Dans le froid

Quelques mots, noirs sur le mur gris, blancs dans la pénombre. Sombrement sur les ressorts, je songe. Quelques mots, chauds, dans l’enclos froid de ma cellule.

 

On est au petit matin, la buée colle à la vitre. Troublé au travers, le monde extérieur s’étend, inexorablement. Le café me brûle les lèvres, cuit ma gorge sèche, les miettes de la veille, l’avant-veille, l’avant-avant-veille me rentrent dans la plante des pieds… il serait temps de faire le ménage. Le ventre vide, le teint rougi, la langue mise à blanc par la caféine, je sors de l’immeuble, de la tour où se trouve mon donjon de 8 mètres carrés.

À 7 heures, le journal est vide, comme à toute heure d’ailleurs. Les effectifs disparaissent, comme par politique, comme par austérité, comme par censure. Une sorte de magie noire s’abat sur la presse, sur les idées, sur l’opposition, allez savoir pourquoi, parler est devenu un luxe. Peut-être l’a-t-il toujours été… peut-être bien oui, mais aujourd’hui son coût semble avoir encore augmenté.

Le calendrier affiche 7 juillet, nous sommes le 28 août. À l’autre bout de la pièce, au travers du no man’s land de l’open space, Jalane me regarde, me fait signe que le patron veut me voir. Je ne sais ce que cela ferait de pouvoir dire ce que l’on pense, là, sans rien pour nous arrêter… Quand on a froid on désire le chaud, quand on a chaud on désire le froid, jamais il ne fait tiède.

Les stores sont descendus, la porte fermée, toute cette cérémonie m’exaspère, je sens bien les glyphes invisibles dessinés sur toutes les parois de ce caisson. Vous êtes congédié, renvoyé, viré, sorti, limogé, expulsé, lourdé, balancé, braqué.

Dehors, il pleut. Je ne me suis pas énervé, pourquoi l’aurais-je fait ? Je n’ai jamais remercié aucun miracle, je ne m’offusquerais d’aucun malheur. Ça me trottait depuis longtemps, c’est enfin arrivé, c’est presque un soulagement, presque… Je n’ai jamais été bonne plume mais je n’étais pas du corps disons, j’ai donc écrit, c’est ce qu’on fait lorsque l’on est convaincu d’un bien-fondé, nos mots portent le poids de nos idées, et nous, on se retourne vers la caverne, regardant de loin si notre minable explosif artisanal fonctionne. Évidemment mes bombes de mots n’explosent jamais.

Dans la ruelle, le van est passé en un instant, le sac en une fraction, le chloroforme a vite agi.

 

Plus je regarde ces murs sans forme, ces barreaux rouillés, et plus mes certitudes se forgent. “Ici meurent mes doutes et avec eux, un libre-penseur” voilà ce qui restera inscrit sur ce mur tant qu’il sera mon seul horizon. Contrairement à ce que l’on dit de la prison, on n’y doute pas. Et là, maintenant, j’aimerais seulement avoir chaud.