui était facile à croire pour ses parents, grâce à son diplôme de l’École Supérieure de Commerce, soigneusement falsifié, encadré et accroché au mur de la cuisine. Thana était la fierté de la famille après tout…

« Bon, ça a été un peu stressant ces derniers temps ; le numéro de septembre du magazine Vogue que je dirige a pris du retard et …, avait répondu Thana à son père au dîner quand il lui avait demandé comment se passait son travail. Sa mère l’avait alors interrompue.

« -Je suis désolée de te couper chérie, mais pouvons-nous l’éteindre ?”, avait-elle dit en désignant la télévision. “Nous ne devrions pas être en présence de choses aussi obscènes en mangeant ».

            Son père, voulant entendre la fin de l’histoire de Thana, s’était alors rapidement penché pour atteindre la télécommande sur le comptoir. Ce faisant, il avait bousculé Thana, qui s’était retrouvée avec le verre de vin rouge renversé sur les genoux.

            Alors que ses parents s’inquiétaient de la tache sur son jean, Thana ne pouvait pas détourner son attention de la présentatrice qui faisait le dernier journal télévisé.

« Nous sommes désolés d’annoncer que le petit garçon de quatre ans, George Bernard, qui a disparu dimanche soir, a été retrouvé pendu à un arbre, à seulement deux kilomètres de sa maison, avec ce qui semble être des lacets blancs noués autour son cou et une barre de savon orange fourrée dans sa gorge. La police nationale est à la recherche du tueur, sans aucune piste pour l’instant, car même le système de sécurité de la maison Bernard n’a pas été déclenché au moment de la capture…”