Nouvelle écrite par Madeleine Franchi du Lycée Pergaud de Besançon (25)
Thème : « Géopolitique, sport et droits humains »
« Oh, say, can you see, by the dawn’s early light,
What so proudly we hail’d at the twilight’s last gleaming?
Whose broad stripes and bright stars, thro’ the perilous fight,
O’er the ramparts we watch’d, were so gallantly streaming? »
Cette chanson vient de mon pays natal qui me rejette pour mes racines ; si ma couleur de peau était différente, ma vie aurait été certainement plus belle. Je suis en haut de ce podium face au monde, devant cette foule qui avait crié mon nom : « Tommie jet ! Tommie jet ! Tommie jet ! ». Pendant un moment les gens oubliaient ma couleur de peau et me considéraient comme l’un des leurs.
La tristesse était là, cinq mois après la mort d’un héros qui défendait nos valeurs, nous les noirs. Il avait un rêve : les mêmes droits pour nous et les blancs. Le massacre de Tlatelolco avait monté les gens les uns contre les autres, ils se méfiaient de tout le monde, les jeux n’avaient jamais été aussi sécurisés. Oserons-nous ?
Peut-être allais-je commettre l’irréparable, peut-être que ma carrière allait être détruite et que ma famille en subirait les conséquences. Mais je voulais suivre le combat de cet homme noir qui représentait notre communauté. Le silence envahit le stade, je serrais haut et fort mon poing gauche, pieds nus, la tête basse. Je n’étais plus seul face à ce monde qui nous jugeait sans nous connaître, mon ami Carlos me suivit, il leva son poing droit ganté de noir, comme moi, et baissa la tête. Peter, le second à partager notre gloire, portait un badge : « Je suis avec vous ». L’hymne nous accompagnait nous étions trois face au monde. Le stade était-il contre nous ?
L’hymne terminé, certaines personnes nous huèrent et d’autres nous applaudirent. Ce fut cette première réaction qui nous fit le plus mal. En traversant le stade, je lisais sur certains visages la honte, la gêne, ou la fierté. Autant de jugements sur notre geste. Je ne comprenais pas bien pourquoi tant de gens nous haïssaient. Notre couleur de peau ne faisait pas de nous des gens différents.
La nuit fut courte, notre victoire était signe de joie mais notre geste un signe d’inquiétude. J’avais peur pour mes frères, mes sœurs et ma mère en Amérique. Ma crainte était partagée par mon camarade Carlos qui avait peur des représailles de certains blancs à New York. Cette ville est séparée en plusieurs quartiers : ceux des blancs et les « ghettos » des noirs. La drogue, la prostitution, sont des jobs majeurs dans nos quartiers et le sport est une façon de nous libérer de cette emprise. Pour nous c’était la course.
Rentré à Clarksville, je serrai fort ma famille dans mes bras. Tous m’avaient énormément manqué. Ma mère avait les traits fatigués, elle était inquiète. Elle me serra dans ses bras et me chuchota dans l’oreille : « Je suis fière de toi, mais j’ai peur mon fils, j’ai peur maintenant ». Au dîner, le silence fut notre seule discussion. Mon sommeil fut agité, en fait je ne dormis quasi pas, de peur d’être agressé ou même tué. Puis un cri déchira la nuit. C’était celui de ma mère. Je sortis vite de la maison et ce fut l’incompréhension. Notre maison en devenait honteuse. Des messages, placardés sur nos murs nous disaient de nous en aller, que notre famille était une honte. Ma mère à genoux était en sanglots et criait vers le ciel : « Mon dieu, aidez-nous! Qu’avons-nous fait ? ». Cela me faisait mal de la voir autant souffrir. Cette maison était le travail de toute une vie, et en une nuit notre famille qui était sans problème jusqu’à maintenant était devenue la honte de toute la ville. Tout cela était de ma faute, mais dans les yeux de ma mère je ne lisais pas la haine envers moi, mais tout l’amour qu’elle avait pour notre famille. Contrairement à ces gens qui nous en voulaient, qui avaient honte de nous, elle était fière.
Je pensais à mon ami Carlos qui devait lui aussi souffrir de ce geste. Je n’avais plus de nouvelles de lui depuis les jeux. Les tensions à New York entre les diverses communautés étaient beaucoup plus fortes qu’à Clarksville. Je ne pourrai jamais dire que notre vie fut un enfer. Les tensions avec le temps passèrent et les mentalités changèrent. Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas différents.
Je me fais vieux maintenant, mais cette histoire restera gravée dans ma tête. « Mes enfants battez-vous pour vos idées qui pourront aider ce monde à évoluer vers un monde meilleur. Encore maintenant certaines personnes nous jugent, mais ce monde changera je vous le promets. »
Je pensais à cette image, lui et son ami les pieds nus sur le podium. Quand j’étais petit cette image me faisait rire et maintenant je comprends son message. Papi était le meilleur pour moi, un modèle ; ce furent ses derniers mots avant de s’endormir pour un sommeil éternel.