Le ballon et les rats

Nouvelle écrite par Sarah Fromentarius, étudiante en Ciné Sup à Nantes (44)

Thème : « Les Roms »

 

JEAN

J’ai envie/besoin d’en parler. C’était l’année dernière, ma dernière année de collège. Je lui avais parlé la première fois au cours d’histoire. Pour pas grand-chose, lui emprunter son effaceur. J’imagine que si je ne l’avais pas oublié ce jour-là, je ne pourrais pas vous raconter mon histoire. Son histoire.

Jusque-là je n’avais jamais fait attention à lui, Nicolae. Il était plutôt discret, réservé. Le professeur nous parlait de la Première Guerre Mondiale, des soldats qui partageaient leur quotidien avec la boue des tranchées, des rats omniprésents… J’avais fait une rature sur le mot « rats ». Nicolae me regardait, placide, effacer ce mot ; effacer les « rats ».

On jouait souvent au football pendant les récréations, Nicolae participait comme d’habitude. Enfin c’est ce que j’ai appris plus tard ; c’est étrange comme il était invisible avant que je ne commence à lui parler. Je l’ai aidé à se relever, il m’a adressé un sourire, je le lui ai rendu. J’ai même marqué un but ! Il avait l’air heureux. J’étais loin de me douter de ce qui allait arriver.

 

NICOLAE

C’est la première fois qu’il me parle. Il est le seul. Au football, il continue à s’intéresser à moi. Il m’aide même à me relever ! Nous discutons un peu en sortant de classe, il me dit s’appeler Jean, Jean Dufour. Je me répète son nom pour ne pas l’oublier. Il me parle de foot, de Valbuena et Benzema, ses joueurs préférés. Il s’imagine un jour à leur place. Nous nous disons au revoir à la grille du collège. Il repart tandis que j’attends ma sœur. Maria court me rejoindre. Nous rentrons.

Au camp, nous avons notre maison de fortune, elle tient plutôt bien ! Maman prépare le repas du soir, nous faisons nos devoirs, papa discute dehors avec d’autres hommes du camp. L’un est très animé, l’autre crie, papa les calme. Un rat passe. Maman a un remède contre les rats : son sourire. C’est le plus beau des sourires.

Maria est endormie. Je devrais l’être aussi. Mes parents sont assis au bout de la pièce, éclairés à la lumière d’une bougie. C’est rare qu’ils se disputent de la sorte. Ils font attention pour ne pas nous réveiller. Ce n’est jamais très bon signe. Je m’endors du foot plein les yeux, Valbuena et Jean sur le terrain.

Le lendemain, je retrouve Jean qui est toujours aussi sympa avec moi. J’ai l’occasion de l’aider en mathématiques, pour finir un exercice. Il me renvoie la balle lorsque, jouant au foot, il me la transmet près des cages pour que je marque. Et je marque ! Tous les joueurs m’acclament.

Après les cours, Jean m’invite chez lui pour jouer au foot. Il habite une grande maison pas très loin du collège, nous jouons dans le jardin. Nous travaillons aussi ensemble dans sa chambre, il y a des posters de joueurs sur tous les murs ! C’est impressionnant.

Mes parents acceptent finalement que Jean vienne à son tour chez nous. Ils ont plutôt l’air content à table, mais, comme la veille, ils se disputent la nuit tombée. C’est à cause de moi ? Je ne sais pas.

En classe, nous essayons maintenant de nous mettre côte à côte. J’ai du mal à me concentrer, je repense à mes parents. J’ai du mal à me concentrer, je dois relire plusieurs fois une phrase pour vraiment la comprendre. Au foot, j’ai même loupé une passe ! Jean vient me demander si tout va bien. Je ne sais pas.

JEAN

Nicolae avait l’air bizarre ce jour-là. Il était plus distrait, absent. Le soir, nous sommes allés chez lui avec sa sœur Maria. Je n’étais jamais passé par ces chemins-là. Ils m’avaient prévenu qu’ils habitaient un camp, je n’arrivais pas à m’imaginer à quoi cela pouvait ressembler. En arrivant, je découvrais un terrain avec une multitude de maisons de toutes les couleurs, de tous les matériaux. C’était drôlement beau. Un rat passa et m’effraya, Nicolae rit. Sa mère sortit de chez eux pour m’accueillir avec un grand sourire. Elle était vraiment belle. Elle avait même une surprise pour nous, mais surtout pour lui. Un ballon de football ! Nous avons joué longtemps avec Nicolae et Maria, jusqu’à épuisement. D’autres jeunes nous ont rejoints, nous improvisions des cages entre les maisons. C’est notre équipe qui a marqué le plus de buts ! Nicolae semblait vraiment heureux, je ne l’avais jamais vu aussi souriant.

Je pensais retrouver Nicolae devant la grille du collège le lendemain, mais il n’apparut pas. Peut-être était-il simplement en retard ? Il devait être simplement en retard.

Il n’arriva pas de la matinée. En classe, sa place était vide. Je repensais à son visage inquiet de la vieille. Je me l’appropriai, je le reproduisais.

Je ne pouvais plus tenir. Je devais aller le voir. Dans la cour, les autres jouent au foot, comme d’habitude. La grille est ouverte. Je m’en approche. Un surveillant vient vers moi. Je cours. Je ne fais plus que courir. Je traverse la grille et je cours. Je reproduis le chemin de la veille. Je cours de toutes mes forces. Je ne sens plus rien d’autre que le vent qui me fouette le visage. J’aperçois le campement, des lumières bleutées apparaissent par intermittence.

 

NICOLAE

Ils sont venus tôt ce matin.

JEAN

Mon cœur bat comme jamais. J’ai peur. J’approche en ralentissant, je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce que je vois.

NICOLAE

Alors, j’ai compris.

JEAN

Les couleurs sont à terre. Tout est à terre. Je me dirige discrètement vers la maison de Nicolae qui n’est plus qu’un tas de tôles et d’objets. Les couleurs sont boueuses. Un rat se faufile à travers les gravats.

NICOLAE

J’ai compris que c’était fini.

JEAN

C’est impossible. Ce ne peut être qu’un cauchemar. Sous une tôle, j’aperçois le ballon de foot, écrasé. Ce n’est pas un rêve.

NICOLAE

Il ne me reste rien.

JEAN

Je n’arrive plus à respirer, je ne comprends pas.

NICOLAE

J’ai peur.

JEAN

Où est Nicolae ?