La mésaventure de Sarah

Nouvelle écrite par Alizée Meslet et Silia Aouina du Collège Camus de Besançon (25)

Thème : « Géopolitique, sport et droits humains »

 

Sarah, âgée de quatorze ans, habitait un sordide bidonville en Argentine, avec ses parents et son petit frère Augustin âgé de sept ans. En dépit de la misère et des difficultés quotidiennes, la famille, soudée, vivait en harmonie et goûtait au jour le jour les joies simples de la vie.

L’Argentine était alors un pays prospère en pleine expansion, ce qui offrit à ses dirigeants la possibilité d’accueillir, cette année-là, la coupe du monde de rugby. Les habitants de ce pays, depuis des siècles terre de rugby, auraient dû être très enthousiastes à l’idée de recevoir et d’organiser, chez eux, le mondial du ballon ovale : mais ce fut loin d’être le cas !

En effet, cette compétition impliquait, pour que les matchs puissent se tenir et que les supporters et officiels du monde entier puissent être logés, que de nouveaux stades et luxueux complexes sportifs et hôteliers soient construits. Afin de redorer l’image de la capitale argentine, il fut rapidement décidé par les autorités dirigeantes que ces nouvelles infrastructures seraient réalisées à l’emplacement des bidonvilles. Il fut ainsi décrété que toute habitation ayant été construite sans permis légal serait rasée, et qu’il en serait de même pour tous les bidonvilles jouxtant Buenos Aires, auxquels on reprochait leur insalubrité et leur dangerosité.

Personne n’eut le choix de rester ou de quitter le bidonville. Toutes les vétustes habitations furent détruites sans ménagement par des engins de chantier monstrueux, écrasant et détruisant tout sur leur passage. Les familles et habitants furent tous contraints de fuir loin de la ville, le strict minimum dans quelques vieilles malles, parqués sur des charrettes ou dans de vieilles voitures, et forcés de quitter leur emploi – souvent ingrat et difficile – lorsqu’ils en avaient un.

Sarah et ses proches, furieux mais impuissants, durent eux aussi subir l’exil. Ils trouvèrent à se loger pour quelques mois chez un cousin, à plusieurs kilomètres de la ville. Les parents de la jeune fille trouvèrent un emploi en tant que ramasseurs d’ordures, et promirent à leur fille de retrouver rapidement un endroit où vivre, un endroit peut-être pauvre, mais bien à eux. Sarah, pour ne pas leur faire de peine, fit alors mine de les croire.

 

Sarah, désœuvrée, s’aventura un soir dans son ancien quartier, aux abords d’un stade fraîchement sorti de terre : le chantier, désert en cette fin de journée, était strictement interdit au public. La jeune fille, méprisant le règlement, se glissa dans l’enceinte et erra parmi les gradins tout neufs, tout en sentant la colère monter en elle : à quoi tous ces édifices serviraient-ils plus tard ? À quelques matchs épars ? Pourquoi débourser tant d’argent pour une compétition sportive ponctuelle, même mondiale, quand tant de pauvres attendaient depuis toujours un minimum d’aides pour s’en sortir ? Pourquoi tant d’argent gaspillé pour autant de bâtiments alors qu’il aurait pu être consacré à la réfection de quartiers insalubres, à la rénovation de plusieurs masures dévastées par la misère, le manque d’hygiène, rongées par la chaleur ou par l’humidité ambiantes ?

Sarah, écœurée par tant d’injustices dans le choix des priorités du gouvernement, éprouva soudain l’envie de tout casser, de tout faire exploser. Puis, se sentant tout aussi soudainement abattue et découragée, elle fit demi-tour en vue de regagner le domicile de son cousin.

Elle ne fit guère que quelques mètres avant d’être rattrapée sans ménagement par des policiers qui l’avaient vue entrer dans l’enceinte en dépit de l’interdiction. Malgré ses protestations, ils l’embarquèrent en garde à vue et l’accusèrent, sans preuve tangible, d’avoir tenté de saboter le chantier et de faire partie d’un groupuscule extrémiste qui agissait de nuit et vandalisait toute nouvelle infrastructure en guise de protestation. Si sa famille ne pouvait rembourser le montant qu’on lui réclamait pour des dégradations qu’elle n’avait pas commises, Sarah risquait d’être détenue en prison cinq ans.

 

Amnesty International eut vent de l’affaire grâce au cousin de Sarah et organisa des manifestations et des pétitions à travers le continent et le monde pour la faire libérer. Les parents de cette dernière, ne pouvant payer, n’avaient quant à eux pas osé remettre officiellement en question le cruel et injuste jugement qui frappait leur fille. Le cousin de Sarah, face à son oncle et à sa tante effondrés, avait donc pris les devants, conscient que les dirigeants argentins, sous la pression internationale, finiraient par céder et par reconnaître leurs torts : une enquête policière bâclée, une cruelle absence de preuves, une version officielle se fondant sur des a priori, un jugement rendu à la va-vite… La culpabilité de Sarah fut rapidement remise en cause et Sarah libérée.

Profitant d’être hébergée chez son cousin et sortie grandie de sa mésaventure et de son expérience criante de l’injustice, elle s’engagea auprès de lui au sein d’actions militant en faveur du respect des droits humains, et surtout en faveur du droit au logement décent pour tous.