Nouvelle écrite par Léna Roche, classe de Terminale au lycée René Perrin d’Ugine (73) – Professeures : Mmes Trouessin, Agut et Saluzzo
J’arrive enfin dans ce fichu restaurant. Ce foutu bar restaurant, et là le stress commence à monter. Cette fille, c’est autre chose. Dès la première seconde, j’ai directement vu en elle quelque chose de différent. Quelque chose de doux, de beau, d’apaisant… Quelque chose qui m’attire, qui me ramène vers elle, qui me donne envie de la connaitre. Mais, est ce que cela la fera fuir ? Est-ce que cela va l’éloigner, lui faire peur, lui poser des questions sur moi, sur qui je suis ? N’imaginons pas le pire, je vais essayer de rester positif, elle a accepté d’enfin me rencontrer, qu’on boive un verre, qu’on mange un morceau, qu’on parle, et, qui sait ce qui pourrait s’ensuivre ? Je traverse la salle principale pour trouver une table à deux, dans un coin, pour qu’on soit tranquille, loin de cette musique bien trop forte, un rock des années quatre-vingt, qui rappelle la jeunesse des plus âgés dans ce bar, qui sent le whisky et la cigarette froide. J’ai enfin trouvé une table, isolée au fond de la salle, avec une petite lumière juste au-dessus, on se croirait presque dans un vieux film.
Je passe à côté d’une famille, deux enfants, des jumeaux je crois et deux parents, un homme et une femme. Ils sont encore jeunes, enfants comme parents, ils passent un bon repas, plein de rire, ils passent un très bon moment, rien ne pourrait le briser… et pourtant, leurs regards s’emplissent de jugement dès qu’ils se posent sur moi, on sent un regard de gêne venant de la femme, un regard de dégoût venant de son mari. Une envie de vomir, je baisse le regard, trop de douleur en les croisant… ça me rappelle que, juste en étant qui j’ai envie d’être, en me montrant comme j’ai envie d’être perçue, et bien je suis trop. Je suis en trop. Je fais tache sur le beau tableau qu’on aimerait avoir. On n’a pas envie de voir un garçon qui se maquille dans le fond de ses photos de famille, comme dirait ma chère mère.
Je m’assois enfin à cette table, cette table qui, doucement, prend une couleur plus sombre, tout devient plus noir, plus triste… Toutes les couleurs commencent à disparaitre, tout fond, comme si la température de la pièce avait augmenté, comme la glace de la banquise qui disparait dans l’océan. Une envie de ne plus être là, pour des paillettes qui illuminent mon regard, tout ça car je ne leur ressemble pas. J’en ai marre de cette société. Je vais m’enfermer dans les toilettes, au fond du couloir à côté de notre table, retenant mes larmes, mes larmes de faiblesse, mes larmes qui pourtant trahissent mon genre, qui ne sont pas masculines, qui ne cachent pas assez bien mes sentiments, qui cassent ce mur entre les autres et mes sentiments. Je claque la porte derrière moi, m’enferme, et me pose au-dessus du lavabo, en faisant couler l’eau.
Pourquoi ce monde ne m’accepte pas ? Je suis un homme, un homme avec des goûts, des envies d’homme. Je suis tout ce qu’il faut pour les rendre fier, je connais les différentes parties d’une moto, je sais ouvrir une bière avec mes dents, apprécier un match de foot, j’aime le sport, je prends de la place, je parle fort … Je suis tout ce qu’il y a de plus banal, de plus cliché, de plus stéréotypé. J’aime les robes, j’aime des choses de filles, qui pourtant ne me rendent pas moins homme, pas plus femme. Pourquoi cette société n’autorise-t-elle qu’un seul de ces choix ? Pourquoi ne peuvent-ils pas se mélanger ? Comme si l’un empêchait l’autre, comme si toutes ses choses étaient étroitement liées, et qu’elles ne pouvaient coïncider. Pourtant, je suis la preuve vivante que si. Suis-je une erreur de la nature alors ? Est-ce qu’on m’a mal éduqué, mal construit, est-ce que je suis malade ? J’en ai marre de cette société, de ce monde qui nous empêche d’être bien dans notre peau avec quelque chose qui ne nous a pas été assigné à la naissance. Vous savez quoi ? J’en ai marre. Marre de cette société où je dois cacher qui je suis. Marre d’avoir peur de me montrer tel que je veux qu’on me voie.
Cette fille, elle va peut-être prendre peur, s’enfuir en me voyant, me cracher à la gueule, mais au moins, elle m’aura vue moi, celui que je suis au fond de moi, et que je veux montrer au monde entier, comme un artiste exposant son plus beau chef d’œuvre dans une galerie d’art. Si elle est faite pour moi, elle m’aimera comme je suis, qu’importe ce que je suis. Je sors des toilettes, je ne tremble plus, je suis fier, fier de montrer que je m’aime et que je m’assume, qu’importe ce que les autres pensent. Après tout, je ne les reverrais sûrement jamais, à quoi bon m’imaginer ce qu’ils peuvent penser de moi ? Je repasse devant cette table, celle de la famille, croisant le regard du père, et je lui lance un grand sourire, fier, peut-être un peu narquois, car qu’importe ce qu’il peut penser, bah je m’aime. Il baisse les yeux, fixant son assiette comme s’il avait honte de ce qu’il avait pensé de moi, que j’étais faible, qu’il allait pouvoir m’écraser avec son regard, et pourtant, je suis toujours debout, toujours aussi fier. Je me rassieds, et commence à chercher ce que je compte boire, afin d’être préparé pour quand elle arrivera.
La salle reprend des couleurs, la musique devient plus entraînante, ce foutu bar restaurant ne me fait plus peur, je trouve ma force dans le stress qui m’accompagnait en entrant. La petite clochette de la porte retentit, et c’est elle. Un chignon roux, des lunettes … C’est exactement elle, presque plus belle que quand je l’ai rencontrée. Elle balaye la salle du regard, avec un petit fond de panique, elle cherche quelque chose, elle me cherche, moi. Nos regards se croisent, et un grand sourire prend la place de la panique. Elle avance très rapidement vers la table, avec un sourire un peu gêné et les joues teintées de rose un peu orangé : elle avait mis du blush, et il lui allait à merveille. Prenant place sur la chaise en face de moi, elle brise le silence, et m’adresse ses premiers mots…
« Je suis vraiment désolée du retard, j’ai eu du mal à trouver le restaurant, et… J’adore ton maquillage. »