Nouvelle écrite par Tania Canova, Betty Boaventura et Sélèn Zanovello, Classe de1ère au lycée René Perrin d’Ugine (73) – Professeures : Mmes Trouessin, Agut et Solezzo
Juin 2000 Dans une petite propriété de Saint-Pierre, Mr et Mme Martin, venaient de mettre leur fils Julien à la porte. Le regretteront-ils? « Certainement pas ! », affirmaient-ils à quiconque leur demandait. Mais une question à laquelle ils ne donnaient jamais réponse, c’était « Pourquoi, que s’est-il passé, ce soir-là ? ». Ces derniers se taisaient alors subitement, enfouissant le souvenir de cette soirée en eux.
10 ans plus tard
Le soleil se levait sur les mêmes maisons en pierre, sur les mêmes jardins fraîchement tondus, et les mêmes allées soigneusement entretenues de Saint-Pierre. Chez les Martin, commençait la même routine habituelle, soigneusement organisée.
« – Quel est notre programme ? demanda Pierre Martin à sa femme.
– D’abord la messe, puis nous irons au restaurant qui vient d’ouvrir.
– Parfait. »
Au même moment, l’avion G159, partant de Genève en direction de la ville voisine de Saint-Pierre venait d’atterrir.
« – Prête ?
– Bien sûr. »
Un couple se dirigeait vers la gare, main dans la main, pressé d’arriver à leur destination finale. En milieu de matinée, à dix heures tapantes retentissait la sonnerie qui annonçait l’heure de la messe, la cérémonie pouvait débuter. Quelques heures plus tard, les Martin commandaient leur plat. Au même moment, Marc et Sarah avaient déposé leurs valises et s’apprêtaient à aller se poser au café le plus proche, épuisés. Mais en passant devant un restaurant du centre-ville, ils décidèrent d’y entrer.
Qui sont ces gens ? se demandaient les Martin, à présent attablés.
En effet, dans une petite ville comme Saint Pierre, tout le monde se connaissait, et le lieu étant peu touristique, rares se faisaient les nouveaux visages, bien que la magnifique jeune femme ait un air familier que le vieux couple ne savait définir. Ceci étant, les Martin leurs proposèrent de s’asseoir avec eux, le restaurant étant bondé. Cela allait aux deux couples, l’un pouvant à présent satisfaire sa curiosité envers les nouveaux venus, l’autre, pouvant socialiser dans une petite ville comme celle-ci.
« – Bonjour, nous nous présentons, je suis Mr Pierre Martin, voici ma femme Isabelle. Comment vous nommez-vous ?
– Je suis Marc, et voici ma femme, Sarah.
– Déjà mariés, vous me semblez pourtant jeunes. Et bien félicitations.
– Merci, vous êtes du coin ? demanda à son tour Sarah.
– En effet, nous sommes installés ici depuis une bonne vingtaine d’années.
– Impressionnant, vous devez avoir des tonnes d’histoires à raconter et j’imagine que vous devez être plutôt connus et appréciés dans le coin, lança Marc.
– Pas vraiment, répondit Isabelle Martin.
– Il se trouve que nous ne sommes pas tellement aimés au vu d’un élément qui s’est déroulé il y a près de 20 ans, poursuivit son mari. Mais nous ne voudrions pas vous ennuyer avec ce récit.
– Ne nous racontez cette histoire seulement si vous en avez envie, cela ne nous dérange pas de l’entendre, mais on ne veut pas vous forcer la main, dit Julien.
– Pour tout vous dire, nous avons eu un fils autrefois, Julien. Nous vous en parlons au passé, car bien que nous supposions qu’il est toujours vivant, il est mort pour nous, et ce depuis longtemps, débuta Pierre. »
En entendant cette phrase, le plus jeune couple eut un regard interrogateur.
« – Peut-être nous jugerez-vous, sûrement d’ailleurs, mais bien que nous aimions notre fils de tout notre cœur, pour son bien et le nôtre, nous l’avons mis à la porte, continua Isabelle.
– Je me demande bien ce qui peut justifier une telle chose, dit froidement Sarah.
– Cela a commencé par des demandes futiles mais dérangeantes. Il voulut d’abord repeindre sa chambre en rose, nous demandait des objets habituellement destinés aux jeunes filles. Nous avons laissé passer, tout en refusant continuellement ses demandes, et en lui expliquant que son comportement n’était pas approprié. Mais il a vraiment dépassé les limites quand il nous a rétorqué après une énième réprimande qu’il aurait préféré être une fille. Nous l’avons alors envoyé dans une maison de correction, de laquelle il est revenu un an après. Au début, tout semblait aller pour le mieux, dieu merci. Mais seulement, quelques mois plus tard, tout recommença. Plusieurs fois, nous l’avons surpris à se faire appeler « elle», par ses amis. Un jour, il nous demanda de l’appeler par un prénom féminin qu’il s’était lui-même choisi. Ce fut la goutte de trop. Ne supportant plus la situation et pour son bien, nous l’avons mis dehors, évitant ainsi la honte de s’abattre sur notre famille. »
Ce récit étant terminé, un silence glacial s’était abattu sur la table. Sarah et Marc se regardaient, crispés, ne sachant que dire. Isabelle s’apprêtait à renchérir, mais la jeune femme l’interrompit.
« – Vous rendez-vous seulement compte de vos propos ? Sous couvert de religion, vous avez gâché la vie d’une enfant, vous vous êtes rendus inhumains par votre cruauté. Vous rendez-vous compte seulement donc à quel point vous avez fait souffrir votre fille ? Comment avez-vous pu lui refuser d’être une femme, chose qu’elle n’a jamais choisie. Ne pouvez-vous ne serait-ce qu’imaginer sa douleur, sa peine, de ne jamais se sentir bien ? D’avoir envie de mourir en se voyant chaque jour dans le miroir ? D’être en permanence dans un corps qui ne lui a jamais correspondu, qui n’était pas le moins du monde à son image ? Mettez-vous à sa place, de lire le dégoût et la haine dans le regard des personnes les plus chères de son monde. »
Sarah avait sorti ce discours d’une traite, ne laissant pas le temps aux Martin d’argumenter. Ne sachant plus que dire, ni ou se mettre, littéralement abasourdis, et profondément choqués, Isabelle et son mari après s’être regardés furtivement, partirent précipitamment. Marc pris quelques secondes avant de s’adresser à sa femme :
« – C’était un sacré discours, je ne te pensais pas vraiment du genre à t’opposer de cette manière à des inconnus.
– Ce ne sont pas vraiment des inconnus, articula Sarah.
– Comment ça ? Je ne comprends pas.
– Tu sais que cette ville est ma ville natale, tu sais également que je me suis faite jeter dehors l’année de mes 15 ans, et pourquoi. Alors fais le rapprochement.
– Mon dieu, réalisa Marc. Je ne sais honnêtement pas quoi dire. Tu veux qu’on s’en aille ?
– Non, ils ont gâché mon enfance, ils ne gâcheront pas non plus ce voyage. »
Le couple sortit du restaurant, Sarah repensant à cette nuit horrible, où les Martin l’avait mise dehors, sans aucune pitié, se faisant la promesse de leur dire qui elle était si elle les recroisait.