Réécrit abrégé

Nouvelle écrite par Clémentine Vasquez du Lycée Jean Michel de Lons-Le-Saunier (39)

Thème : « La torture »

         Regard baissé je ne vois que ses bottes. Il marque une pause pendant laquelle j’imagine qu’il me toise, puis l’une de ses chaussures vient percuter violemment mon menton afin de me faire relever la tête.

« Mais qu’avons-nous là ? Une trainée et un gosse ! C’est ça vos résistants ? »

Il éclate d’un rire gras avant d’enfoncer le canon de son arme dans mon abdomen, à l’exact emplacement où le couteau de Sam m’a frappée plus tôt.

Pitié…

Je perds connaissance sous le coup de la douleur, avant que le pitoyable gémissement que je pousse ne parvienne à mes oreilles.

Le blanc saturé qui me saute aux yeux, teinté de rouge à travers mes paupières.

Une lampe braquée sur moi.

Je ne bouge pas. Pas un tressaillement pas un bruit. Rien qui puisse trahir mon éveil.

Je me concentre sur mes propres sensations, tentant de me servir de ces éléments pour trouver où je suis.

Le froid qui doit faire se dresser sur mon bras une discrète chair de poule, l’humidité qui colle à ma peau, le manque d’oxygène, ou les échos des chocs encaissés, faisant tourner ma tête…

Mes jambes semblent découvertes et mes poings sont liés par une cordelette qui me mord la peau.

Une respiration résonne doucement, grave, ténue, régulière. Il y a une autre personne à mes côtés.

Un homme qui sommeille sans crainte, sans gêne aucune. Un soldat. Un garde. Un bourreau. Je ne sais pas.

Ce que je sais c’est qu’il est là. Avec moi.

Dans une pièce fermée et aveugle, justifiant l’utilisation d’une lampe aussi puissante.

Sous terre sûrement, ou dans un lieu mal isolé… Une cave. Un des locaux de la vieille ville. Les sous-sols de la caserne. C’est au choix…

La respiration change de rythme. Un cauchemar ou le signe avant-coureur d’un réveil ?

Une semelle claque.

Quelque chose tombe avec un son mat.

Ma tête.

L’homme est réveillé. Une porte grince, j’ouvre les yeux.

« Un problème ? »

Je veux hurler mais aucun son ne sort.

Sam.

C’est Sam, mon Sam qui entre, un sourcil levé, interrogateur plus qu’inquiet, son corps parfait moulé dans l’uniforme gris de l’armée de terre.

Il est des leurs.

Depuis quand ? Depuis le début ?

Et moi là-dedans, flattée tout au long par son attention, aveuglée par la fierté coupable que sa dévotion m’inspirait.

Pauvre conne.

Pourquoi est-ce que je fais encore semblant d’être surprise ? Je savais déjà tout ça. Au fond de moi je le niais, mais je ne mentais qu’à moi.

Mina, franchement, il t’a poignardée, merde ! Comment tu pouvais encore avoir des doutes ?

« Aucun pour moi, mais la petite demoiselle a mal à la tête je crois…» ricane une voix.

L’homme qui dormait apparaît dans mon champ de vision. Une armoire à glace en débardeur et treillis, qui marche à la rencontre de Sam.

Son profil me dit vaguement quelque chose, mais c’est quand ses yeux rencontrent les miens que je le reconnais.

Henry Melrot.

La dernière fois que je me suis trouvée aussi près de lui, un cadavre qui n’avait plus rien d’humain gisait à ses pieds. Le cadavre du gouverneur.

Henry Melrot, Henry le boxeur, le gradé, l’Anglais. Autant d’identités qu’il revêt tour à tour, semant à chaque fois terreur et désespoir.

L’homme de main de Bosnan.

Je ferme les paupières lentement, savourant la fraîcheur du sol sur ma joue. Je sens mon sang pulser dans ma tête et mes poignets serrés.

Je mémorise, je me concentre sur mes sensations une dernière fois.

Une dernière fois avant qu’une main ne m’empoigne et me force à me relever.

J’inspire encore et ouvre les yeux pour faire face à ce destin, mon destin, réécrit et abrégé par Brosnan.

« On va pouvoir commencer puisque tu es réveillée. »

Sam s’avance vers moi et je guette des restes d’amour, de tendresse, de tristesse, mais je ne trouve qu’un dégoût et une peur nouvelle émane de moi.

J’ai envie de lui crier de s’écarter.

Il  attrape le bas de mon tee-shirt et tire d’un coup sec. Le tissu se déchire et je ne dis toujours rien.

Il continue de m’arracher mes vêtements un à un.

Nos nuits me reviennent en mémoire mais aucun lien ne se fait entre l’homme qui me déshabillait tendrement et celui qui m’agresse actuellement.

Ses mains dont j’ai chéri le contact autrefois se posent sur moi et usent à tort du verbe caresser pour couvrir et me voler mon corps.

Je tire sur mes liens.

Ses ricanements et ceux de Melrot stoppent et il me gifle.

« Tu vas te laisser faire oui ? »

Il me retourne et me plaque face au mur. Mon front percute violemment la paroi quand il vient se coller à moi, son bassin forçant contre mes fesses.

Son souffle chaud, sa main qui tire mes cheveux, les larmes sur mes joues et mes cris étouffés par un bâillon improvisé avec les lambeaux de mon tee-shirt.

Cette douleur tant physique que morale, c’est sa manière de me dire adieu.

De la pire façon qu’il ait pu trouver.

Quand il en a fini il me laisse tomber au sol et me gratifie d’un coup de pied dans la tête.

« Maintenant tu vas nous dire ce que tu prévoyais de faire il y a une heure devant le palais. »

Je ne dis rien, face contre terre, lèvre en sang.

Je voudrais mourir pour oublier ce qu’il vient de me faire et je voudrais mourir pour ne pas avoir à subir ce qui va suivre.

Je ne le regarde pas.

Je l’entends s’approcher.

Je hurle.

« Tu le reconnais celui-là, non ? » rigole Melrot.

Sam enfonce plus loin la lame de son couteau dans mon bras.

« Je t’ai manquée une fois, je ne te louperai pas cette fois-ci ma belle… Allez parle. »

Je déglutis soigneusement. J’ai peur mais je ne veux pas le montrer.

Melrot prend la chaise sur laquelle je me suis réveillée et en pose deux des pieds sur mon ventre, à l’endroit de ma blessure.

Il s’assoit dessus, pesant de tout son poids.

Mon cri n’est plus qu’un gargouillement quand il s’échappe de mes lèvres.

J’essaye de cracher, de me débarrasser du sang qui coule dans ma gorge et m’étouffe mais Sam envoie valser sa botte dans mon cou, intensifiant le flux.

Saveur métallique et beauté sauvage, printemps d’un été et promesses volages, où es-tu parti loin de ta terre fidèle, est-ce le paradis qu’abrite le ciel, la ronde des enfants attendant ton retour…

« Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle chante ? »

« Dis-nous ce que les résistants prévoient de faire plutôt que de gaspiller ton souffle ! »

Liberté, liberté, couvre de ton amour, ferme les paupières de tes martyrs gémissants, entends la ritournelle des enfants des résistants, entends, cours et rappelle, va plus vite que le vent, l’heure d’un de tes enfants a sonné, pour lui deviens chef juste et aimé, qu’il parte rejoindre les enfants de la liberté, le cœur libre à toi seul dévoué…

Je cherche dans les mots de ma chanson les dernières forces pour déloger la capsule cachée dans ma dent.

Il meurt pour un idéal

Oui.

Il vit pour un idéal.

Si le gouverneur était en vie, ç’aurait été ça la dernière parole de la chanson.