Le petit nigérien

Il est généreux Yaoundé ; entre quatre murs chaque jour il travaille. Il est venu de loin Yaoundé, des grandes savanes du Niger à l’étendue bleue de la mer ; il en a vu des paysages. Il est venu à Bordeaux pour travailler et apprendre, Yaoundé. Chaque jour de six heures du matin à minuit, c’est ce qu’il fait, tous les jours de l’année, sans relâche. C’est quelqu’un de fort Yaoundé.

Il posa les pieds pour la première fois entre ces murs grâce à son oncle, à l’âge de 11 ans, pour un avenir meilleur, que son pays et sa famille ne pouvaient pas lui offrir. Son oncle proposa à sa famille une nouvelle chance pour Yaoundé. Il proposa que Yaoundé le suive, en France, loin de ce monde horrible, loin de la famine et de la mort. Ses parents acceptèrent avec joie : ils étaient si heureux de pouvoir offrir à leur fils la vie qu’il méritait.

Maintenant, son oncle s’occupe de lui. Il ne peut plus retourner chez lui Yaoundé. C’est son oncle qui détient son passeport. Yaoundé lui rend de nombreux services chaque jour. Quand il se lève, ce n’est pas pour aller à l’école mais pour préparer les enfants de son oncle à y aller. Il ne peut pas fuir Yaoundé : la porte de la liberté est trop bien gardée. Il est condamné Yaoundé, condamné à tout faire briller, à cuisiner et encore tant d’autres choses              Pour Yaoundé, chaque jour est un jour de plus en enfer. Aux yeux du monde, il est invisible Yaoundé. Comme si son existence n’avait jamais compté, comme s’il n’avait jamais vu le jour. Les seuls endroits où il existe encore sont les cœurs de ses parents.

C’est un matin d’avril que sa vie a changé, lorsqu’il posa les pieds à l’aéroport de Bordeaux. Son oncle était là pour l’accueillir. Tout était nouveau pour Yaoundé. Il n’avait jamais vu tant d’habitations et de personnes… Il n’avait jamais vu tant de boutiques et tant de voitures. Yaoundé était heureux de venir en France. Tout comme ses parents, il était sûr que sa vie allait changer. Il avait vu l’appartement de son oncle en photo ainsi que l’école qu’il allait fréquenter. Ce qu’il ne savait pas, c’est que cette certitude allait vite disparaître.

Au début, Yaoundé pensait que son oncle était exigeant quand il lui demandait de tout faire briller. Mais Yaoundé se sentait redevable : il pensait que c’était grâce à lui que son rêve de devenir avocat allait se réaliser. Un jour, l’oncle réveilla Yaoundé très tôt. Le soleil n’était pas encore levé. Yaoundé pensa que c’était pour aller à l’école. Cependant il n’en vit jamais le chemin. L’oncle dit à Yaoundé de préparer le petit déjeuner de ses enfants. Malheureusement, Yaoundé fit une erreur ce-jour-là. Alors qu’il était en train de préparer le petit déjeuner pour les enfants de son oncle, il fit tomber, par accident, les bols qu’il tenait. Ceux-ci se brisèrent en plusieurs morceaux. Un grand bruit se fit entendre dans tout l’appartement. Aussitôt, son oncle, très imposant et encore plus menaçant que d’habitude, apparut dans l’encadrement de la porte et cria : « Qu’est-ce que tu as fait !?». Yaoundé était tétanisé face à son oncle. Il ne disait plus un mot et n’osait plus bouger. Son oncle s’approcha, leva sa main, et lui infligea une gifle. A cet instant, la personne qu’il considérait comme son sauveur devint son bourreau. Pendant quelques instants, Yaoundé ne sentit plus son cœur battre. Il ne savait ni quoi faire ni quoi penser. Après cet incident, son tortionnaire l’obligea à tout nettoyer et l’enferma dans une pièce froide et sombre. Yaoundé est resté tellement longtemps dans cette cellule qu’il n’essayait même plus de compter les heures. La faim et le froid commençaient à le tenailler. Plus tard, son oncle réapparut. Cette fois encore, le soleil n’était toujours pas levé. Il ouvrit la cellule et ordonna à Yaoundé de faire des dizaines et des dizaines de corvées : repasser, cuisiner, nettoyer… et le soir, de nouveau, Yaoundé fut enfermé dans sa cellule, comme on enferme un chien dans sa niche. Il vivait dans des conditions effroyables. Il était nourri de pain et d’eau une fois par jour. Et ses journées se terminaient bien trop souvent en larmes.

Yaoundé était exténué, il ne dormait presque plus. En effet, il est très dur de dormir à même le sol sans couverture. Il était épuisé par ces journées interminables ; sa santé se faisait de plus en plus fragile. Sa bonne humeur et son sourire éclatant avaient disparu depuis fort longtemps, laissant place à la souffrance et la tristesse. Cela faisait désormais plus de deux ans que Yaoundé vivait chaque jour ce calvaire. Yaoundé avait un peu plus de 13 ans maintenant. Il avait essayé à plusieurs reprises de fuir de l’appartement de son oncle, en vain. Yaoundé ne pouvait plus vivre comme cela. Alors un bel après-midi au milieu du mois de mai, Yaoundé ouvrit la baie vitrée qui menait sur un balcon plutôt étroit. C’était la première fois que son oncle oubliait de la fermer. Yaoundé décida que cela suffisait, qu’il en avait assez. Yaoundé en avait marre. Il ne voulait plus souffrir. Son oncle lui avait volé sa vie, son avenir. Puisqu’il ne pouvait pas prendre la porte de la liberté il allait monter au Paradis. Lorsque Yaoundé franchit la baie vitrée, il sentit des ailes lui pousser dans le dos. Yaoundé s’agrippa à la barrière du balcon, et la lâcha quelques secondes plus tard. Il s’envola en direction du paradis. Il était généreux Yaoundé, il était plein de joie de vivre, il avait un avenir, une belle vie jusqu’à ce qu’on la lui vole.

Théo PERRON et Tristan SCHAFFNER

Élèves de 2nde au lycée Edouard Belin de Vesoul