Le sourire

 

Nouvelle écrite par Alicia Da Costa Coutinho, élève de 1ère, Atelier Sciences Po au lycée Edgar Faure de Morteau. Professeurs : Mmes Rognon et Chopard-dit-jean

 

Tous les matins, il était habillé d’une veste grise en laine, et il tenait un parapluie dans les mains, même lorsqu’il ne pleuvait pas. Tous les matins, il avait ce même sourire qui fleurissait innocemment au coin des lèvres et qui étirait doucement ses traits creusés par l’âge. Immédiatement cela provoquait chez les autres un attachement naturel, sans avoir besoin de le connaitre un peu plus. « Oh le gentil monsieur ! » avait-il déjà entendu dire de nombreuses fois. Tous les matins, il passait prendre son pain encore fumant chez la boulangère. Et il offrait à la fille de celle-ci une petite caresse affectueuse sur le haut de son crâne. Tous les matins, il passait prendre son journal au Tabac et achetait les mêmes cigarettes depuis 50 ans en se vantant de ne pas avoir attrapé cette saloperie de cancer.

Tous les matins, la même rengaine, la même chanson. Un refrain dont il ne se lassait pas et qu’il chanterait jusqu’à ce que la mort survienne.

Comment pouvoir avoir des soupçons ? Comment se méfier ? Il est si gentil, racontait la voisine. Le pouvoir de passer inaperçu, c’était uniquement grâce à Internet. Car tout était devenu plus facile. Il pouvait désormais se cacher dans l’ombre, sans que personne ne le remarque. Il pouvait changer de visage. De corps. Mais surtout, d’âge. Il avait pas mal de pseudonymes. Jules52, un dépressif qui avait besoin de soutien pour s’en sortir, se taillant les veines pour se réconforter. Lenny@, un mauvais garçon des cités au corps remarquable, la rébellion dans l’âme. Ou encore, MathisX, un jeune blondinet sensible, harcelé, qui voulait juste avoir des amis. Ça commençait par des conversations normales. Il était très doué en tant qu’acteur et pianotait sur son écran aussi vite qu’il le fallait. Elles avaient maximum 14 ans, encore fraîches. Encore en train de se chercher. De découvrir leur corps. Des proies faciles. Il abusait de leur mal-être. Celle avec qui il parlait actuellement avait 13 ans. Il lui disait qu’elle était magnifique. Qu’elle ne devait pas se gêner d’exposer son corps. Et elle, elle craquait. Lui envoyant des photos d’elle, nue, les formes qui commençaient doucement à pousser. Et lui, la bave au coin des lèvres, les joues rougeâtres, son fameux sourire sur le visage, et les mouchoirs, souillés, entre ses mains tremblantes de plaisir. Il aimait aussi beaucoup les petits garçons. Il regardait les vidéos que publiaient leurs parents, inconsciemment, de leurs enfants de deux à cinq ans. Prenant leur bain. Ou juste en couche, cela lui suffisait. Les vidéos de jeunes filles de huit à dix ans qui tentaient de reproduire les danses sexualisées de leurs idoles étaient pour lui les meilleures. Les vidéos les plus simples d’accès. Et il n’était pas le seul à faire ça. Ils étaient des millions. Il leur partageait toutes les photos que les adolescentes lui envoyaient, toutes les vidéos qu’il trouvait. Et lui aussi en recevait. Voilà comment fonctionnait leur cercle d’échanges. Sur des sites illégaux, dont seuls les monstres dans son genre connaissaient les liens. Des millions et des millions de photos et vidéos publiées. Triées. De millions et millions d’enfants. Peut-être même le vôtre. Peut-être même de vous. Parfois mignonnes, parfois si horribles. Des enfants qui étaient tombés dans leur piège. Des enfants enlevés dont ils volaient et partageaient l’intimité.

Justement, cela lui rappela qu’il avait quelque chose à faire. Il se leva péniblement de sa chaise, le souffle encore bruyant, prit une de ses clefs dans des tremblements, et ouvrit la porte de sa chambre. Un grincement sinistre s’entendit. Puis, un silence lourd. Et enfin, un étouffement paniqué s’éleva. Dedans se trouvait une jeune fille. Dévêtue. Au corps meurtri. Aux yeux exorbités par l’effroi, au point que leur couleur en vienne à virer au rouge. Un rouge identique à celui qui s’écoulait lentement de ses plaies. C’était celle qui avait cru parler à Jules52. Celle qui avait cru en une histoire d’amour. Celle qui lui avait proposé qu’il lui donne son adresse afin qu’elle vienne le réconforter. Il referma dans un long grincement la porte, coinça la serrure et se tourna, en lui offrant son fameux sourire tout en lui caressant les cheveux comme il avait l’habitude de le faire. Puisqu’elle était la fille de la boulangère.

La Boulangère dut rouvrir sa boutique après 1 mois de recherche, malgré sa peine. Elle avait encore 3 autres enfants à nourrir. Son tout premier client fut un vieux monsieur, souriant, habillé d’une veste grise et son parapluie dans les mains. Une odeur de cigarette se répandit dans la pièce. Il demanda comme toujours une baguette, puis aperçut un des enfants de la Boulangère posté dans un coin. Il se pencha alors doucement vers lui, et, dans un sourire, se mit à lui caresser les cheveux.