Un coup de feu provenant de l’extérieur me réveilla, encore une fois. Alors qu’il faisait encore nuit, la rue me paraissait bien agitée. Des cris de femmes et d’enfants résonnaient dans ma tête :
« Suis-je bien réveillé? Ou est-ce encore un de ces maudits cauchemars ? », pensai-je.
Maman déboula en trombe dans ma chambre, effrayée. Elle me prit dans ses bras et me chuchota : « Prépare un sac avec tes affaires les plus importantes. Promets-moi de ne pas regarder par la fenêtre. Ne t’inquiète pas, on va rejoindre papa à l’Ouest.» L’idée de quitter cet endroit me réconforta. Depuis plusieurs jours, ce lieu m’effrayait. Je me précipitai vers mon sac pour préparer mes affaires le plus vite possible. J’attrapai ma peluche préférée, mon épée en plastique pour protéger maman et un pull. Au moment où je fermais mon sac, un énorme bruit retentit dans toute la ville. Tout l’immeuble se mit à trembler, la fenêtre éclata en mille morceaux et je fus violemment projeté sur mon lit. Mes oreilles sifflèrent sous la violence du choc. J’accourus rejoindre maman.
Dans le salon, un pan de mur s’était effondré, laissant place à un trou béant donnant sur l’extérieur. Sous les décombres, je la trouvai allongée sur le sol. La souffrance se lisait dans ses yeux. Je m’approchai d’elle, dégageai la poussière de son visage du bout de mes doigts, et elle me dit :
» Mon chéri, il faut que tu partes. Nous ne pouvons plus vivre ici ; des gens se plaisent à détruire la ville. Prends ton sac et commence à partir en direction du quartier de Zabdiyé. Il faut que tu retrouves ta tante et tes cousins.
- Mais maman, pourquoi tu ne viens pas avec moi ?
- Il faut que je remette un peu d’ordre dans ce salon. Il y a des bouts de brique et de la poussière partout. Pars vite, je te rejoindrai le plus vite possible. Je t’aime, fais attention à toi. »
Je n’eus pas le temps de répondre qu’elle s’était déjà endormie… Je la laissai se reposer : en effet, il y avait beaucoup de ménage à faire. Maman avait bien raison de rester et de prendre quelques forces avant ! Résolu, je pris mon sac et partis dans la direction qu’elle m’avait imposée.
Après une vingtaine de minutes, j’arrivai près d’une foule de personnes regroupées près des bus. Seuls quelques visages m’étaient familiers, dont ceux de ma tante et de mes cousins. J’accourus vers elle et me jetai dans ses bras, soulagé. Elle fut bien surprise de me voir seul :
« Mais où est ta mère ?
- Elle voulait remettre en ordre l’appartement avant de nous rejoindre. Mais avant, elle fait une sieste, allongée sur le sol du salon.
- Oh ! Je vois. Ne t’en fais pas, ça va aller, je reste avec toi en attendant ta maman, me rassura ma tante, masquant vainement son émotion. »
Je haussai les épaules, puis elle me prit par la main. Je sentais qu’elle était émue, sans trop savoir pourquoi pourtant. Le fait de fuir le quartier ? De quitter sa maison et ses amis ? Nous nous dirigeâmes vers les soutes où nous déposâmes nos bagages.
Une fois que nous fûmes installés à nos places, je regardai les personnes qui nous entouraient. A ma droite, une femme me fixait. Elle avait les yeux rouges, comme si elle avait pleuré, et une grande brûlure striait et déformait son visage. Remarquant qu’à mon tour je l’observais, elle détourna le regard et resserra son voile. J’interrogeai alors ma tante :
« Où allons-nous ?
- Le bus nous emmènera dans le quartier de Ramoussa, pour ensuite se rendre à l’Ouest de notre ville d’Alep. »
Nous patientâmes seulement quelques minutes avant que le bus ne démarre. Je vérifiai une dernière fois par la fenêtre si maman arrivait. Mon ventre se mit à gargouiller. Cela faisait plusieurs jours que nous n’avions pas mangé un vrai repas garni. Mon cousin Sayid sortit de sa poche un petit morceau de pain.
« Tiens, mange ça, c’est mamie qui est allée en chercher à Jaïch Al-Islam. Elle nous a raconté qu’elle et d’autres habitants avaient profité du retrait des combattants pour aller chercher de la nourriture dans les locaux qu’ils avaient abandonnés. Apprécie ce morceau car, avec la hausse des prix, ce sera dur de s’en procurer de nouveau !
- D’accord Sayid, merci beaucoup. »
Tout en grignotant le quignon, je regardai par la fenêtre le panneau « Al-Mashad » barré, ce qui signifiait que nous sortions de notre quartier. La femme au visage brûlé montra à l’homme assis à côté d’elle un avion qui venait dans notre direction. Elle semblait paniquée. Une bombe tomba juste devant le bus, ce qui dévia sa trajectoire. Tous les passagers furent sous le choc. Certains priaient en pleurant, d’autres hurlaient à l’aide.
Ça devait être les hommes qui s’amusaient à détruire nos habitations, pensai-je en reprenant les mots de maman. Ils veulent sûrement détruire notre bus maintenant, et, à cause d’eux, maman est encore en train de nettoyer leurs dégâts…
Une autre explosion se fit entendre sur la droite, à quelques mètres du bus qui bascula sur le côté. Les vitres explosèrent et les passagers du rang de droite nous tombèrent dessus. Écrasé par la femme et l’homme, j’essayai de me dégager pour rejoindre ma tante qui me prit dans ses bras. À cet instant, je voulais mes parents, et juste eux :
« Quand maman va nous voir, elle va venir nous aider.
- Non Sami, me murmura alors ma tante, ta maman ne reviendra plus. Elle s’est endormie et ne se réveillera pas. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé quand tu es parti, mais il n’y a pas de ménage à faire. Elle est avec tonton, dans les étoiles. »
Je ne répondis pas, sous le choc. Je venais seulement de comprendre. En voulant briser la ville, ces méchants hommes brisent des cœurs et suppriment des vies. Je ne retrouverai pas papa, mais j’irai rejoindre maman, décidai-je alors. Elle me manquait tellement, déjà. Peut-être devais-je fermer les yeux pour les rouvrir dans les étoiles ? Je fermai les yeux…
Une dernière bombe tomba alors sur le bus.