Nouvelle écrite par Anaïs HOLLEY, étudiante en 1ère année de DNMADE (Diplôme National des Arts du Bois) au lycée des Arts du Bois de Moirans en Montagne – Classe de Mr Didier NACACHE
21 juin 2014
J’ai mal dormi. Combien de questions ont traversé ma tête cette nuit ? Comment va se passer ma rentrée en 6ème ? Est-ce-que je vais enfin me faire des copains ? Toute ma scolarité à l’école primaire, d’aussi loin que je m’en souvienne, n’a été que moqueries, bousculades, insultes en tout genre. Je n’ai jamais rien dit à mes parents. Lorsqu’ils me demandaient si tout allait bien, je répondais oui avec un large sourire qui masquait mon angoisse. En parler à mes parents ? Non ! Quelle déception cela serait pour eux d’apprendre que leur petit ange est la risée de tous, la bête noire de Fouad, le caïd … Il est pour moi comme un terroriste psychologique. J’ai bien essayé d’attirer l’attention de Madame Mouce, la maîtresse, mais je me suis heurté à un mur. Elle est si sévère, stricte, avec sa jupe plissée, son corsage couleur lilas, boutonné jusqu’en haut du cou, son petit chignon qui trône sur sa tête, ses cheveux noir de jais, grisonnants sur les tempes et ses petites lunettes rondes cerclées d’or qui, souvent, sont posées sur le bout de son nez. « Alexander!!! Cesse de te plaindre, de t’agiter ainsi, ce ne sont que des chamailleries d’enfants. Retourne jouer dans la cour de récréation avec tes camarades ! » Voilà la réponse de Mme Mouce… Mes camarades … Quels camarades?… Je file m’isoler dans mon petit coin de cour, seul, mon cœur lourd saigne de douleur à l’intérieur. Je sens leurs regards qui rigolent. Madame Mouce est trop occupée à expliquer les règles de la balle au prisonnier à un groupe pour voir ma détresse. Plus que quelques semaines et tout cela ne sera qu’un mauvais souvenir. Je rentre au collège !
1er septembre 2014
Aujourd’hui c’est la rentrée. Une brise chaude me renvoie au visage mes longues boucles couleur des blés. Maman n’a jamais voulu me couper les cheveux. Elle dit que j’ai de magnifiques anglaises et que cela me donne l’air d’un petit ange, d’autant plus que j’ai la peau blanche comme de la neige. J’ai toujours été très mince et chétif. Sûrement parce que je n’ai jamais eu très faim car il y a toujours comme une boule dans mon ventre. Dans l’immense cour de récréation, je vois les collégiens courir, je les entends rire. Déjà quelques groupes se forment de ci, de là. J’avance, hésitant, ne sachant où aller. Soudain, une sonnerie assourdissante retentit par saccades, telle une rafale de kalachnikov. Je sursaute. Ça y est ! On va se ranger et je vais enfin découvrir ma classe. Mes angoisses me saisissent à nouveau. Et si ça recommençait ? Mon petit cœur s’emballe, des larmes viennent troubler mon regard bleu azur, comme de petites vagues. Stop ! Je chasse vite cette idée de ma tête. Monsieur Houps, notre professeur principal, est arrivé. Comme d’habitude, je m’installe devant le bureau. Je suis bien à cette place. Je ne vois pas le regard des autres, juste celui du professeur ; il est moins facile de se laisser distraire. J’aime toutes les matières, j’aime apprendre, je suis doué paraît-il. J’ai surpris un jour une conversation entre papa et Mme Mouce. «Précoce». Ce mot raisonne en moi, mais je ne sais pas trop ce que cela signifie. Le cours commence enfin. Monsieur Houps est mon professeur de musique. Ses longs doigts de pianiste saisissent une craie pour écrire la date du jour au tableau. Un rayon de soleil vient caresser ma joue à travers la vitre, je me perds dans mes pensées. J’adore la musique ! C’est mon refuge quand je sombre. Mon casque rivé sur les oreilles, je m’abrutis de sons. Les notes de musiques résonnent, font vibrer tout mon corps. A cet instant, comme si j’étais ivre de mélodies, mes problèmes se volatilisent, pulvérisés, déchiquetés.
De la variété au classique, j’écoute tous les styles musicaux. Mais j’aime par-dessus tout le métal. J’ai l’impression que toute la rage qui est en moi s’évacue quand j’écoute du Black Sabbath, Deep Purple ou encore Led Zeppelin. Aïe!!! J’ai mal. Je viens de tomber de ma chaise. Non, je ne suis pas tombé, on m’a fait tomber ! Je me retourne, affolé, qui est derrière moi ? Qui a fait une balayette à ma chaise ? Eliott … Je l’avais déjà repéré tout à l’heure dans la cour. Il avait tout un public autour de lui. On aurait dit une star. Monsieur Houps se retourne brutalement, me fusille d’un regard noir et d’un ton agacé me demande de me tenir correctement et d’arrêter mes singeries. Je suis anéanti. Il pense sérieusement que je suis assez stupide pour tomber seul de ma chaise ? Je me relève rapidement, j’ai chaud. Derrière moi, j’entends les fans d’Eliott qui gloussent. Filles, garçons, tous semblent admirer ce que vient de faire cet imbécile. L’heure de la récréation a sonné. Je file dans les toilettes. Je ne veux pas aller dans la cour. Que va-t-il m’arriver ? Ils sont beaucoup plus nombreux qu’en primaire, j’ai peur.
Les jours et les mois passent dans la souffrance. Ils sont tous contre moi. Eliott est tel un gourou. Ils boivent ses paroles, l’aident dans ses actes de cruauté verbale et physique envers moi. Un nouveau mot résonne dans ma tête : androgyne. Je prends le dictionnaire du CDI pour en connaître la signification. « L’androgynie est la particularité d’un être humain (androgyne), dont l’apparence (physique et/ou gestuelle) ne permet pas de savoir clairement à quel sexe ou genre il appartient. »
Mais je suis un garçon moi !!! Pourquoi me traitent-ils de fillette, de tafiole ? Je dois convaincre maman de me couper les cheveux, je ressemblerai déjà plus à un garçon ; je veux aussi m’inscrire à la boxe pour savoir me défendre et prendre du muscle. Je dois changer pour leur plaire. Tout ce qui m’arrive est de ma faute en réalité ! De retour à la maison, je demande expressément à maman de prendre un rendez-vous chez le coiffeur, ce qui la met dans une rage folle ! « Tu ne vas pas me faire une crise d’adolescence maintenant ! C’est non, tu arrêtes tes caprices. »
Et ça a recommencé, tous les jours, toujours plus, à la cantine, dans les couloirs, dans les vestiaires en sport. Eliott décidait, les autres suivaient…. Mon matériel scolaire cassé, des bleus sur le corps…. J’ai bien essayé d’aller voir l’infirmière scolaire mais pourquoi personne ne me croit ? Oui, je suis stressé, agressif, anxieux, agité, irritable. Oui, mes notes sont catastrophiques. Mais, je peux l’expliquer ! On m’agresse tous les jours, je ne dors plus, je suis fatigué, je ne peux plus me concentrer en classe. Dans ma tête, c’est le néant, le vide abyssal. Je suis dans un état second, telle une personne traumatisée suite à un attentat. Je ne suis pas l’élève turbulent pour lequel on veut me faire passer. Non ! Je suis une victime ! Victime d’Eliott et de ses acolytes, de ses discours toxiques.
30 Juin 2015.
L’année scolaire touche à sa fin. Je suis épuisé… Épuisé de me battre tous les jours, épuisé de devoir me justifier, épuisé que tous les adultes m’écoutent mais ne m’entendent pas. Je pleure. Je suis seul, triste, accablé. Et si je disparaissais ?… De toute façon, à qui manquerais-je ? Même mes parents semblent me tourner le dos. Ils disent que j’ai changé, que je ne suis plus le petit ange qu’ils ont connu. Je ne me supporte plus et aujourd’hui, la seule chose dont j’ai envie c’est de partir loin, très loin. Un endroit où je pourrais m’évader pour toujours.
J’ai avalé tous les cachets que j’ai trouvés dans l’armoire à pharmacie. Je m’allonge dans mon lit. Je ferme les yeux. Bientôt la délivrance. Pardon maman, pardon papa. Je vous aime. Adieu. Ma tête tourne, une douce chaleur m’envahit, je glisse, je pars, je virevolte comme des notes sur une partition.
La sirène hurlante d’un camion de pompiers me sort de ma torpeur, j’ouvre les yeux, suis-je au paradis ? « Non », me répond un médecin urgentiste, « tu es sur la route pour l’hôpital. Tu reviens de loin Alexander ». Maman pleure, papa aussi. Je dois tout leur expliquer, il faut qu’ils comprennent !
2 septembre 2015
C’est la rentrée. Je suis heureux. Eliott est exclu définitivement, comme exécuté. Les autres «moutons» ont eu un conseil de discipline et au moindre écart, ils seront renvoyés aussi. Enfin, on m’a entendu ! Il y a une justice. J’ai l’impression que je renais aujourd’hui. Mon cœur est empli de joie. Pour la première fois de ma vie, je suis impatient d’aller à l’école. Mes parents ont retrouvé leur petit ange, même si je n’ai plus mes longues boucles. J’aime la vie, j’aime apprendre, j’aime la musique. La musique… toute ma vie… Posé sur mon bureau, comme une vision surréaliste, paradisiaque, je lis et relis inlassablement ce petit mot griffonné à la main : « Petit ange, nous te souhaitons un très joyeux anniversaire et espérons que ce cadeau t’apportera des étoiles plein les yeux. Signé papa et maman qui t’aiment très fort.» Et quel cadeau ! Une place de concert pour aller applaudir mon groupe préféré ! Sur le billet d’entrée, on peut lire : Le Bataclan, 75011 Paris, Eagles of Death Metal, vendredi 13 novembre 2015, assis-debout placement libre.