Il était une fois Lila

Nouvelle écrite par Marie Lou Dornier du Collège Les Augustins de Pontarlier (25)

Thème : « Les enfances en danger »

Il était une fois… non, non et non, on ne va pas commencer cette histoire par la phrase typique des histoires qui se terminent bien car cette histoire, justement, ne se termine pas bien !

Je m’appelle Lola, j’ai 17 ans. Je vis avec mes parents dans un petit appartement en ville. Mes passions : les films et les livres. Aujourd’hui je ne serai pas la lectrice mais l’auteur, le narrateur, le témoin. Je ne vais pas vous raconter une belle histoire qui se termine bien. Non, cette histoire n’a rien d’extraordinaire : ni super-héros ni marraine la bonne fée. Juste deux amies…

Elle s’appelait Lila. Nous nous sommes rencontrées en seconde. Ce qui nous a amusées au début c’était la similitude de nos deux prénoms. Après, nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de points communs : notre passion pour les maths ou notre souhait de devenir infirmières plus tard et d’aller travailler là-bas, à des centaines de kilomètres de la France, en Afrique. Notre rêve à toutes les deux : sauver des enfants vivant dans la misère et guérir des personnes n’ayant pas les moyens de se payer des médicaments.

Nous étions les meilleures amies du monde et rien ni personne ne pouvait nous séparer. Les seuls moments où nous nous séparions étaient les samedis matin pour rentrer chez nous, mais nous nous retrouvions le dimanche soir ! Même à l’internat nous étions inséparables : nous dormions ensemble ! Et lorsque venaient les vacances, nous nous écrivions pour garder des nouvelles de l’autre.

Mais aux vacances de Noël, en 1ère, elle ne m’a pas écrit. Elle n’a pas non plus répondu à mon appel, je n’ai eu que sa belle-mère, une femme superficielle qui ne s’inquiète que de sa petite personne et qui aime autant les vêtements que moi les livres ! Elle m’a dit que Lila n’était pas disposée à me répondre, qu’elle avait autre chose à faire que de me parler. Je ne vous cache pas que j’ai été affreusement vexée ! À la rentrée, j’ai retrouvé une Lila complètement changée : elle ne parlait plus, ne mangeait plus, ne souriait plus, ne lisait plus et ne dormait même plus avec moi ! Au début je me suis dit qu’elle avait eu une aventure avec un garçon mais au fur et à mesure des semaines j’ai bien vu que c’était plus que ça… Un jour elle m’a dit que sa belle-mère était partie et qu’elle la regrettait ! Je n’arrivais pas à y croire ! Elle qui ne souhaitait que son départ ! Quel choc ! Je lui ai demandé ce qu’elle voulait entendre par là et elle m’a répondu mot pour mot : « Qu’est-ce que tu ne comprends pas quand je dis que je regrette qu’Isabelle (sa belle-mère) soit partie ? » puis elle a tourné les talons. Je suis restée scotchée sur place. Mais qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle était folle ou quoi ? J’en suis restée bouche bée. Puis je suis allée à l’infirmerie jusqu’au soir, je n’y ai fait que dormir et pleurer…

Mais pendant les vacances de février j’ai reçu une lettre. C’était sa belle-mère (enfin son ex-belle-mère). Elle me demandait de ne pas délaisser Lila, qu’elle avait besoin de moi. Au dos de la feuille était griffonné un numéro de téléphone. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire alors je lui ai téléphoné. Elle a répondu à la troisième sonnerie.

« Bonjour je suis Lola, l’amie de Lila.

-Bonjour Lola. Je me doutais que tu allais m’appeler… qu’est-ce que tu veux ?

-Je voudrais savoir ce que vous vouliez dire en me disant que Lila avait besoin de moi ?

– Je… hum… En fait je me suis séparée de son père car il devenait violent. Mais quand je tentais de prendre la défense de Lila il me frappait ! J’en ai eu assez et je suis partie. Je sais que j’aurais dû prévenir la police mais je n’avais pas le courage de le faire. Je craignais d’éventuelles représailles… Est-ce que tu veux bien faire attention à elle ? Si tu ne le fais pas pour moi… non, puisque tu ne le fais pas pour moi, fais le pour elle.

– Mais pourquoi ne m’avez-vous rien dit quand je vous ai téléphoné pendant les vacances de Noël ?

-Parce que ce n’était pas aussi grave… Je dois te laisser. Prends bien soin de Lila, je compte sur toi ! Contrairement à ce qu’elle pensait, je l’aimais bien…

-Mais…

-Bip…bip »

Je croyais rêver ! Lila se faisait frapper ? Par son père ? Et pour que sa belle-mère s’en inquiète, ce devait être grave, vraiment grave ! J’ai téléphoné chez Lila tous les jours mais je tombais toujours sur le répondeur. Je n’osais pas laisser de messages alors j’attendais, mais elle ne rappelait pas…

À la rentrée, en mars, elle ne vint pas en cours. Elle ne fut pas là non plus la deuxième semaine. Je commençais à m’inquiéter à tel point que je ne mangeais plus. Je m’évanouis même en cours… mais Lila ne revenait toujours pas… au bout de trois semaines, je me suis demandé si j’allais la revoir un jour. Je priais tous les soirs alors que Dieu, franchement je n’y crois pas des masses ! Mais mon vœu fut exaucé et elle revint ! Enfin… elle avait tellement changé ! Elle était tellement maigre que je me suis demandé s’il était possible de maigrir des os ! Elle dormait en cours mais les profs ne la réveillaient pas tant elle faisait pitié !

Un jour où elle passait devant moi je la tirai par la manche. Elle voulut résister mais n’en eut pas la force !

« -Écoute Lila je sais ce qu’il t’arrive, ta belle-mère m’a dit pour ton père… Je peux t’aider ! Tu ne dois pas rester seule ! On peut appeler la police ! Tu peux venir chez moi ce week-end si tu veux. Je trouverai bien une excuse pour mes parents…

-Non ! Tu ne peux pas comprendre ! Tu ne sais pas ce que j’endure ! Si je faisais quoi que ce soit, il le saurait ! »

Je ne réagis pas quand elle partit. Pas plus que je ne réagis tout court…

Ce matin le Directeur est venu dans notre classe. Il semblait chamboulé. Il nous a demandé de nous asseoir. J’avais peur de savoir ce qu’il allait dire. Et ma peur se transforma en cauchemar. Il commença à nous parler avec une voix atrocement douce et compatissante !

« Je suppose que vous aviez tous remarqué le changement chez votre camarade Lila. Elle avait beaucoup changé, tant physiquement que moralement. Vous vous doutiez certainement que quelque chose n’allait pas. Nous avons appris qu’elle était battue et violée par son père. Nous avons tenté de faire quelque chose mais elle niait les faits et actes de son père. Ce matin son père a téléphoné à la police pour leur demander d’envoyer les urgences puis s’est suicidé. Votre amie est décédée dans l’ambulance suite aux coups…Qui est Lola ? »

Je levai la main et le Proviseur me tendit une enveloppe. J’éclatai en sanglots et sortis en trombe de la salle.

Voici ce que disait la lettre :

« Chère Lola,

Voici la dernière lettre que je t’écrirai. Cela dure maintenant depuis 3 mois et je n’en peux plus ! J’espère que mon calvaire va bientôt se terminer ! Je suis désolée de ne plus te parler mais je ne veux pas te mêler à ça… J’espère que tu ne m’en voudras pas trop et que tu pourras passer à autre chose…

Je te considérais comme ma sœur, mon pilier, ma béquille. Les deux années passées avec toi furent les plus belles de ma vie ! Pour que tu comprennes je te donne le seul objet qui ait jamais compté pour moi : mon journal. Je ne te l’ai pas assez dit mais je t’aime. Vraiment. Tu es la seule amie que j’aie jamais eue…

Au revoir,

ton amie

Lila ♥

PS : pardonne-moi, s’il te plaît… »

Je sortis de l’enveloppe une petite clef. Elle n’avait pas besoin de me dire où se trouvait son journal, je le savais… Je courus à l’internat et soulevai son oreiller. Je serrai le cahier contre mon cœur et éclatai en sanglots.

Ce jour-là je ne perdis pas seulement une amie, mais aussi une confidente, une sœur… je perdis également mon innocence.

Je pris une décision. Je ne deviendrais pas infirmière, je n’irais pas en Afrique. Je resterais en France et deviendrais psychologue afin que de tels drames ne se reproduisent pas.

Pourquoi aller au bout du monde ?