Nouvelle écrite par Louise KAMINA
sur le thème « Plaidoyer et Lobbying : jeux d’influence dans l’élaboration des lois ? »
Washington post : « Mardi 16 août 2016 : aujourd’hui à 16 h, sera voté le nouvel amendement visant à élargir et à durcir le contrôle des antécédents d’acheteurs d’armes… »
Cela faisait maintenant une semaine que cette nouvelle faisait les gros titres des journaux.
Comme pour égayer cette sombre journée, un doux rayon de soleil perça la couche de nuages qui nous faisait office de ciel depuis ce matin et vint illuminer mon salon. Puis, me ramenant à la réalité, l’alarme de mon téléphone sonna, me rappelant qu’il fallait me dépêcher si je voulais arriver à la Chambre des Représentants à temps. J’enfilai rapidement un costume, pris mon portable, ma montre ainsi que ma précieuse sacoche et sortis de chez moi.
Je travaillais pour la NRA depuis maintenant neuf ans ; auparavant, j’étais chef de publicité pour une grande marque. Autant dire que je m’y connais dans tout ce qui est d’amadouer et de convaincre les gens. J’ai été embauché à la suite d’une campagne de pub que j’ai créée et qui a rencontré un très grand succès auprès des consommateurs. J’ai toujours admiré la NRA. Elle protège notre droit au port d’arme et je dois dire que je ne me séparerais jamais de mon magnifique Beretta 85 calibre 9 millimètres. Comment pourrais-je me protéger sans mon arme ? Et je dois bien avouer qu’il m’a fallu un peu plus de 4 ans pour comprendre pleinement les ficelles de mon métier : lobbyiste. Beaucoup de gens ne font pas la différence entre un lobbyiste et un corrupteur. Elle est pourtant simple. Un corrupteur achète les gens afin de parvenir à son but, un lobbyiste tente de les convaincre. Au moins dans un premier temps…
Un chat noir passa devant moi et vint interrompre le fil de mes pensées. Je me trouvais alors en face d’une très jolie maison où poussaient dans les jardinières de jolis coquelicots rouges.
Je repris donc ma route en songeant aux quelques semaines qui venaient de s’écouler, et au laborieux travail que j’avais dû fournir. Dès l’annonce de ce nouveau projet, la NRA s’était empressée de mettre en marche son réseau au Capitole, dont je faisais partie. Nous étions un petit groupe d’une vingtaine de personnes, réparties entre la Chambre des Représentants et le Sénat. Notre mission était très simple : nous devions empêcher le nouvel amendement de passer. Comme nous avions l’habitude de le faire, nous dédiions nos premières semaines à l’étude de l’amendement sous tous ses angles afin de trouver d’éventuelles failles à exploiter. Lorsque nous estimions que nous connaissions suffisamment le sujet, nous analysions les profils de nos futures cibles afin de mieux les convaincre. Quels sont leurs hobbies ? Quelle est leur personnalité ? Ont-ils déjà eu des problèmes avec la justice ? Sont-ils facilement influençables ? Bien sûr, nous possédions toujours un plan de secours, dans le cas où nos arguments ne parviendraient pas à les faire changer d’avis.
C’est seulement après ces quelques semaines d’investigation que nous pouvions enfin rencontrer les personnes ciblées. C’est tout un métier. Apprendre à parler de façon calme ou au contraire menaçante. Savoir quand placer un argument ou à quel moment il faut flatter son interlocuteur. Savoir ce que l’on doit dire et quand. Rien de ce qui est dit n’est dû au hasard. Tout est calculé jusqu’à la moindre intonation de voix, de façon à capter toute l’attention de notre interlocuteur.
En ce qui me concerne, je suis allé à trois rendez-vous.
Pour le premier, je n’ai eu besoin que d’un seul argument : « mais, Monsieur, les voitures aussi tuent !!! Interdisons-les, non ? ».
Le deuxième était bien plus coriace. Il m’a donc fallu utiliser la manière forte : la menace. Que pensez-vous qu’il a répondu quand je lui ai dit que j’étais au courant pour son petit trafic et que je possédais suffisamment de preuves pour qu’il soit lourdement sanctionné ?
Pour le dernier, il m’a suffi de lui révéler la part des électeurs américains qu’il perdrait si cet amendement venait à être accepté.
Lorsque je levai les yeux, j’étais devant le Capitole, en bas des escaliers. Étrangement, ce bâtiment m’a toujours attiré, comme un jeu de roulette russe. Je me rendis donc à la Chambre des Représentants et j’essayai tant bien que mal de trouver une place sur la balustrade pour m’asseoir.
16 h, la séance commence. Les discussions sont entamées, le texte est relu… L’heure du vote arrive, la tension monte, on sent l’air s’électriser. Le résultat est annoncé, l’amendement ne passe pas… La tête haute, tel un vainqueur, je prends mes affaires et sors du Capitole.
Je repris donc le chemin de mon domicile. J’étais une fois de plus perdu dans mes pensées lorsqu’une passante m’interpella pour me demander l’heure. Il était 17h29’.
Soudain j’entendis un croassement. Un grand corbeau noir s’était posé sur l’habituelle pancarte verte qui indiquait la rue où je me trouvais : 12th st SE. Au coin de la rue, une foule s’était rassemblée. Des gens s’agitaient dans tous les sens. Que se passait-il ? Je m’approchai, en me frayant un chemin à travers cette foule. Là, au centre, se trouvait un homme armé. Il me regardait.
Puis, des tirs, des cris, la peur suivie de la douleur et…
J’aurais dû me méfier de ce corbeau.
Washington post : « Mercredi 17 août 2016 : une fusillade a eu lieu hier à 17 h 30’ à Washington dans la “ 12th St SE ”, 5 morts et 7 blessés… »