L’arche

Nouvelle écrite par Nestor BOUQUIN

sur le thème « Vers un accueil équitable de tous les migrants »

 

Première mission terminé. On les a débarqués ce matin dans un port sûr. Que vont-ils devenir ?

 

        Tout a commencé il y a trois semaines, nous étions à la recherche de bateaux à secourir depuis plus de trois jours quand nous avons aperçu une petite embarcation à plus de six miles de distance. Elle paraissait frêle et surpeuplée, coquille de noix dans l’immensité de la mer. À vue de nez j’aurais dit qu’il y avait plus de soixante-dix personnes entassées sur un minuscule bateau pneumatique à peine digne d’en transporter une vingtaine. Le capitaine orienta immédiatement le cap à tribord, en direction de l’embarcation. L’Arche fonçait droit vers eux tandis que l’équipe de sauvetage se préparait. Elle armait les canots semi-rigides avec une vitesse et une facilité incroyables. J’étais ébahi face à leur efficacité. La plupart des sauveteurs avaient mené plus d’une dizaine d’opérations, moi, à l’inverse, je débutais à peine, c’était ma première intervention.

 

        L’Arche était un immense navire dépassant les soixante-quinze mètres de long pour une largeur d’environ quarante mètres. Il disposait de cinq canots semi-rigides, d’une cabine de pilotage à la pointe de la technologie et, afin de repérer les embarcations de migrants, d’une passerelle à trois-cent-soixante degrés au sommet de la salle de contrôle. Il y avait aussi une grande infirmerie pour vérifier l’état de santé des rescapés et si besoin leur administrer les premiers soins. Des douches, placées à proximité de l’infirmerie, permettaient aux naufragés de se laver et de se débarrasser du sel qui, après plusieurs jours en haute mer, leur collait à la peau. À l’arrière du bateau se trouvait une salle mortuaire. Deux abris étaient prévus, un pour les hommes, un autre pour les femmes et les enfants.

 

        Notre navire s’était enfin rapproché de l’embarcation, les canots avaient été déployés afin de stabiliser le bateau des naufragés qui risquait dangereusement de sombrer dans la mer. Tandis que les gens appelaient, hurlaient, à la fois soulagés et paniqués, les sauveteurs leur distribuaient des gilets de sauvetage et tentaient de les calmer, leur expliquant comment l’opération allait se dérouler. Les femmes, les enfants, les blessés seraient évacués en premier. Les chaloupes de sauvetage faisaient des aller-retours incessants entre l’Arche et le radeau des miraculés. Finalement ce furent dix-sept enfants, vingt-huit femmes, dont trois enceintes, et quarante-deux hommes qui débarquèrent. Tous sauvés. On leur donna à boire, à manger, des couvertures pour se réchauffer, ils furent ensuite pris en charge par les infirmiers, le médecin et la sage-femme présents sur le navire.

 

        Peu à peu le calme revenait sur l’Arche, les rescapés pouvaient enfin souffler. Certes leur vie était sauve mais tous étaient traumatisés par leur fuite périlleuse en mer, déshydratés, brûlés par le soleil ou intoxiqués par le carburant. Tous avaient fui l’enfer libyen. J’entendais des bribes de conversations par-ci par-là, toujours les mêmes mots : prison, faim, soif, travail, coups, torture, rançon, viol, visa, police, passeur, argent. Et avant la Libye d’autres malheurs, d’autres histoires, d’autres tragédies. La plupart venaient d’Afrique subsaharienne, tant de l’ouest que de l’est, du Sénégal, du Mali, du Nigeria ou d’Éthiopie, du Soudan, de Somalie, du Kenya. Ils avaient passé beaucoup de frontières, vécu dans différents pays loin de chez eux. Certains cherchaient de meilleures conditions de vie, d’autres fuyaient la guerre. En Libye, ils espéraient du travail, ils ont trouvé la ruine, la violence et le désespoir.

 

        Fuir. C’est ce qu’ils ont fait. Et maintenant ? Maintenant, il fallait accoster. Le capitaine contacta naturellement le port le plus sûr. Selon le droit maritime international celui-ci aurait dû nous accueillir mais, contre toute attente, les autorités refusèrent…. Il y eut plusieurs tentatives de négociations, des pourparlers à n’en plus finir. En vain. Plusieurs jours passèrent. À bord la vie devenait de plus en plus compliquée. Les tensions s’intensifiaient, dues à la promiscuité, la fatigue, l’impatience et la lassitude, auxquelles les rescapés devaient faire face. La situation était catastrophique. Nous n’en pouvions plus. Les réfugiés vivaient très mal ce nouveau rejet, certains menaçaient même de se jeter par-dessus bord. Enfin, un pays se décida à agir et à accueillir le navire. Le capitaine redémarra les machines et mit le cap en direction de la terre.

 

        Dix-sept enfants, vingt-huit femmes, dont trois enceintes, et quarante-deux hommes débarquèrent en lieu sûr. Je ressentis un immense soulagement mais des questions me taraudaient.

 

        Que vont-ils devenir ? Combien d’entre eux pourront rester en Europe ? Combien seront renvoyés chez eux ? Quels sont les malheurs éligibles à l’asile ? Jusqu’à quel point doivent-ils souffrir pour être accueillis ? Les mineurs sans parents seront gardés mais les autres ? Que vont-ils devenir ? Renvoyés chez eux ?