Malaïka

Nouvelle écrite par Noémie Blocquaux-Cherpin,

sur le thème « La grande pauvreté, une violation des droits humains « 

 

Il y a maintenant 20 ans je vivais à Santo Antao, mon village natal dans les archipels du Cap Vert au large de l’Afrique. Là-bas nous vivions dans des maisons rafistolées à base de bidons d’essence rouillés, de vieilles plaques de taule et de palissades en bois défigurées par le temps, accrochées et assemblées par du sable humide de nos plages. De ce fait, nos organismes se battaient chaque jour pour ne pas céder à la mort. Dans mon village tout le monde était au-dessous du seuil de pauvreté, même Abdoulaye le dirigeant de notre indigent lieu de vie. Nous n’allions pas à l’école nous ne pratiquions pas de loisirs ni d’activités enfantines, nous passions nos journées dans le paysage volcanique qui clôturait de part et d’autre les frontières de nos habitations à chercher la moindre trace de plantes, baies, ou n’importe quels éléments comestibles. J’avais seize ans et à mon prochain anniversaire j’allais devenir voleuse de sable comme toutes les femmes de mon village. Les plages interminables, bordées de végétation luxuriante, jusqu’alors trésor de notre île, étaient déjà devenues de vraies mines creusées par nos figures maternelles qui tous les jours, au péril de leur vie, bravaient les vagues pour tenter de gagner une minable somme d’argent censée subvenir à leur vie et à celles de leurs enfants. Leur travail, qualifié d’inégal et réservé aux femmes était à l’origine de leur nom : « Les voleuses de sable ».

 

Un jour de forte pluie, ma vie prit enfin son vrai commencement. Alors que la cime des arbres remuait aux ondulations du vent et les toits des maisons palpitaient au rythme des intenses rideaux d’eaux, un 4X4 aux roues puissantes jaillit du décor noyé pour tenter de se frayer un chemin jusqu’à nous. Je vis ma mère comme paniquée par cette arrivée soudaine, j’en conclu que ces gens ne pouvaient être que les policiers, enfin décidés à arrêter les femmes du village, dont ma mère, pour leurs actes illégaux. Par la fenêtre j’aperçus Abdoulaye les accueillir avec de grands sourires, des poignées de mains et de bises chaleureuses. Ma mère fut tout aussi étonnée que moi de cette complicité avec ces gens inconnus. Il était évident que ces personnes étaient des étrangers, ni leur couleur de peau, ni leur façon de parler ni même encore leur manière de s’habiller n’étaient semblables aux nôtres. La pluie était trop violente, nous sortirons le lendemain pour savoir de quoi il en retournait. A l’aube je fus la première levée, impossible de dormir avec le froid de la nuit et la pluie glaciale qui gouttait à travers les plaques jusqu’à s’éclater sur notre lieu de repos ou encore sur nos corps faibles. Avec mon visage cerné et mes pas chétifs je me dirigeais vers la place de rassemblement où se tenait Abdoulaye, une étrange jeune femme, cette fois-ci seule, et quelques visages familiers de nos voisins ou amis harassés par la nuit ardue. La jeune demoiselle se présenta, c’était une journaliste encore débutante qui venait observer nos conditions de vie et de travail désastreuses. Elle s’appelait Dina et venait du Benin, celle-ci voyageait dans le monde pour livrer des articles variés à son pays ignorant de la vie extérieure.

Plus le temps passait, plus Dina s’intégrait et s’investissait dans notre vie de groupe. Elle gardait les enfants et leur faisait faire des jeux pendant que leurs mères travaillaient. La jeune fille nous accompagnait récolter de la nourriture et nous cuisinait le peu de denrées que nous possédions. Elle était même allée à plusieurs reprises épauler les femmes dans leur travail excessif. De temps en temps elle posait des questions aux principales figures du village et notait les remarques dans son petit carnet. Dina rédigeait l’article dans son recueil des violations des droits humains, ici confirmées par nos conditions de vie. Elle nous présenta la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et les droits dont nous étions privés : le droit à l’éducation, le droit à des conditions de travail justes et favorables, le droit d’être à l’abri de la faim et j’en passe. Au début nous ne savions pas en quoi consistait cela, mais après plusieurs explications de sa part nous comprenions que notre vie ici paraissait encore plus irréelle à la vue de celle des autres. Après avoir cité les problèmes elle nous proposa des solutions. Dina suggéra que nous pourrions toutes écrire un témoignage qu’elle incorporerait à son article et qu’elle organiserait une collecte pour nous envoyer des habits, de la nourriture et d’autres éléments essentiels pour la vie quotidienne. Pour ce qui est du travail illégal elle voulait faire une proposition au gouvernement du Cap Vert : encadrer le prix de vente du sable pour nous assurer un revenu correct.

Après deux semaines à nos côté, Dina repartit nous promettant de revenir avec de quoi vivre à peu près convenablement. Un mois s’écoula sans nouvelles de celle-ci. Entre temps j’avais eu dix-sept ans, j’allais donc chaque jour, avec ma mère charger ces paniers de parfois cinquante kilos sur ma tête. C’était bien plus compliqué que ce que je pensais, parfois je sautais le repas du soir juste pour me coucher plus tôt et gagner quelques minutes de sommeil. Je pensais qu’avec ce niveau de fatigue et la famine à mes trousses je n’allais pas apporter au villages la richesse qu’il attendait de moi.   

Un matin Abdoulaye nous réunis tous sur la place, Dina nous avait envoyé une lettre. La joie se lisait sur chacun des visages présents, mais chaque sourire s’estompa à la lecture d’Abdoulaye, le seul sachant lire. 

 « Mes chers amis, durant ce mois complet à essayer de convaincre le gouvernement de vous venir en aide, aucune administration, association ou particulier n’a approuvé ma demande, cela rend donc ma promesse impossible à mettre en œuvre. Je suis sincèrement désolée de ne vous apporter que des mauvaises nouvelles. L’article concernant vos conditions de vie et de travail a également été refusé à la publication sur journal, autre document papier ou électronique rendu public. Ils estiment que notre population a besoin de voir seulement des beaux pays où tout se passe bien afin de donner aux habitants l’envie et la curiosité de le visiter mais en aucun cas de la pitié. Encore désolée et bonne chance pour la suite. Je pense fort à vous, Dina ».

 Chacun repartit dans le silence, abattu par le désappointement, certains même en colère contre eux d’y avoir cru. La vie repris son court habituel de combat permanent.

Ce soir-là je partis sur un coup de tête, à pied sans même savoir ou j’allais, je savais me débrouiller sans rien, car c’était comme ça depuis ma naissance. Je montais dans une petite embarcation et me mis à ramer. Je ne m’étais jamais sentie aussi vivante que ce jour-là, je ramais sans m’arrêter, sans savoir ou j’allais ; si, je savais, je voguais vers ma nouvelle vie, ma vraie vie.

Mon voyage, rempli de découvertes, de subjugations et d’excitations lors des visites des pays étrangers, dura vingt longues années. Arrivée à Paris, capitale française, je me rendis à Amnesty International, un mouvement mondial réunissant plus de 10 millions de personnes, à l’unique but, agir pour que les droits fondamentaux de chacun et chacune soient respectés. Ils mettent en œuvre leur principe en organisant des événements publics et des activités de sensibilisation, en faisant signer des pétitions autour d’eux, en envoyant des lettres de solidarité ou en faisant pression sur les autorités. Cette organisation m’a tout donné, m’a tout appris pour devenir la femme que j’ai toujours rêvé d’être.

Et c’est aujourd’hui, à vous, mesdames et messieurs, à cette assemblée, que je présente mon parcours afin que vous puissiez aider ce petit peuple à l’autre bout de la terre, par une signature de votre part. Par une simple signature de votre part, vous épargnerez la mort d’un de vos semblables.

Je parle au nom de milliers de personnes, pour défendre les gens comme moi autrefois. Des milliers de personnes dont les droits fondamentaux sont bafoués et qui, eux, n’auront pas la chance de s’exprimer librement comme je le fais actuellement.

Et c’est seulement maintenant, à l’achèvement de ce discours, que pour la première fois depuis le début mon existante, je me dis que j’ai vraiment réussi ma vie. Je m’appelle Malaïka et c’est mon histoire.