Nouvelle écrite par Leena Lieben et Tania Frangione du Collège Albert Camus de Besançon (25)
Thème : « Les enfances en danger »
Un soir d’été 1985, par une nuit à peine étoilée, les vingt-et-un coups du clocher de Casablanca, au Maroc, retentirent dans toute la ville, non loin de l’orphelinat pour filles LallaHasnaâ. C’était un bâtiment dont l’apparence extérieure était chaleureuse, alors que l’intérieur était aussi dur et froid qu’une roche. On y entendait à peine le rire des jeunes filles. Dans la chambre numéro 9, dormaient deux sœurs jumelles de 10 ans, au teint pain d’épice, qui se nommaient Zaya et Zara, et leur amie, Euréla, une petite fille de 10 ans aussi, qui avait été admise quatre ans auparavant. Elle avait les cheveux noirs comme l’ébène, les yeux verts pétillant comme l’émeraude et un sourire d’ange.
« Vous dormez ? demanda Zaya.
– Non, répondirent les deux jeunes filles.
– Bien, si personne ne dort, si on se racontait des histoires ? proposa Euréla.
– Oui! s’exclama Zara. Et comme c’est toi qui as eu cette idée, c’est toi qui racontes !
– Non, je n’en connais pas…
-Allez Euréla ! Fais un effort, tu dois bien en connaître une !
– Bon d’accord… Cela s’est passé il y a quelques années dans ce même orphelinat. C’était une jeune fille de six ans à l’histoire tragique qui s’appelait Nahia. Elle avait perdu ses parents et sa petite sœur le 22 décembre 1973 lors d’un terrible accident de voiture alors que la famille voyageait pour les fêtes. Le père, fatigué de la route, perdit le contrôle de la voiture puis tomba dans l’Océan Atlantique. Les autorités marocaines prirent en charge la petite et la placèrent dans l’orphelinat le plus proche, qui se trouvait être l’orphelinat LallaHasnaâ.
Elle se faisait très souvent convoquer dans le bureau de la directrice, madame Habiba, où les couples se succédaient mais à chaque fois, ceux-ci disaient que Nahia était trop petite, ou trop grande. Ce bureau lui faisait peur car elle s’y sentait oppressée et dévisagée du haut de ses douze ans et demi par les couples qui venaient la voir. Elle était brune aux grands yeux marron avec une pointe de vert et contrairement à ses amies, avait le teint clair. Mais un jour, elle fut encore une fois convoquée dans cette pièce ornée de rouge avec son gros bureau et sa chaise imposante. Un couple se dressa devant elle. L’homme et la femme avaient un style vestimentaire très simple : ils portaient de vieux jeans et des chemises à carreaux. La directrice lui apprit que ces personnes venaient officiellement de l’adopter. Surprise, Nahia se retourna vers eux et marmonna : « Merci ». Madame Habiba lui précisa qu’elle avait une semaine pour faire ses bagages et dire au revoir à ses amies. Les jours passèrent et le couple que Nahia avait rencontré auparavant revint la chercher. Ses amies l’accompagnèrent jusqu’à l’entrée principale. Nahia se tourna vers ses amies et toutes se mirent à pleurer. Elles lui souhaitèrent beaucoup de bonheur dans sa nouvelle famille. Nahia leur promit qu’elles aussi auraient une famille qui les aimerait. Une des filles répondit alors : « Nous sommes déjà une famille ». Sur ces paroles Nahia sécha ses larmes et embrassa une dernière fois ses amies puis monta dans la petite voiture de ses nouveaux parents. La femme se retourna et lui demanda :
« Tu es triste ? »
Elle avait pris un air très rassurant et avait légèrement incliné sa tête.
« Mes amies vont beaucoup me manquer… »
Deux mois passèrent. Nahia commençait à s’habituer à sa nouvelle vie. Plus tard, alors qu’elle rentrait des courses, elle fit la rencontre d’un ami de ses parents, Abid, un homme de 37 ans qui n’arrêtait pas de la flatter. Son père lui dit : « Je t’annonce, ma fille, que tu vas épouser mon ami Abid ». Choquée la jeune adolescente ne parla plus. Une fois qu’elle fut dans son lit, comme tous les soirs, sa mère vint la border. Nahia en profita pour lui demander :
« Pourquoi me faire ça ?
– Tu sais ma chérie je suis désolée mais nous n’avons plus un sou et cet homme nous payera si tu l’épouses.
– Mais je ne veux pas l’épouser. Il est trop vieux ! Vous n’allez pas me marier de force ? »
Sa mère continua à la border et répondit : « On en reparlera, dors maintenant. Je t’aime ma chérie. »
Les jours passèrent sans aucun signe de l’homme de l’autre soir. Un jour, la mère appela Nahia pour goûter. La femme avait l’air abattue. Puis, cinq minutes après avoir mangé, Nahia se sentit faible et tomba. La dernière chose qu’elle dit fut : « Maman ». Elle se réveilla dans un sombre endroit humide et froid comme la glace. Tout à coup, elle reconnut la voix d’un homme, celle d’Abid. Elle comprit que celui-ci l’avait emmenée avec la complicité de ses parents.
Des mois s’écoulèrent. Nahia était mariée à Abid et devint mère d’une petite fille. Elle resta plus de cinq ans et demi à attendre que sa fille grandisse et qu’elle puisse trouver une façon de s’échapper de la maison de cet homme. Alors qu’elle venait d’avoir 18 ans elle décida de prendre sa fille et de s’enfuir loin de cet homme qu’elle méprisait. Elle avait tout prévu, l’hôtel, la voiture. Mais l’homme la retrouva quelques rues plus loin et l’égorgea devant les yeux de leur petite qui avait alors six ans. La petite fut placée dans le même orphelinat que sa mère, alors que son père purgeait sa peine en prison.
« Tu as beaucoup d’imagination. dit une des filles.
– Mais non c’est une histoire vraie ! »
Les deux jeunes filles se mirent à rire et dirent :
« Oui et d’ailleurs, si elle est vraie, comment tu la connais ?
– Parce que c’est l’histoire de la femme que j’admirerai toute ma vie; celle de ma mère. »