2018

2018

Je fais glisser mon doigt le long des titres lorsque je m’arrête sur la tranche d’un des livres. Il est intitulé 2018. Je ne l’ai jamais vu ni lu, c’est étrange. Je l’ouvre et marque un temps d’arrêt. C’est son écriture, son journal ? Je tourne la première page…

 ‘’A mon amour, on n’existe qu’à travers les autres, moi je continuerai de vivre à travers toi car le néant n’existe pas.’’

                                                           Ama, Février 2074

 

Mercrèdi14 mars 2018

John est gentil avec je, il proteje dé policié et je vi dans ca méson. Il ma doner un livre pour ecrire ma vie. Le jen qui vive a coté ne me aime pas cet eu qui on apelé le police.

Je me souviens de ce jour quand les policiers sont venus chez moi. Les voisins de l’époque n’appréciaient pas beaucoup les réfugiés. Les agents ont voulu l’emmener, mais lorsque je suis rentré, ils étaient trois dans mon salon à l’écouter raconter, dans un français plus ou moins maîtrisé, des histoires de son pays.

Vendredi 23 mars 2018

La seur de John me done dé cour de français. Je sé préparé des recete du livre de sa mama. John ne ve pas que je sort. Il di qu’on me cherche.

           

Cela faisait plusieurs semaines que j’hébergeais Ama, je travaillais, j’essayais d’obtenir une demande d’asile, mais j’avais vraiment peur qu’elle soit renvoyée à la frontière.

Ama faisait des progrès incroyables dans l’apprentissage de la langue française. Elle était déjà capable d’engager et comprendre une conversation avec suffisamment de vocabulaire. Son accent syrien s’entendait bien moins qu’à son arrivée.

Dimanche 22 avril 2018

            La marche du col de lechele a montrer a John et je que les refugiers come moi arrives de partou. Je ai pu parlé dans ma langue natalle avec un jeun que nous avon aider a faire passer la frontière. Ils ont passer le col avec nous, meme sili i avait le groupe de jens qui veules pas de nous. Ili a plus de refugiers mai persones veux comprendre la guerre ché nous.

                       

C’était la première fois depuis qu’on se connaissait qu’elle parlait dans sa langue natale. Le jour de la marche du Col de l’Échelle, nous avons été une centaine de manifestants à cacher parmi nous une vingtaine de migrants pour passer la frontière franco-italienne.

Jeudi 2 out 2018

            Nous somme aller voire la mair. Il fesait chaud. John m’a appris un nouvo mot : coquillage. Je ai mis le grand coquillage amon oreile et je ai entendue la voix de mon frère.

                       

C’était une très belle journée, mais au moment où elle a porté le coquillage à son oreille… elle a fondu en larmes, elle m’a regardé et a souri, puis a tourné les yeux vers la mer. Elle ne m’avait jamais parlé de sa famille, mais alors qu’elle s’était agenouillée, son visage baigné de larmes face contre terre, je l’ai entendu réciter la liste de ses morts. C’est à ce moment précis que je l’ai su : je passerais le reste de ma vie à essayer de la rendre heureuse.

Samedi 6 octobre 2018

            Aujourdui nous somme allé à Grenoble pour manifesté et soutenir l’Aquarius. On portait des gilet de sauvetage orange. On a discuté avec une des 200 persone présente. C’est un imigré. Il a traversé la mer dans un bateau a moteur avec plus de 150 persone,  des femme et des enfant, à son bord. Ils se sont retrouvé sans essence avec de l’eau qui rentrait dans le bateau. Ils ont été sauvé par un bateau alemand. C’est grace a se bateau qu’il est en vie. Il est triste à chaque fois qu’on parle des réfugié qui traverse la mer. Comme je le comprend…

            Lundi 31 décembre 2018

            Aujourdui j’ai raconter a John se qui c’est passé avant que je arrive en France.

                       

L’encre a un peu coulé, formant de petites taches sur le papier. Elle n’a pas dû être capable d’écrire plus que cette unique phrase à cause de l’émotion.

Je savais qu’elle était une femme forte, mais après cette nuit sous les étoiles, elle m’est apparue encore plus courageuse. Cela faisait environ dix mois que nous nous étions rencontrés, qu’elle avait frappé à ma porte un soir de mars, le 7, je m’en souviens comme si c’était hier, frissonnante de froid à cause du vent qui s’engouffre habituellement dans la vallée. J’habitais la première maison du village, c’était donc chez moi qu’elle était venue frapper en premier. Heureusement parce que les gens de cette vallée n’étaient pas très ouverts à l’accueil des immigrés. L’appel en mars l’avait prouvé, seul un de nos voisins pouvait avoir aperçu Ama et ainsi prévenir la police que je l’hébergeais. Je ne sais toujours pas, et je ne saurai jamais, comment elle a fait pour amadouer les agents et ainsi éviter l’expulsion, elle n’avait que 24 ans après tout. Nous avons eu la chance de tomber sur des policiers sympathiques qui ont préféré mentir à leurs supérieurs en racontant que c’était ma cousine qui était venue habiter chez moi un moment, et non une réfugiée, toujours sans papiers qui plus est. Ama vivait dans la clandestinité depuis son arrivée en France. J’avais besoin de connaître les raisons qui l’avaient poussée à quitter son pays pour pouvoir espérer obtenir sa demande d’asile, et avant ce soir-là, elle ne s’était encore jamais confiée à moi.

Son village en Syrie a été totalement ravagé par la guerre. Nombre de ses voisins et de ses amis ont péri à cause des affrontements. Ses parents aussi, à qui elle n’avait même pas pu offrir une sépulture décente. Elle et son grand frère étaient partis chercher de l’eau au puits à plusieurs kilomètres de là. A leur retour, ils n’ont trouvé que des ruines. Ils se sont précipités chez eux, une maison un peu à l’écart du village. Ils ont passé la porte, trouvé leurs parents fusillés, étendus à terre dans une flaque de sang. Son frère a couru vers eux, avant d’être stoppé net et de s’effondrer à terre, une balle en pleine poitrine. Une balle perdue, qui avait traversé la fenêtre. Les affrontements, qui continuaient à proximité à l’extérieur, ont couvert le long cri de tristesse, de rage et de désespoir d’Ama. Une main est venue saisir la sienne, surprise elle reconnut sa petite sœur Djenaba, terrorisée. Alors elle ne se concentra que sur leur survie, elle mit en vitesse dans un sac des gourdes de l’eau qu’elle avait rapportée et un peu de nourriture et d’argent. Elles coururent à perdre haleine, le dos courbé pour éviter les balles, sans jamais se lâcher la main. Elles errèrent plusieurs jours, endeuillées, vivant de leurs maigres provisions, et atteignirent enfin une ville sur la côte méditerranéenne. Ama réussit, après plus d’une semaine de recherche et de négociation, à obtenir leurs places sur le bateau d’un passeur. Le voyage fut long et fatigant, ils étaient nombreux, trop nombreux sur ce petit bateau, victimes de maladie et de disette, beaucoup ne sont jamais arrivés à destination. Les derniers survivants échouèrent finalement sur une plage italienne. Leur périple ne se termina pas là, elles traversèrent toute l’Italie en suivant la côte, du sud au nord en prenant soin d’éviter les grands axes. Les deux sœurs atteignirent finalement les Alpes et passèrent la frontière franco-italienne sans avoir encore rencontré aucun policier. Mais c’était avant de s’arrêter aux alentours d’une ville française auprès d’autres réfugiés. Les policiers les embarquèrent, elles n’avaient pas pu emporter leurs papiers d’identité et alors qu’elles voulaient retrouver leur oncle vivant en France, elles apprirent qu’il était décédé quelques mois plus tôt, elles n’avaient même pas été mises au courant. Djenaba, encore mineure, fut envoyée avec les autres enfants du groupe vers un centre d’accueil pour mineurs. Ama, elle, fut renvoyée avec les autres adultes de l’autre côté de la frontière, sans savoir où la dernière personne de sa famille se trouvait. Alors elle retraversa cette frontière clandestinement, et ses pas la menèrent jusqu’à chez moi.

Mardi 1er janvier 2019

            C’était la première foi que je passai le nouvel an en occident (nouvo mot). Le début d’une nouvèle anné, le début d’une nouvèle vie. Avec John. Nous avons comencé les recherches pour retrouver Djenaba.

Vendredi 15 février 2019

Sa y est, je suis oficièlment française.

           

La démarche pour obtenir une demande d’asile avait été longue, on avait un peu déformé la vérité pour que son récit soit plus acceptable. Elle n’était soi-disant arrivée que quelques semaines auparavant et elle était la fille d’un des amis de mon père. Par chance, nous nous sommes de nouveau retrouvés face aux policiers de l’année passée qui ont appuyé en faveur de notre dossier.

Mardi 19 avril 2022

            Nous avons enfin retrouvé la trace de ma sœur. Elle va bientot féter ses 10 ans. J’ai contacté le centre d’accueil dans lequel elle vit depuis 4 ans ; avec l’aide de John, la procédure pour faire de moi sa représentante légale est presque terminer. Je voudrais tellement la serrer dans mes bras.

Vendredi 17 juin 2022

            Djenaba est enfin à la maison. Elle parle très bien français et a même des connaissances en anglais et en russe. Nous sommes donc 3 à la maison. John s’occupe d’elle comme si elle était sa fille. C’est vraiment un homme merveilleux. Je l’aime, et lui aussi. Il m’a demandée en mariage (avec la complicité de ma petite sœur).

           

C’était magique, c’était logique aussi. Cela faisait déjà quatre ans qu’elle partageait ma vie et avec l’arrivée de Djenaba je n’avais jamais été aussi heureux.

                                                                                 

 

Je tourne la dernière page de son histoire. L’histoire d’une vie. Beaucoup n’auront pas la chance qu’elle a eue en arrivant en Occident. C’est pourquoi je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour faire de ce monde un monde plus juste et plus tolérant, dans lequel d’autres auront le droit à la vie.

Son odeur imprégnait encore les draps et son rire résonnait toujours contre les murs, mais c’est dans un mouvement froid et solitaire que je refermai son journal.