Malya, l’enfant fantôme

8 Juin 2005, le jour de ma naissance

Il est midi et je suis née. Il fait beau, le soleil baigne la chambre de ma mère. Je ne cesse de pleurer. L’infirmière du village, Kaltoun, s’occupe de ma mère, terriblement fatiguée. Mon père est à côté de nous et tient la main de ma mère. Ils se sourient et des larmes coulent sur leurs joues. Si j’étais née en France, à cet instant, je serais sans doute à l’hôpital dans une chambre d’un blanc immaculé. Une sage-femme assisterait ma mère. Nous serions entre de bonnes mains ! Quelques jours après, mon père irait me déclarer à la mairie : tout ce qu’il y a de plus normal ! Mais malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est passé. Mon père ne m’a pas déclarée ; en somme, je n’ai pas d’identité. Aucun papier, pas d’état civil : je suis ce qu’on appelle « un enfant fantôme ».

28 mars 2012 

Je suis allongée sur le sol, mon bras gauche me fait horriblement souffrir. Tout est flou, j’entends mon amie Aïna crier mon prénom, je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je ne pense plus à rien. Une heure plus tard, je me réveille, j’ai la nausée et je suis exténuée. La lumière dans la pièce est trop forte, je garde donc les yeux fermés. J’entends Kaltoun dire à mes parents que j’ai le bras cassé. Elle est catastrophée, elle explique qu’elle ne peut rien faire et qu’il faudrait que j’aille à l’hôpital. Mes parents se regardent, d’un air coupable : ils savent tous deux que c’est impossible. Je n’ai jamais eu d’accès aux soins et je n’en aurai sûrement jamais, ne possédant pas d’identité.

Je m’appelle Malya et je suis une enfant fantôme.

15 Juin 2016

Cela fait plusieurs semaines que mes amies et moi n’avons plus qu’un seul sujet de conversation : la rentrée en sixième. Cette perspective me rend si heureuse ! L’idée de découvrir un nouveau lieu, de nouveaux professeurs et de me faire beaucoup d’amis m’enchante ! Sauf qu’en voyant le visage de mes parents se décomposer à la lecture de la dernière phrase du dossier d’inscription du collège, je comprends qu’ils ne sont pas du même avis… Ils posent le dossier sur la table de la cuisine. C’est à ce moment précis que je vois quatre mots, écrits en lettres rouges : PIECE D’IDENTITE REQUISE

A cet instant, tout s’écroule autour de moi. Je sais que maintenant tout est fini : je ne traverserai plus le village le matin pour aller étudier,  je ne jouerai plus jamais aux billes pendant la récréation, je ne ferai plus mes devoirs en rentrant à la maison. Tous ces petits moments, qui peuvent sembler si banals sur le moment, me paraissent maintenant si précieux ! Je ne comprends pas pourquoi mes parents ne m’ont pas déclarée à la naissance. A cause d’eux, mon avenir est gâché. Je ne leur pardonnerai jamais. Tout cela à cause d’un simple papier…

Je m’appelle Malya et je suis une enfant fantôme.

            23 Janvier 2036, 20 ans après

            Hier, en allant chez mes parents, j’ai retrouvé le journal dans lequel j’écrivais quand j’étais enfant. Vingt ans après, j’ai eu envie de le terminer.  Voici ma vie telle qu’elle est aujourd’hui :

J’ai trente ans et j’habite toujours dans le même village, à Madagascar. Je n’ai pas d’enfants et je ne souhaite pas en avoir. N’ayant pas d’identité, je n’existe pas pour la loi. Je ne peux donc pas déclarer un enfant et je ne veux pas lui infliger la même vie que la mienne. Pour cette raison, aucun homme ne souhaite se marier avec moi. Je vis seule, isolée de tout. Au lieu d’être médecin, comme je le voulais étant enfant, je travaille dans les champs de canne à sucre. Je n’ai réalisé aucun de mes rêves. Rien n’est excitant dans ma vie, tout est banal. J’en voudrai toute ma vie à mes parents de ne pas m’avoir déclarée quand je suis née.

Je m’appelle Malya, je suis et je serai toujours une enfant fantôme.