Pour toi

Les oiseaux chantent à la fenêtre. Ce son a quelque chose d’apaisant. Je me rappelle une autre journée. Le jour de ta naissance. Ce jour-là aussi, les oiseaux gazouillaient dans le ciel. C’était il y a trois ans. C’est si proche et si loin. Loin, très loin, dans un autre pays, dans une autre vie… avant que la guerre ne nous détruise.

Ils sont arrivés un jour sans prévenir. Des dizaines de personnes sont mortes. Des innocents massacrés. Notre famille, nos amis, nos voisins, des gens que l’on ne connaissait pas, morts. Comme ça. Alors qu’ils n’avaient rien demandé.

 

Nous avons donc pris la décision de partir. Toi et moi, juste nous deux. Je voulais que tu connaisses un monde libre, où les rires et les chants remplacent les cris et les bombardements.

 

Tu étais si petite, quand on est partis.

Si petite, quand on a dû fuir ce qui autrefois était notre pays, mais qui n’est maintenant plus qu’un amas de bombes, de larmes, de cris et de débris. Tu ne dois pas te rappeler notre vie là-bas. Moi, je collectionne les souvenirs, comme certains les timbres ou les coquillages. C’est tout ce qui me reste de chez nous. Des bribes. Des sons. Et toi.

 

J’aimerais te raconter les bombes qui tombaient comme les gouttes de pluie lors d’un orage. Le fracas des bâtiments qui s’effondraient. Les pleurs, les cris. Toujours les cris. Mon propre cœur qui tambourinait dans ma poitrine, comme s’il voulait partir et s’enfuir lui aussi.

 

J’aimerais te parler des contrôles à la frontières, des passeurs malhonnêtes, des bateaux surchargés, de tous ces moments où j’avais peur et où je me disais pourtant de tenir et continuer. Pour toi.

 

Je préfère te parler de tous ces gens qui m’ont aidé. Tous ces gens… Cette femme, qui m’a expliqué le trajet en avion. Ce garçon, qui t’a relevée quand tu étais tombée. Cette vendeuse qui m’a donné discrètement à manger en voyant mon air désespéré. Tous ces gens qui, le cœur sur la main, ont une pensée pour ceux qui sont dans le besoin.

 

Malgré la faim, malgré le froid, malgré la peur qui nous tenait au ventre, nous l’avons atteint. Nous l’avons fait. Nous étions réunis, dans un pays libre !

 

Tu étais si petite, quand on est partis.

Si petite, mais déjà si forte. Tu n’a pas pleuré une seule fois depuis. Je me souviens t’avoir demandé si tu avais peur. Tu m’avais répondu : « Je ne peux pas avoir peur, puisque tu es avec moi »

 

Nous avons mis du temps, pour nous adapter. Retrouver ces gestes du quotidien qui redonnent un sens à la vie. En apprendre de nouveaux. Une nouvelle langue. De nouveaux voisins. Une nouvelle vie.

Ce fut difficile pour toi d’apprendre à dormir seule dans ta chambre, sans moi pour te protéger, et pour moi, de passer une heure sans penser à tous ceux qu’on a laissés. Je pense encore à eux. Même aujourd’hui. J’ai encore le bruit des bombes dans ma mémoire, les cris inhumains qui déchiraient le silence, le bruit des sirènes qui mugissaient à nos oreilles. Je pense que je ne les oublierai jamais. Dans mes cauchemars, je continuerai à les entendre, à chaque heure qui passe…

 

Mais le dernier son que je garde en mémoire, le son qui vient balayer tous les autres, qui me redonne espoir, c’est ton rire. Ton rire d’enfant, empli de joie.

 

Un rire libre.