Nouvelle écrite par Khadija Bounacer , Fatima Sane , Flavie Stoppele et Cléo Zeller élèves de 1ère au lycée Follereau de Belfort – Classe de Mmes Marie-France GAILLARD et Angélique KELLER
Tout est calme dans un monde sombre, pas même parsemé d’étoiles. Les étoiles ne brillent que dans l’obscurité, mais il faut savoir les observer. Il s’appelait Adama. Il n’a pas connu les lumières des capitales européennes. Mais il a connu la chaleur écrasante, étouffante, en début d’après-midi dans les rues d’un petit village, à cinq heures de route de Bamako. Là-bas, il ne fallait pas être différent, il ne fallait pas briller. Mais Adama brillait, il était différent. Il portait le masque de l’étranger et personne ne savait pourquoi.
Pour certains, c’était une erreur, pour d’autres une malédiction. D’après certains médecins, c’était à cause du climat, pour d’autres, une erreur de la part des parents. Pour les marabouts, c’était à cause de la mère, cette femme qui n’avait pas su être femme. D’après les savants du village, il fallait se débarrasser de l’enfant, il porterait malheur.
Mais Adama n’était pas ça pour moi. Il était albinos, mais il était important à mes yeux. Ils en avaient peur mais il me faisait rire. Il était la lumière dans mon cœur, celle qui brillait dans mes yeux.
Notre famille ne lui prêtait aucune attention. Il était au centre des moqueries et pourtant seule sa couleur de peau le différenciait des autres. Les autres, c’étaient mes frères et sœurs. Ceux qui, comme moi, ne portaient pas le masque de la différence, le masque de l’aliéné. Ceux qui, pour ma mère, valaient la peine de se battre. Ma mère, celle qui avait décidé de croire les histoires sur sa maladie. Elle a dû y croire à force de les entendre. Les rumeurs l’avaient affectée plus qu’elles n’avaient affecté Adama. Elle avait commencé à voir en Adama un symbole d’humiliation, le symbole d’une réputation et d’un statut entachés. Depuis la mort de notre père, elle était encore plus dure avec Adama. L’humain a souvent tendance à chercher un fautif, une personne responsable de son malheur. Il était plus facile de le détester plutôt que de l’accepter. Et ma mère avait trouvé son fautif, sa malédiction, la personne à blâmer. A la maison, il n’était pas apprécié. Souvent il avait moins à manger, souvent ses draps n’étaient pas aussi doux que les nôtres. Souvent il était moins aimé.
L’école ne lui était pas plus clémente. Adama était différent et il ne fallait pas l’être. Les enfants étaient devenus les reflets des pensées des parents, le miroir des rumeurs et de la peur qu’ils éprouvaient. Et les enfants peuvent être violents, lorsque la force et le pouvoir sont de leur côté. Plusieurs fois Adama s’était battu ou plutôt se faisait battre. Sa maison n’était pas sa maison tout comme l’école n’était pas la sienne.
Et comme s’il était responsable de son propre état de santé, personne ne semblait se préoccuper des risques que sa couleur de peau nacrée représentait pour lui. Personne ne voulait chercher à comprendre pourquoi des brûlures apparaissaient sur son corps, ni pourquoi il ne supportait pas les longs voyages sous le soleil ardent. Personne ne semblait savoir qu’à chaque instant il risquait de mourir, que le soleil était son ennemi. Ce qui les inquiétait, c’était qu’il puisse les contaminer, comme si sa maladie pouvait déteindre sur eux. Lorsqu’il n’y a pas de médecin à proximité, lorsqu’il faut aller loin pour recevoir des soins, c’est aussi loin qu’est la connaissance. Mais les rares voitures du village ne lui permettaient pas d’accéder régulièrement à un hôpital. Et les normes désuètes de ma mère ainsi que son manque d’envie d’être pour lui une mère, ne l’encourageaient pas à vouloir se battre pour sa survie. Son espérance de vie était faible, sa vue risquait de se dégrader, il était vulnérable, mais il gardait toujours la tête haute, le sourire aux lèvres.
Un jour, alors qu’Adama passait une journée ordinaire, sur le chemin de la maison, il se fit entourer par des enfants du village qui se mirent à se moquer de lui, à lui jeter des pierres, à voir en lui un monstre ou l’ombre de l’étrangeté. Il voulait leur expliquer, les raisonner, les calmer, mais ils continuaient à rire. Adama fuit en courant et se dépêcha vers la maison. Il prit le chemin le plus court, passa entre les maisons. Il essayait de fuir le danger qui le suivait comme une ombre. Mais l’ombre l’engloutit.
Je le retrouvai en pleurs devant la maison. Il ne supportait plus la situation. Je n’avais encore jamais vu des larmes ruisseler sur ses joues. Il n’avait jamais été préparé à recevoir autant de critiques ou d’insultes. Ces derniers temps, un nombre incalculable de moqueries l’atteignaient. C’était comme s’il se laissait mourir petit à petit. Comme si l’armure que composait son sourire n’était plus efficace.
C’est ce jour-là qu’il fut blessé, blessé par un de ces enfants. Son système immunitaire était faible. Le rouge écarlate se mélangeait au blanc éclatant. Il était faible et l’était de plus en plus. Son corps devait combattre sur différents fronts. Ce n’est que quelques jours plus tard, qu’Adama commença à se plaindre de douleurs au niveau des jambes et des bras. Il ne cherchait plus à me cacher ses brûlures. Il devait aller à l’hôpital, il devait être soigné. Il nous fallait une voiture ou un moyen de transport pour rejoindre l’hôpital le plus proche. Il était à des centaines de kilomètres de notre petit village. J’ai donc fait le tour du village afin de trouver un véhicule mais tout le monde savait qui j’étais : le frère de l’enfant maudit. Nous devions nous débrouiller seuls. Adama était faible, il avait besoin de soins à ce moment-là plus que jamais. J’étais resté passif pendant longtemps, trop longtemps.
Le trajet avait commencé sous une chaleur accablante qui avait fatigué rapidement Adama, mais malgré tout il restait fort. Après deux longues heures de marche, les brûlures sur le corps d’Adama ne faisaient que s’aggraver, les plaques rouges remplaçaient le blanc neige de sa peau. Le petit chapeau de paille qu’il portait ne lui permettait pas de supporter davantage le soleil. Mais aucune voiture ne passait et, sur mon dos, Adama s’accrochait à la vie. Le soleil nous frappait et la soif nous fatiguait. Je n’avais que mes larmes pour assouvir ma soif.
Je me rappelle ce jour comme si c’était hier. La chaleur ardente, la faim et la soif nous ralentissaient et nous savions que l’espoir et le courage étaient les seules choses qui nous restaient. Nous venions de parcourir plus de vingt kilomètres, mais nous étions encore bien loin de la capitale. Aucun bruit, il n’y avait personne, il n’y avait rien, pas même un endroit pour se protéger du soleil, pas même une personne pour nous venir en aide, rien.
Des dunes de sable, un soleil rayonnant et un ciel bleu dégagé de tout nuage. La nature était notre seul compagnon durant ce long et dangereux périple. Plus les heures passaient, plus je ressentais une peine, un désespoir qui se transformait en peur. La peur de ne jamais y arriver, la peur de ne jamais retrouver notre famille, la peur de mourir avant d’avoir sauvé mon petit frère : j’étais terrorisé. Lui, au contraire, aussi jeune qu’il pouvait l’être, était confiant et optimiste.
La fatigue pouvait se lire sur nos visages, et plus particulièrement sur le sien. Des boutons et des brûlures apparaissaient sur sa peau, autrefois douce et si blanchâtre. Il était à bout.
Et pourtant, il avait sept ans.
Il avait tout un avenir devant lui. La vie en a décidé autrement. Il était en train de vivre ses derniers instants à mes côtés. Les larmes inondaient mes yeux, ma raison ne voulait pas y croire.
C’est le sourire aux lèvres, comme à son habitude, qu’Adama rejoignit le ciel pour briller au côté des étoiles.
Le nouvel hôpital du village, dans lequel je travaille, porte son nom. Symbole d’innocence et d’espoir, il était et sera toujours ma source d’inspiration, la raison de mon combat, le combat de toute une vie, de la vie des plus démunis. La lueur et l’éclat de son visage seront à jamais gravés dans ma mémoire et ne cesseront de me guider. Car Adama n’est malheureusement ni le premier, ni le dernier à devenir fantôme. Un fantôme blanc comme sa peau d’albinos.