Le prunavirus

Nouvelle écrite par Léonie ANDRÉ, Loïs DELAUNAY, Evan GOHIER et Suzie RUBION, élèves de 2nde au lycée Simone Veil de Liffré (35) – Classe de Mmes Frédérique COLLET et Céline LE FLOCH

Le 11 janvier, il est 21h38. Le flash info exceptionnel interrompt brutalement tous les programmes TV. Tous les médias annoncent ensemble la terrible nouvelle. Le Président de la République, Jean Thomas, est décédé ! Paola, 17 ans, n’arrive pas à y croire, elle est abasourdie et part se coucher avec des questions plein la tête.

Le lendemain matin semble être un jour comme tous les autres – à condition de ne pas écouter la radio. C’est ce que fait Paola qui s’isole avant de se rendre au lycée. Elle ne veut pas gâcher la liberté retrouvée de ne plus porter de masque sur le visage. Maintenant que le cornovirus a été vaincu, elle se sent libérée et a du mal à croire à la nouvelle qui tourne en boucle dans tous les médias. Elle aime la sensation de sentir l’air sur ses joues.

Aux abords du lycée, ça y est : c’est le retour au réel. Elle voit beaucoup de personnes, toutes très peinées : les visages sont graves et les sourcils froncés. Elle sait de quoi tout le monde parle. Face à l’arrêt de bus, elle retrouve ses amis qui débattent, eux aussi, du décès du Président. Ils se rendent ensuite à leur cours de SVT en se posant beaucoup de questions. Toute la journée, les adolescents voient bien que leurs professeurs sont inquiets bien qu’ils restent muets sur le sujet. L’ambiance est lourde et l’inquiétude palpable. En rentrant chez elle, Paola a la surprise de trouver ses parents réunis dans le salon. C’est un conseil de guerre, pense-t-elle. Paola voudrait fuir, ne pas regarder l’actualité, s’enfermer dans sa bulle pour profiter de l’après-virus et de la joie d’avoir enfin des relations sociales normales. Mais ses parents l’appellent : il faut faire face. Ils lui expliquent donc que d’après la loi, c’est le Président du Sénat qui prendra le pouvoir, le temps que de nouvelles élections s’organisent. Mais l’homme fait peur. Malgré ses costumes impeccables et son air jovial, on détecte dans ses discours une volonté politique inquiétante.

Le lendemain matin, il neige. Paola voudrait bien être contente, se dire qu’elle va montrer le nouveau bonnet qu’elle a eu à Noël à ses copines. Mais elle ne peut pas ignorer l’inquiétude qui ronge son entourage et qui la ronge elle aussi, malgré les apparences. Elle essaie de se répéter « ne pas penser à la politique – faire comme si tout allait bien ».

Pas de commentaire sur le bonnet. Nul n’a la tête à cela ! Paola part ensuite rejoindre son meilleur ami Vanou. Lui aussi est inquiet de l’accession au pouvoir du nouveau Président, François Debellay. À seize heures, Paola et ses amis se retrouvent tous au foyer du lycée. À leur grande surprise, un écran géant a été installé là pour permettre aux lycéens d’écouter le premier discours du nouveau Président. Debellay apparaît d’abord souriant et rassurant. Paola et ses amis se détendent. Mais Vanou peste malgré tout contre lui et ne croit pas à sa gentillesse. Quand Debellay annonce l’apparition d’un nouveau virus : le prunavirus, qui se transmettrait par les chats, les élèves sont sidérés. Des cris de colère et d’exaspération fusent ici et là. Le Président poursuit : plusieurs personnes auraient été contaminées et c’est ce virus qui aurait brutalement causé la mort du Président Thomas.  Si la situation sanitaire ne s’améliore pas, il devra prendre des mesures, sans préciser lesquelles, afin de faire diminuer le nombre de cas.

À la fin du discours, la majorité des élèves restent sans voix. Eux qui se sentaient enfin sortis du cornovirus, les voilà de nouveau plongés dans une crise sanitaire. Vanou aurait bien envie de faire valser les poubelles à coups de pied rageurs, mais cela ne changerait rien à la situation !

Une semaine s’est écoulée. Chaque jour, de nouvelles règles sont définies : les masques font leur retour, un couvre-feu à partir de 20 heures et l’interdiction de se retrouver à plus de huit, puis six sont instaurés dans toute la France. Pourtant, qui connaît réellement les symptômes du prunavirus ? Au lycée, certains en viennent à douter de la réalité de cette maladie. Paola et ses amis ne connaissent en effet aucune personne contaminée. Vanou a eu envie de taguer sur les murs de la mairie : « À mort Debellay ». Mais Paola et ses amies sont parvenues à l’en dissuader.

Quelques jours plus tard, de nouvelles directives sont promulguées. Celle qui fait réagir le plus Paola, c’est celle qui exige de tuer tous les chats pour faire disparaître le virus. Les animaux de compagnie sont interdits. Ces décisions radicales déclenchent une opposition brutale de la part des associations de protection des animaux. En effet, tuer les chats est complètement absurde pour tous les lycéens de l’établissement de Paola. Vanou a mobilisé autour de lui tous les délégués de classe afin de les convaincre de ne pas aller en cours à 14 heures, mais de se réunir, avec leurs profs, dans le grand hall ! On ne va pas se laisser faire ! affirme-t-il. Paola, qui jusqu’alors se sentait étrangère à toute action politique, trouve que Vanou a raison et que, tous ensemble, ils finiront bien par trouver une solution contre les décrets débiles de ce malade de Debellay ! Dès le lendemain, un grand rassemblement est organisé dans la ville de Paola. Tous les chats, du vieux matou de gouttière au plus distingué persan, sont réunis et cachés afin d’échapper au massacre prévu par les autorités. Sa mère la soutient d’autant plus qu’elle travaille dans un refuge pour animaux. Un planning est mis en place pour aller nourrir les chats tous les jours.

Le week-end suivant, Paola a invité deux amies à dormir chez elle. Durant cette soirée les sujets d’actualité sont les principaux sujets de conversation des trois filles : elles qui jusque-là ne parlaient que fringues, TykTuk et Amstramgram, et se moquaient éperdument de politique, s’y intéressent désormais plus que tout.

Deux semaines s’écoulent sans aucune autre annonce. Mais quand le Président Debellay parle de nouveau aux Français, il affirme que d’après des études menées par de grands laboratoires, le prunavirus ne serait pas véhiculé uniquement par les chats, mais également par les étrangers. Les frontières sont ainsi immédiatement fermées. La principale raison de transmission du virus, affirme Debellay, c’est la mélanine. Toute personne ayant un taux de mélanine supérieur à celui du Président sera forcée à quitter le pays. La stupeur s’abat instantanément sur la France. Dans les jours qui suivent, de nombreuses révoltes contre le gouvernement ont lieu. Les Français réclament l’organisation d’élections pour élire un nouveau président, ils se sentent piégés et impuissants.

            La réaction du Président ne se fait pas attendre : toutes les manifestations sont interdites. Des rafles sont organisées pour exterminer les chats et reconduire les personnes de couleur aux frontières. Partout, pourtant, la révolte gronde. Le soir suivant, prétendant rétablir l’ordre dans le pays, Debellay informe les Français qu’il s’attribue les pleins pouvoirs pour une durée indéterminée.

Le lendemain matin, au lycée, Vanou et Paola, distribuent des tracts sur lesquels ils ont écrit « Mobilisez-vous contre Debellay : la France devient une dictature ! » Les profs les félicitent, mais sont désemparés.

Quelques semaines passent encore. Des bruits courent selon lesquels les personnes noires de peau auraient été exilées sur des îles de l’Arctique et forcées à travailler afin d’extraire du gaz et du pétrole pour enrichir la France.

Dans les jours qui suivent, la vie au Lycée paraît inchangée. Pourtant, il semble à Paola que les professeurs ont des airs étranges. Le prof de SES, Monsieur Venaboro, particulièrement connecté, semble avoir accès à des informations intéressantes et réjouissantes – car il n’a plus son air morose. Paola espère qu’elle ne se fait pas de fausses idées. Quand elle questionne Vanou à ce sujet, lui aussi hausse les épaules et refuse de lui répondre.

Les vacances d’avril arrivent enfin.  Paola et ses amies ont eu le droit de passer un week-end à Paris chez une cousine. L’atmosphère est pesante dans la capitale. De grands écrans sont allumés à chaque carrefour, face à chaque monument et tout le long de la Seine. Ils diffusent en boucle les discours et les slogans du Président Debellay. Paola essaie de se concentrer sur la beauté de la ville. Mais il est difficile d’échapper au visage du dictateur. Quand, brutalement, les écrans deviennent noirs. Les voitures s’arrêtent net. Les passants s’immobilisent et s’interrogent du regard.

Quand les écrans reprennent vie, c’est pour projeter ce titre géant : « François Debellay est l’assassin du Président Thomas ! ». Le studio de télévision apparaît au bout de quelques instants, envahi par des journalistes, des citoyens engagés pour les droits humains et des militants de la cause animale : parmi eux, Paola reconnaît Monsieur Venaboro et Vanou !

Les lumières se rallument, après plus de deux heures de film ! Le générique défile à l’écran. Soïl, Iloné, Evan et Si-Zue se regardent : soulagés ! Heureusement, tout cela n’était qu’un film ! À la sortie du cinéma, des militants d’Amnesty International font signer une pétition pour les droits humains. Evan lance : « J’sais pas vous les filles, mais moi, je signe tout de suite ! ». Depuis deux mois, le coronavirus a enfin été éradiqué : les cinémas ont réouvert, c’est le premier film depuis la reprise de l’activité culturelle du pays. On aperçoit aussi une brocante au coin de la rue, du monde dans les bars. Les quatre amis se regardent et sourient : c’est ça la Liberté !