Nouvelle écrite par Paul MARCHAND-THIBERT et Emilien MARGUERON élèves de 3ème au collège Lumière de Besançon – Professeur Mme Sylvie Vernier
La sentence venait de tomber : un an ferme, plus un an avec sursis, et l’interdiction d’utiliser un ordinateur jusqu’à l’âge de 18 ans.
La peine de prison, cela lui importait peu. A 13 ans, elle avait déjà enduré beaucoup de choses. Orpheline, elle n’avait jamais eu de situation stable, allant de famille d’accueil en famille d’accueil. La prison pour mineurs ne pourrait pas être plus dure que tout ce qu’elle avait vécu. C’était la deuxième partie de la peine qui l’attristait le plus. On venait de la priver de la seule chose qui lui tenait à cœur. Son seul talent était l’informatique.
C’était aussi ce talent qui venait de la faire condamner. Elle s’était introduite dans le système du site de l’Assemblée Nationale et en avait supprimé l’entièreté des données. C’était sa réponse au projet de loi Sécurité Internet visant à restreindre l’anonymat sur Internet. A la fin du procès, on l’avait directement raccompagnée en cellule. Son avocat, commis d’office, était allé manger dans un bon restaurant, pendant qu’on lui servait, à elle, un vulgaire sandwich et une clémentine. On lui avait expliqué qu’elle serait transférée en prison le lendemain ; en attendant elle restait en maison d’arrêt.
Quand quelqu’un ouvrit la porte, elle s’étonna. Personne n’était censé venir avant le lendemain matin. Un homme grand et brun apparut dans l’encadrement de la porte, il la salua et un silence s’ensuivit.
– Qui êtes-vous ? lui demanda-t-elle finalement.
Il s’assit sur une chaise et dit :
– Tu le découvriras à une seule condition.
– Allez-y.
– Tu me promets que tu te tairas, Emilie ?
– Oui, et d’ailleurs comment connaissez-vous mon nom ?
– Je fais partie des services secrets français, dit-il sur un ton très sérieux.
Emilie éclata de rire.
– Je ne plaisante pas, poursuivit-il.
– Et pourquoi vous intéressez-vous à moi, dans l’improbable possibilité où vous travailleriez pour les services secrets ?
Quand ce mystérieux personnage lui eut donné sa réponse, elle comprit qu’un individu ayant accès à des informations aussi personnelles sur elle était sans aucun doute un agent secret.
– Je sais que tu as un énorme potentiel, mais ce sont surtout tes motivations qui m’intéressent. Peu de hackers piratent au nom de la justice ou de la liberté et je me suis renseigné sur toi : malgré tes compétences hors normes pour ton âge, tu ne choisis pas l’illégalité, ce qui est encore une preuve de maturité pour quelqu’un d’aussi jeune.
La discussion se poursuivit durant plusieurs heures.
Il lui expliqua qu’il avait créé une sorte de cellule de hackers non-officielle pour combattre la censure d’internet dans certains pays ; cette équipe amassait des preuves, qui permettraient de faire condamner certains gouvernements autoritaires espionnant des journalistes, opposants politiques ou militants des droits humains.
En parallèle, il travaillait à la DGSI, ce qui offrait certains avantages. Des hackers aussi actifs attirant forcément l’attention des services secrets, il s’était débrouillé pour se faire attribuer l’enquête sur ce mystérieux groupe et, depuis ce moment, passait ses journées à écrire de faux rapports pour ses supérieurs. Il proposa donc à Emilie de rejoindre cette cellule. Il s’occuperait de la faire sortir de prison par des moyens quelque peu officieux.
– Et, au fait, termina-t-il, mon « vrai » nom est Matys.
Quelques semaines plus tard, dans la banlieue de Nantes, un taxi déposa Emilie devant un énorme hangar qui, à première vue, avait l’air désaffecté. Après avoir contourné l’imposant bâtiment par un petit chemin de terre, elle y entra par une porte discrète. A l’intérieur d’une immense salle de serveurs entièrement climatisée, plusieurs super ordinateurs fonctionnaient à plein régime. Quelques membres de la cellule étaient déjà présents.
Depuis deux semaines déjà, son quotidien était rythmé par les cours au collège, les interminables allers-retours entre Nantes et sa banlieue, les soirées passées à hacker des serveurs chinois pour protester contre le traitement et de la détention de masse de la communauté des Ouïghours, et à aider deux journalistes égyptiens à sécuriser leurs ordinateurs grâce à Tails.
Et une nouvelle mission de grande ampleur venait d’être annoncée par Matys : une action, coordonnée par l’ensemble de la cellule pour DDOS (attaque par déni de service), visant les sites de plusieurs gouvernements autoritaires ayant utilisé le logiciel Pegasus pour espionner des journalistes et des opposants politiques. Ces attaques seraient sans aucun doute médiatisées. Matys avait annoncé que le groupe se ferait discret pendant quelques semaines, le temps que l’effusion médiatique retombe. Les services secrets des différents pays victimes essaieraient de localiser et d’attaquer en retour les auteurs. Mais la cellule disposait d’énormément de serveurs et plusieurs hackers étaient spécialisés dans l’ anonymisation de leurs actions.
Ce rythme de vie l’épuisait, mais cela faisait très longtemps qu’elle n’avait pas été aussi heureuse. Elle l’avait l’impression de faire partie d’une petite communauté qui aidait à rendre le monde meilleur. Son mystérieux mentor – qui avait on ne sait combien d’alias – lui avait aussi fait la plus belle des propositions : il lui avait proposé de l’adopter. Dans les jours suivant cette nouvelle, elle avait ressenti une joie indescriptible.
Personne à notre âge n’a le talent d’Emilie. Mais, au quotidien il est quand même possible d’agir : s’engager dans une association, réagir face à des injustices, le panel d’actions est immense et à portée de tous.