Éducation sentimentale 2.0

Vous savez tous comment ça commence, vous l’avez tous sûrement déjà vécu, ce regard qui se perd dans l’agitation de la cour de récré, ou encore, ce rire qui se mélange aux paroles inutiles et consternantes des jeunes de la cafétéria. Un geste qui nous semble être tout, alors que ce n’est qu’une agitation, voulant probablement par simple politesse, montrer de l’affection. Aux premières manifestations d’un plausible amour, aussi bizarre que cela puisse paraître, on commence tout doucement à se laver, à se brosser les dents afin de prendre soin de nous, pour un jour, espérer lui plaire. On se transforme. On essaye de montrer la meilleure et la plus belle version de nous-même en ayant la drôle d’impression qu’elle nous observe, et finit par faire comme moi des petites attentions.

 

 Mais c’est comme ça qu’on tombe amoureux et qu’on s’abandonne à l’autre, espérant à notre tour un peu d’amour et de compassion.

 

Maintenant que je vous ai fait tout ce beau discours un peu naïf, vous vous en doutez, il y a une fille. Elle s’appelle Lucie. Elle a seize ans comme moi et on est en seconde tous les deux. Je ne lui ai parlé que deux fois mais c’est assez évident, je suis fou d’elle. Ce n’est pas sa faute, mais elle me déconcentre. Enfin, le rendez-vous que j’ai avec elle après mon entraînement me fait chavirer. On va dans une boutique de vieux vinyles, elle adore ça.

 

 Un jour elle m’a avoué qu’elle aurait adoré vivre dans les années soixante-dix :

-Tu imagines, revivre l’émancipation de la femme, Mai soixante-huit et les Beatles !

 

 Elle dit ces mots avec un tel engouement que j’eus presque envie de la suivre dans son voyage spatio-temporel un peu excentrique et dérangé.

Mon envie de l’embrasser, au milieu de tous ces 33 tours de chanteurs morts depuis longtemps, n’était que grandissante et mon âme profita de l’instant présent et mes lèvres se posèrent sur les siennes.

 

Alors, ça se passa et nous l’avons fait. On fit ce que les grands font quand ils sont amoureux, on s’enlaça, s’embrassa… puis il fallut que ces images ignobles que j’avais vues sur internet reprennent le dessus. Et les magnifiques sensations qui me traversaient et qui la traversaient disparurent aussitôt. Et je demandai, comme à mon incorrigible habitude, “trop”.

Et je croyais que j’aimais l’horrible chose que je lui demandais alors que ce n’était rien d’autre que de stupides vidéos. Des images que je n’aurais pas dû voir et qu’aucun ado de seize ans n’aurait dû regarder. Je pensais que ce que je demandais était représentatif de l’amour. Internet m’avait enseigné cela et j’y croyais. Je confondais amour et performances pornographiques.

Elle le fit. Je lui avais fait peur, je n’avais pris en compte que mon plaisir personnel et ne m’étais pas soucié de ce qu’elle ressentait.

Ce soir-là, elle referma la porte et elle ne me parla plus pendant quelques semaines.

Une éternité.

Elle m’ignorait, regardait ses pieds ou, encore, faisait semblant d’écouter de la musique quand elle passait devant moi. Elle s’enfermait dans une bulle de protection pour que personne ne la voie, comme si elle était honteuse d’un de ses actes. Mais moi, malgré le mur qu’elle s’était confectionné, je la voyais, et je l’aimais. Le pire dans tout cela c’est que je ne comprenais pas pourquoi elle ne voulait plus de moi. Cela me rendait fou. Je m’énervais contre elle alors que sa réaction était légitime et plus que justifiable.

 

Alors, un jour, je l’interceptai et je lui demandai où était le problème. Elle me traita de tous les noms, puis des rivières de larmes sortirent de ses beaux yeux verts. Je réussis à la calmer et elle m’expliqua, étonnée que je n’aie toujours pas saisi le problème.

Alors c’est là que je compris que ce que je croyais normal était en fait une énorme connerie.

Sur certaines plateformes d’Internet, les définitions de “relation sexuelle” et de “faire l’amour” étaient équivalentes. Toutes deux ne se concentraient que sur une chose : le plaisir masculin.

Et la femme dans tout cela ?

N’a-t-elle pas son mot à dire ?

Car après tout, l’amour, cela se fait à deux, n’est-ce pas?

Et puis, même pour l’homme, c’est extrêmement dégradant, cette éducation pornographique qui ne vous montre seulement qu’une image machiste et inégalitaire des relations sexuelles.

Cela, les jeunes garçons ne devraient même pas en entendre parler, ça ne les avance en rien et ça leur donne une image déplorable de la femme.

Après notre discussion, Lucie me dit au revoir.

 

Pour me remémorer son passage dans ma vie, j’allai à la boutique à deux rues de chez moi pour acheter un vinyle des Beatles “Abbey Road”, je mis sa chanson préférée “I Want You”, je m’installai devant mon ordinateur et mon doigt cliqua sur la barre de recherche de Google… j’y écrivis “émancipation de la femme”. Toute la soirée, je tapotais sur les touches de mon clavier. Même si ce geste me semblait familier, ce soir-là il avait une tout autre signification. Pour une fois je cherchais des infos sur un sujet, au lieu d’être sujet à des vidéos malsaines.

Ma mère m’appela pour dîner. Je séchai les quelques gouttes qui ruisselaient sur mes joues, j’éteignis mon ordinateur et je me dirigeai vers la salle à manger pour poser un nombre incalculable de questions sur les premières amours de mes parents. Tout d’abord étonnés, ils répondirent à mes interrogations avec de plus en plus de complicité.

 

Ce soir-là, je compris une chose… Le dialogue est possible. Pas avec tout le monde bien sûr, c’est pourquoi je pense qu’il faudrait avoir plus d’informations à l’école.

Parce que oui c’est “très bien” de savoir comment mettre une capote ou encore de savoir comment l’appareil reproducteur marche, mais il nous faut plus d’explications et d’ouverture d’esprit. Souvent, au collège, on nous enseigne le respect de l’autre. C’est fabuleux mais le respect ne s’applique pas seulement à la vie en communauté. Il est aussi utile quand tu es seul dans ta chambre et que tu allumes ton pc pour trouver des réponses à tes questions.

 

Alors la prochaine fois que vous ferez une recherche sur internet posez-vous la question: “Est-ce que je suis sûr que ce moteur de recherche sera le mieux placé pour répondre à mon questionnement…?”

 

La seule certitude que j’ai, aujourd’hui, c’est d’avoir fait du mal à une merveilleuse jeune fille ;

 et j’ai gâché probablement une des plus belles relations de ma vie.