Influence

Nouvelle écrite par Tamara BESSARD, Bertille COLLET, Angelina BOUILLOT, Margaux GENTET et Maël DELIAVAL

sur le thème « La grande pauvreté, une violation des Droits Humains »

 

Comme tous les jours depuis vingt-trois ans, Marc était là, sur le trottoir d’une rue du 7ème arrondissement de Paris. On était au mois d’octobre. Assis par terre, Marc avait une misérable couverture et une veste en guise de coussin. Il portait le même blouson depuis longtemps.  Sa longue barbe blanche sale arrivait juste au-dessus de son torse. Marc ne possédait rien et personne ne se tenait à ses côtés. Seuls les passants le regardaient, avec méfiance, comme si le sans-abri allait leur sauter à la gorge. Les gens le jugeaient, certains même, en le voyant, disaient qu’il se trouvait là car il l’avait choisi, qu’il n’avait jamais eu envie de travailler, que c’était tout simplement un fainéant. Marc avait bien essayé maintes et maintes fois de trouver du travail, seulement, il était refusé partout. Il n’avait ni les diplômes requis ni le physique qui attirait les gens, car il n’était pas apprêté correctement pour avoir sa place dans un magasin ou ailleurs, selon les employeurs.

Régulièrement, il se rendait auprès d’une association qui lui fournissait un petit repas, de l’eau et des sourires.  Avec le peu d’argent que les passants lui donnaient, il s’achetait un sandwich lorsqu’il le pouvait.

 

Alors qu’il se reposait un après-midi, un petit chien vint le voir. Sa propriétaire s’arrêta puis, en voyant l’homme heureux d’avoir un peu de présence, elle sourit et le salua :

« Bonjour monsieur !

– Bonjour, votre chien est adorable ! Ça fait du bien de voir cette belle énergie et de recevoir un brin d’attention ! s’exclama Marc, le sourire jusqu’aux oreilles.

– Il s’appelle Rocky ! » expliqua la jeune femme.

Ils commencèrent à discuter, échangèrent leurs prénoms. La jeune femme, Léna, lui demanda depuis combien de temps il vivait à la rue, comment il en était arrivé là.  Marc raconta brièvement son histoire : il lui expliqua que vingt-trois ans auparavant, son épouse et ses deux enfants étaient décédés, lors d’un accident de voiture. Après cet événement, il ne se sentait plus en mesure de travailler, il était incapable de rester dans la maison dans laquelle il avait vécu avec sa famille : elle était maintenant vide. Depuis cet incident, il souffrait du syndrome de la culpabilité du survivant et pensait ne rien mériter de plus que la rue. Léna était très touchée par son histoire. Après avoir discuté pendant une bonne demi-heure, la jeune femme dut partir et promit à Marc qu’elle reviendrait le lendemain à la même heure. Marc était très content d’avoir pu passer du temps avec quelqu’un.

La nuit commença à tomber sur Paris. La ville s’éteignit, tous les volets commencèrent à se fermer, les portes se verrouillèrent, les chats rentrèrent par leurs chatières pour se blottir aux pieds de leurs maîtres, bien au chaud. Et Marc s’adossa contre le mur d’un bâtiment, tira sa couverture sur lui, observa les étoiles, pensant à sa famille partie trop tôt, puis il s’assoupit, rêveur, tout en laissant une larme couler sur sa joue.

Le lendemain matin, il se réveilla à cause du bruit et de l’odeur des voitures qui passaient dans les ruelles de Paris. Il observa ces voitures, des voitures neuves, luxueuses. Comment pouvait-on se payer pareils engins ? Comment des gens pouvaient-ils être aussi riches alors que d’autres travaillaient sans relâche sans pouvoir payer leurs factures, comme Tonio, que Marc connaissait un peu ? C’était à n’y rien comprendre.

L’après-midi, Léna fut de retour avec Rocky et le petit chien était plus en forme que jamais !

La jeune femme lui apportait un plaid bien chaud, un pull, un pantalon ainsi que de quoi manger. Marc fut très ému par ce geste. Il la remercia mille fois pour ces dons.

Léna lui proposa alors d’aller faire un tour au parc, ce qu’il accepta volontiers. Il apprit que la jeune femme était influenceuse et qu’elle se filmait quotidiennement avec Rocky, pour ensuite pouvoir poster ses vidéos sur les réseaux sociaux. Léna était suivie par près de deux millions d’abonnés. Elle demanda à Marc si elle pouvait partager, avec sa communauté, les moments passés avec lui, son histoire. L’homme accepta de bon cœur.

 

Cela faisait deux mois déjà que les chemins de Léna et Marc s’étaient croisés. Léna et Rocky rendaient visite au sans-abri presque tous les jours. Ils avaient tissé ce qui semblait être un lien d’amitié. Elle partageait les moments passés avec Marc tous les jours en se filmant.

Les gens qui suivaient Léna l’encourageaient à poursuivre ainsi, sauf certains qui nuisaient à son espace commentaire, elle les appelait les «haters». Durant ces deux mois, elle avait emmené Marc au restaurant, chez le coiffeur, promener Rocky et faire plein d’autres choses banales, mais pour le sans-abri, c’était loin d’être dans ses habitudes.

Dès que Léna ne trouvait pas Marc là où il était habituellement, elle s’inquiétait. Elle lui avait donc acheté un téléphone pour l’appeler. Pendant ces deux mois, Marc s’était métamorphosé, il était bien mieux apprêté qu’avant, sa barbe était bien taillée, ses cheveux bien coupés, ses vêtements moins usés. Il paraissait vingt ans de moins.

Léna décida d’ouvrir une cagnotte sur les réseaux afin de trouver un logement pour Marc. Quatre mois après, elle récolta près de 30 500 euros grâce à ses abonnés. Elle annonça à Marc ce qu’elle avait réuni pour lui :  il fut extasié devant cette somme !

Elle s’était déjà renseignée pour trouver un endroit à Paris où Marc serait bien, sans être seul. Elle était tombée sur des sortes de foyers où il aurait son studio rien qu’à lui, mais dans un bâtiment avec un salon en commun, un restaurant en bas pour les habitants du bâtiment et du personnel adéquat pour ce genre de personnes. Il y en avait trois, un hors de prix, un autre pas très bien noté sur internet et un qui avait l’air plutôt pas mal sans être trop cher ; de plus, il se situait dans l’arrondissement dans lequel Marc vivait, ce qui ne le dépayserait pas trop. Elle exposa le fruit de ses recherches à Marc qui semblait très enthousiaste à l’idée d’emménager. Ils se rendirent sur place pour visiter le bâtiment. L’homme fut convaincu qu’il voulait vivre là, que c’était merveilleux. Ils demandèrent à la secrétaire de l’accueil s’il restait un studio dans l’immeuble, c’était le cas. 

La secrétaire leur transmit quelques informations. Léna et Marc sortirent de l’immeuble enjoués. Ils discutèrent un long moment, Marc avait droit à deux semaines d’adaptation pour voir s’il voulait vraiment rester. Il séjourna deux semaines dans cet immeuble, tout se passa merveilleusement bien : il pouvait dormir sans avoir peur, sans avoir froid, sans avoir mal dans tout le corps. Il pouvait se laver ! Il décida donc de signer le bail, Léna payerait le loyer…

 

Les semaines passèrent et Léna faisait de moins en moins de vues avec Marc. Les abonnés se lassent, demandent toujours de la nouveauté… Le SDF ne faisait plus recette. L’influenceuse décida d’arrêter de se filmer avec le sans-abri. Marc ne la vit plus. Cette absence l’attrista beaucoup.

Un jour de février, un homme frappa à la porte et lui expliqua qu’il devait vider son studio puisqu’il ne payait plus son loyer.

Marc comprit alors que Léna n’avait pas tenu sa promesse. Comment avait-il pu croire qu’une personne s’intéresserait à un vieillard vivant seul dans la rue ? Pouvait-il seulement lui en vouloir ?

Il fit son sac avec le peu d’affaires qu’il possédait, malheureux à l’idée de quitter cet endroit, ce cocon ; il fallait retrouver le trottoir, sa dureté, son indifférence.

Le lendemain, il se retrouva dans le froid et l’arrogance des rues de Paris.

Il se jeta dans un café pour se réchauffer et vit sur l’écran télévisé une vidéo de Léna avec un rat qui faisait le buzz ! Un rat l’avait remplacé ! Un rat lui volait la vedette ! Il n’avait été qu’un jouet pour Léna, un faire-valoir ! Toutes les têtes étaient tournées vers cette vidéo stupide et lui, sur son trottoir, personne ne le verrait plus. Une larme tomba dans son café : jamais il ne lui avait paru aussi amer.