Nouvelle écrite par Dorian, Julie, Cyane et Alexis, classe de 3ème au collège Pompidou de Claix (38) – Professeures : Lucie Lasbleiz et Carine Pain
« Message à tous les Talibans sur Bagram, dispersez les manifestants, vous pouvez tirer à balle réelle mais évitez de tuer… allez-y ! Terminé »
On court vers la foule, affolée, on lance des fumigènes, on tire en l’air. À ma droite, un homme tousse dans la fumée en se protégeant le nez et les yeux. À côté de lui, un blessé est au sol. Des enfants pleurent. J’entends des cris stridents. Tout le monde se précipite, se bouscule. On rattrape les retardataires : je vois un homme face à moi d’à peu près mon âge. Je dois faire mes preuves : je lui mets un coup de crosse et le balance dans le van.
Avant de partir, je l’attache fermement, ramasse son petit couteau qui était tombé par terre et lui bande les yeux. Ensuite, je le fouille et récupère ses papiers d’identité : il s’appelle ZAHID Samir et a 23 ans comme moi.
Deux heures plus tard, on est arrivé à la gigantesque prison de Parwan. J’emmène l’homme dans une cellule à part, il me faut des informations sur cette manifestation illégale, je n’ai plus de temps à perdre. Il est réveillé et n’oppose pas de résistance, juste de l’hostilité. Attaché solidement à sa chaise, il ne peut plus rien faire, c’est un bon début. Un autre taliban arrive, je lui tends les papiers de Samir, il s’occupe de lui, pour aujourd’hui au moins
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Trois jours plus tard, à huit heures du matin, je récupère Samir dans sa cellule. Il a enfilé la combinaison orange des détenus qui est déjà maculée de sang. J’ai un mouvement de recul, un haut le cœur… Mais seulement un bref instant.
Je n’ai jamais torturé personne mais là, c’est pour la bonne cause, j’en suis persuadé. Pour l’instant, le détenu n’a pas lâché une information. Je m’approche de lui et lui attache les menottes électroniques au poignet, je mets le générateur sur 280V et j’enclenche sans trop me poser de questions. Brusquement le prisonnier pousse un cri de douleur, s’effondre et reste immobile. Je respire et déglutis, il est sûrement évanoui. Je m’avance vers lui mais j’entends au bout du couloir les pas réguliers de mon supérieur qui arrive. Je lui dis immédiatement que Samir fait semblant d’être mort et que je me remets au travail.
« Laisse-le, on reprendra plus tard. » m’ordonne-t-il avant de repartir, non sans avoir regardé rapidement l’homme orange affaissé. Suivant son regard, je jette un coup d’œil à Samir : il ne bouge toujours pas et il est devenu très pâle. J’approche mon visage de lui et lui attrape brusquement le poignet, pour étouffer mes doutes : il n’a plus de pouls. Je tremble de tout mon corps, pris d’une soudaine crise d’angoisse. Je recule précipitamment, prends conscience de la situation, le fixe longuement, horrifié, puis pars en courant. Je croise une cellule et plonge dedans, m’avachis par terre et les mains sur la tête, je pleure. En regardant par la minuscule fenêtre à barreaux, je réfléchis.
Plus jamais. Pourquoi ça s’est passé comme ça ? Pourquoi est-il mort ? Évidemment, ce n’était qu’un civil, il n’était pas très résistant…C’est à cause de moi qu’il est mort ! C’est de ma faute si je suis ici, pas de la sienne ! Comment puis-je faire maintenant ? Il faut que je parte d’ici, que je me cache. Ou plutôt il faut que cette situation ne se reproduise pas : je vais aider tout le monde…ou du moins les gens que j’aurais pu torturer et que désormais je veux aider. Il faut que je me dépêche pour sortir d’ici, ne pas me faire attraper, rassembler des informations et des personnes ! Le temps est compté.
Je reprends mes esprits, je marche dans les couloirs vides, puis je me mets à courir. Je sors dans la cour de la prison. « Sois logique : tout doit paraître normal. Respire. » Je m’oblige à lever la tête, à reprendre mon air impassible, à laver mon expression horrifiée. Si je veux agir, il me faut des preuves : je retourne à l’intérieur tout en contenant mon angoisse du moins en façade. Et je prends des photos de tout : des lieux, des prisonniers, des instruments de torture, des taches de sang….
Tout ce qui pourrait faire esclandre. J’ai une boule au ventre en voyant les prisonniers encore et toujours en combinaisons orange, certaines devenues rouges de sang séché. Ils seront sauvés, j’en fais la promesse. Je vois maintenant l’atrocité de cet endroit et l‘aperçois sous un jour nouveau, sinistre. Je fuis d’ici tout en essayant d’être naturel : je montre mon badge, prends une voiture et m’enfuis de cet enfer. Je suis en état de choc et j’en ai conscience. Toutes mes croyances sont brisées. Dans un état second je pars, le plus vite possible, j’ai de l’argent ; pas de problème. Le voyage va être long, je vais quitter l’Afghanistan, traverser tout l’Iran, pour rejoindre la Turquie, puis l’Europe. Je vais y arriver. Cette histoire va faire scandale dans le monde entier.
« Révélations : une histoire en Afghanistan », « une prison aux mains des talibans, un peuple torturé », « des nouvelles accablantes de la prison de Parwan », « La vérité sur la prison de Parwan en photo !», « Que les âmes sensibles s’abstiennent… », « Un récit horrible d’un ancien bourreau ». Autant de titres sont parus cette semaine.
Je n’ai plus beaucoup d’argent depuis déjà un bon moment, mais je suis en France. Ma participation est anonyme dans ce genre d’article, j’ai toujours peur de me faire rattraper par mes anciens « collègues ». Le chapeau du premier article qui est paru est celui-ci :
« Révélations : une histoire en Afghanistan
Un ancien taliban s’échappe de son pays après avoir torturé et tué :
Le récit de souvenirs et d’une prise de conscience unique. »
Des associations viennent me voir tous les jours, je dialogue avec des traducteurs : je ne parle pas le français ce qui rend les discussions difficiles. Après la parution de ces articles, le monde entier est au courant de la situation. Et plus important encore : on ne peut plus ignorer ce qui se passe. Des pétitions sont en cours, des lettres pour faire pression sur les gouvernements sont envoyées tous les jours. Il est difficile d’intervenir ou d’aller prendre des photos sur le terrain, alors on fait ce que l’on peut de l’extérieur. Je crois de plus en plus que je pourrai tenir ma promesse.
Cela fait maintenant trois mois que je suis en Europe. Je suis en train de travailler sur un nouvel article avec une traductrice, lorsque la porte s’ouvre en grand et une employée de l’association de la FIDH (Fédération internationale pour les Droits Humains) s’écrie les yeux brillants : « On a réussi ! Ils ont libéré tous les détenus de Parwan ! Si on continue comme ça, on pourra sans doute faire changer les choses à grande échelle.