Nous toutes

Nouvelle écrite par Elsa DELETANG

sur le thème « Manifester, un droit à promouvoir et à protéger »

 

C’est un des principes fondamentaux de toute démocratie de garantir à chaque citoyen le droit d’exprimer son mécontentement. En ce qui concerne le sujet que j’ai choisi, ce n’est pas le mécontentement mais l’indignation qui m’a amenée à me rendre à Paris, place de la Bastille, en novembre 2022. C’est après avoir vu le film « Elle m’a sauvée » que, horrifiée par le déroulement de ce drame réel, j’ai décidé de m’engager pour lutter contre les violences faites aux femmes. Bien sûr, les informations, la presse m’avaient déjà sensibilisée à ces drames quotidiens, mais les images ont été pour moi un électrochoc.

Nous voici rassemblées, les pancartes s’agitent, les cris fusent, la détermination nous galvanise. Ma pancarte est bariolée. J’y ai gravé « Nous toutes », car je suis sœur de toutes ces femmes, ces victimes au long calvaire dont la voix s’est tue après avoir hurlé pendant des décennies.

A côté de moi une femme au visage marqué agite une banderole : « Stop aux violences sexistes et sexuelles, stop à l’impunité des agresseurs« . Mes amies que j’ai contactées pour cette cause incontournable dénoncent avec vigueur : victimes abandonnées par la justice, incapacité des gouvernements, plaintes classées sans suite, politiques qui ne votent pas les lois qui s’imposent, lenteur des procès, sanctions dérisoires. Une femme vêtue d’un survêtement vert fluo rend hommage à Charlotte Dalleau, mère de famille de 49 ans qui a perdu la vie sous les coups de couteau de son ex-conjoint le 6 novembre 2022.

Une autre, les larmes sur son visage, prie pour Eléonore P. tuée à coups de couteau, le 1er janvier 2022, par son compagnon ; les deux plaintes déposées à la gendarmerie n’avaient pas été entendues. La comédienne Judith Chemla défile avec nous, à visage découvert, tuméfié. Les voix gonflent : « Pour Eléonore », « Pour Muriel », « Pour Amélie », « Pour Caroline », « Pour Céline ».

Nous nous arrêtons, la police qui nous écoute est attentive, sans doute prend-elle conscience du rôle déterminant qu’elle a à jouer. Sophia Antoine, une comédienne engagée contre les violences faites aux femmes prend la parole. Elle raconte le combat de Julie Douid qui a subi pendant 12 ans les coups de son conjoint, et que ni les gendarmes, ni la justice n’ont écoutée et qui a finalement été abattue de sang-froid. Elle raconte que seules en 2022, 3 femmes sur 122 ont bénéficié d’une mesure judiciaire de protection. Elle raconte Laura RAPP, véritable rescapée à qui le film  » Elle m’a sauvée » a donné la force d’alerter Twitter, la justice lui ayant tourné le dos. Elle crie son indignation contre la justice qui libère les assassins. Le silence plane sur l’assemblée, les visages sont graves, puis les applaudissements fusent. Nous échangeons nos ressentis, restons encore longtemps groupées, puis nous nous dispersons à regret, plus déterminées que jamais à agir grâce aux réseaux sociaux qui ont permis aux victimes d’être enfin visibles.