J’ai l’impression que cela fait une éternité que mon horloge affiche dix-neuf heures cinquante et un. Cette même horloge camoufle très bien la trace de moisissure laissée par de nombreux dégâts des eaux. Le parquet quant à lui est gondolé et ma fenêtre fêlée laisse s’introduire le vent qui siffle et refroidi davantage mon salon déjà mal isolé. Alors que je m’enfonce dans mon vieux canapé troué, j’attends avec une certaine impatience les résultats des élections présidentielles françaises. Ma télévision feint sans cesse de s’arrêter à cause des disfonctionnements répétitifs de la parabole de mon HLM et je crains de ne pas pouvoir assister au dénouement du vote, à vingt heures. Dix-neuf heures cinquante-trois, je fais les cent pas dans mon salon. Dix-neuf heures cinquante-quatre, je ne peux résister à l’envie de me ronger les ongles jusqu’au sang. Dix-neuf heures cinquante-cinq, alors que mes poils s’hérissent des sueurs froides m’envahissent. Dix-neuf heures cinquante-six, je ressens une vague d’adrénaline traverser mon corps. Dix-neuf heures cinquante-sept, le claquement régulier du volet voisin qui d’habitude me berçait me semble désormais dérangeant voire insoutenable. Dix-neuf heures cinquante-huit, mes mains deviennent moites. Dix-neuf cinquante-neuf, mon pouls s’accélère. Vingt heures…
La porte s’ouvre enfin ! Cela faisait plus de quarante minutes que j’étais devant la porte de mon patron. J’ai reçu ce matin par mail une convocation plus qu’énigmatique d’une boîte de communication installée à St Petersburg. Je savais que l’homme qui la dirigeait était un proche du Kremlin, voire très proche. Il me tardait d’en apprendre davantage. Je m’introduisais dans l’un des bureaux le plus luxueux que je n’avais jamais vu. Des fauteuils en cuir autour d’une table de cristal, des bouteilles de Grey Goose Vodka ainsi qu’une multitude de tableaux dont la valeur de chacun excédait celle de ma maison. Mon patron m’invita à m’asseoir et me proposa un verre de vodka de luxe accompagné d’un panel de cigares hors de prix. Il m’exposa son plan assez tordu qui au premier abord ne m’intéressait pas vraiment. Je tenais à garder ma totale liberté de cyber pirate. Plus tard dans la conversation, il aborda un sujet bien plus captivant : la prime que j’allais toucher. Après une réflexion très brève équivalente à cinq secondes, j’acceptais. Il avait effectivement pensé que moi, Dimitri Zakharov, serait le plus apte à monter l’opération suivante : aller en France pour faire gagner aux élections présidentielles de 2017 le parti de l’UNF (Union nationale française). En effet, le Kremlin ayant financé une partie de la campagne de Valérie Maréchal, souhaiterait que ses investissements ne soient pas vains. Les sondages français étaient favorables au RCF (République centriste des français) à la grande majorité plutôt qu’à l’UNF. Ma mission était donc de d’avantager l’UNF et par conséquent sa représentante, Valérie Maréchal et tout cela grâce à mon don de me promener sur internet et d’y faire absolument tout ce que je voulais.
J’ai donc fait mes bagages et pris un avion pour Paris avant la fin de la semaine. Tous les frais étaient pris en charge par la boite de communication. Je me suis donc installé dans un petit appartement dans l’un des quartiers les plus pauvre mais discret de Montreuil. Les écrans d’ordinateurs emplissaient la petite pièce principale, les câbles électriques jonchaient le sol. J’ai d’abord pris contact via le Dark Net avec un réseau de passeurs de migrants que mon « chef » m’avait indiqué. Ils semblaient liés mais je n’ai pas cherché à en savoir plus. On me mit rapidement en contact avec Myriam Aboudaram qui jouerait le rôle principal dans l’opération. En échange de quoi, je lui promettais des papiers qui lui permettrait de régulariser sa situation de femme de ménage migrante. Je commençais mon travail sans plus attendre, c’est à dire 4 mois avant les élections.
Myriam devait absolument assister à tous les meetings de Carmon de manière à ce qu’elle soit vue de nombreuses en sa compagnie. J’ai pu prendre de nombreuses photos où elle était proche du candidat. Je réussis même le shooting parfait, Carmon serrait chaleureusement la main de Myriam qui semblait être aux anges.
Puis du jour au lendemain, elle ne devait plus apparaître à aucun meeting ou en présence de Carmon. Le lendemain du premier tour, l’UNF et le RCF étaient coude au coude pour le deuxième tour. C’est à ce moment que j’ai lâché ma bombe sur les deux réseaux sociaux les plus influents : Carmon a proposé à Myriam des papiers en échange de faveurs sexuelles. Photos à l’appui prises lors de meetings, témoignages de Myriam et d’autres personnes tout à fait « correctes », la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. La nouvelle fit scandale comme prévu. L’hashtag « #Carmoncochon » et « #Maréchalprésidente » sur Tweeter montèrent en trending topic au bout de quelques heures. En effet, il permettait aux gens de toutes nationalités de réagir au fait et de s’exprimer. Les gens du monde entier réagissaient et se déchaînaient sur la toile. Impossible de remonter jusqu’à moi, Lisbeth Salander n’aurait pas fait mieux. L’adresse IP était camouflée par des dizaines de relais, transitait par des pays du monde entier. La boite de Saint Pétersbourg faisait bien son travail. Elle avait fait ses preuves lors de la campagne des présidentielles aux USA. Elle n’était pas l’une des meilleures usines à trolls pour rien…
Au bout d’une semaine la popularité du candidat auprès des français chutait de près de 15%, largement suffisant pour laisser un boulevard à Valérie Maréchal. Les associations féministes se déchainèrent et aucune protestation, dénégation, communications en urgence de la part de Carmon me semblaient pourvoir infléchir la courbe descendante. Plusieurs associations féministes organisèrent des manifestations partout en France et réclamèrent son retrait pur et simple de la campagne. Certains de ses soutiens les plus actifs commençaient à prendre leur distance. Quant à moi, je constatais les conséquences de mes actes en toute impassibilité. Malgré le manque de preuves l’accusant, le peuple français le détestait un peu plus chaque jour. L’opinion publique était en faveur de Myriam et le peuple réclamait qu’elle obtienne des papiers.
L’UNF s’était empressée de donner sa position en tweetant « Voilà exactement la politique à venir de M. Carmon. Business graveleux et passe-droit pour les migrants ». Malgré cela, le RCF continua de nier et d’essayer de prouver l’honnêteté de Carmon. Une partie de la population, ne croyant pas la rumeur ne se laissait pas influencer. Les sondages étaient favorables à l’UNF mais avec une remontée du RCF.
Les résultats finaux seraient serrés.
Dix-neuf heures cinquante-quatre, je ne peux résister à l’envie de me ronger les ongles jusqu’au sang. Dix-neuf heures cinquante-cinq, alors que mes poils s’hérissent des sueurs froides m’envahissent. Dix-neuf heures cinquante-six, je ressens une vague d’adrénaline traverser mon corps. Dix-neuf heures cinquante-sept, le claquement régulier du volet voisin qui d’habitude me berçait me semble désormais dérangeant voire insoutenable. Dix-neuf heures cinquante-huit, mes mains deviennent moites. Dix-neuf cinquante-neuf, mon pouls s’accélère. Vingt heures… L’UNF remporte les élections, la nouvelle présidente est Valérie Maréchal.