L’enfant sans existence

Le soleil se levait ; par un petit trou, la lumière illuminait la sombre et humide chambre en pierres dans laquelle se trouvait Yayko.

Quand le soleil se lève, cela annonce une nouvelle journée mais Yayko, lui, savait très bien comment allait se passer sa journée, elle allait se passer comme toutes les autres. On allait venir le chercher, on lui donnerait un peu d’eau et on l’enverrait travailler. On lui donnait beaucoup de choses à faire comme récurer, nettoyer le linge, balayer, s’occuper des poubelles, jardiner, faire les lits, débarrasser, faire la vaisselle… Ce que Yayko préférait, c’était s’occuper du jardin bien qu’il soit entouré de grillage et de quatre grands murs, c’était là son seul contact avec l’extérieur. Il n’avait jamais vu ce qui se trouvait derrière ces quatre murs mais maintenant ça ne le dérangeait plus, et il savait ce qui allait lui arriver s’il cherchait à le savoir. Du plus loin qu’il se souvienne, Yayko avait toujours été au service de son maître bien qu’il ne l’ait jamais vu en personne. Ses parents aussi avaient été esclaves dans cette résidence mais les esclaves n’avaient pas le droit d’avoir des rapports trop importants alors, à la naissance de Yayko, ils furent tués et l’on ne dit rien à Yayko qui, à l’âge de cinq ans, prit leur place.

Lorsque Yayko avait commencé à travailler, il s’était rapidement fait des amis, hélas aujourd’hui, ils étaient tous morts à cause de la fatigue, de la famine, de la torture, du manque d’hygiène et certains s’étaient eux-mêmes donné la mort. Cette expérience avait appris à Yayko à ne plus trop s’attacher aux gens. Cet enfant était apprécié par son maître, il ne se plaignait jamais et il obéissait toujours sans dire un mot, ce n’était pas très étonnant puisqu’il avait vu ce qui arrivait à ceux qui n’obéissaient pas… enfin ceux qui revenaient.

Ce soir-là, dans la salle de repas des esclaves, pendant que Yayko et les autres esclaves se nourrissaient autant qu’ils le pouvaient, deux gardes arrivèrent avec un enfant enchaîné, il ne cessait de se débattre, on aurait dit un chien fou. L’enfant se nommait Genji, il avait l’air misérable avec ses cheveux abîmés, ses habits et son visage couverts de terre et on pouvait voir dans ses yeux une colère intense, il fut emmené dans une autre pièce.

Le lendemain après-midi, dans le jardin, pendant que Yayko travaillait, il aperçut Genji de l’autre côté du jardin, il creusait un trou pour passer en dessous du grillage derrière lequel se trouvait le mur avec la seule et unique porte de sortie. Yayko alla le voir pour lui demander ce qu’il faisait, Genji lui répondit qu’il n’avait pas l’intention de croupir ici toute sa vie, il lui annonça qu’il s’échapperait dès le lendemain et il lui proposa de venir avec lui. Yayko ne répondit pas à sa proposition. Genji aperçut un garde qui s’approchait d’eux, il poussa Yayko et recouvrit son trou avec de l’herbe. Le garde ne vit pas le trou mais le simple fait que Genji se trouve près du grillage était une raison valable pour qu’il se fasse battre, alors le garde donna un coup sur la tête de Genji et l’emmena. Genji fit un clin d’œil à Yayko. Ce soir-là, lorsque Yayko s’apprêtait à dormir dans sa chambre, un garde entra et y jeta Genji qui avait été battu, quelques gouttes de sang tombaient même sur le sol. Yayko et Genji commencèrent à se parler, en réalité, c’était surtout Genji qui parlait, Yayko lui n’avait pas grand-chose à raconter. Genji qui venait de l’extérieur lui raconta et lui apprit beaucoup, il lui parla de la mer, des forêts, des animaux, et même de la neige, étant donné que durant la période d’hiver, il ne sortait même plus pour travailler au jardin, Yayko ne pouvait donc pas connaître la neige. Yayko eut soudain envie de partir.

Le lendemain matin, après que Yayko et Genji eurent préparé leur plan pour s’échapper durant une grande partie de la nuit, ils allèrent travailler. Par chance, ce matin-là, ils commencèrent justement par travailler dans le jardin. Yayko vit un garde s’approcher de lui et lui tomba dessus, le garde trébucha avec Yayko qui dans l’agitation en profita pour lui voler ses clés. Yayko eut droit à une gifle. Genji lui finissait le trou qu’il avait commencé à creuser le jour précédent. Lorsqu’il eut fini, il fit un signe à Yayko qui courut dans sa direction, se faufila en dessous du trou et se dirigea vers la porte de sortie. Yayko essaya les clés pour trouver la bonne mais il perdit un temps précieux. Il la trouva enfin, la porte s’ouvrit et pour la première fois, il vit l’extérieur de la résidence. Elle se trouvait au bord d’une mer et il y avait une forêt. Genji partit en courant et dit à Yayko de le suivre. Ce qu’il fit.

Ils se dirigeaient vers la forêt pour semer les gardes mais tout à coup, un horrible bruit envahit l’atmosphère. Genji tomba à terre. Yayko ne s’arrêta pas de courir, une deuxième fois, le son retentit mais cette fois, il était différent du premier, celui-ci lui était douloureux, il le sentait s’installer et grandir en lui, ça lui était insupportable et brusquement, plus rien, comme si le monde s’était arrêté. Yayko se retourna, vit Genji par terre, cela ne le rendait pas triste ni en colère, ce qui l’envahissait c’était un sentiment d’incompréhension, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait ; il tourna se tête vers la droite et vit la mer dont les vagues n’avançaient plus, c’était un spectacle très beau pour Yayko. La douleur commençait à revenir et Yayko mit ses genoux à terre. On raconte que souvent, avant de mourir, nous voyons tous nos souvenirs, même les plus anciens, et tout ce que nous avons accompli durant notre vie, tout ça l’espace d’un instant. Yayko lui ne voyait rien, il n’avait rien vécu, la seule chose qu’il pouvait voir, c’était le regret de ne pas avoir pu connaître ce monde, il se dit que sa vie n’avait servi à rien et que personne ne s’inquiéterait de sa mort, et c’est sur ses idées noires que Yayko quitta ce monde.

Raihan DEBBICHE et Albin METIVIER

Élèves de 3ème au collège Victor Hugo de Besançon