Nouvelle écrite par Célia CURSOUX et Kenza LETENDART JOLIOT
sur le thème «Droits acquis : la vigilance s’impose pour les préserver »
Nous ne pensions pas écrire un jour cette histoire que vous pourriez prendre comme « fake news » ou une infox. Mon amie et moi, deux lycéennes plutôt attirées vers tout ce que nous scrollons sur les écrans de nos portables, sommes devenues des personnages d’une histoire complètement folle. Souvent les adultes disent que ces nouvelles technologies sont mauvaises. Et pourtant, cela dépend de leur utilisation.
Alors que nous étions en cours d’histoire, notre professeure nous offrait un film à regarder avant les fêtes de fin d’année. Nous étions toutes heureuses car nous savions que les cours allaient vite passer et nous embarquer vers la «traversée vacances». Lorsqu’elle a évoqué le titre « Simone », nous avons ri à grands éclats ! «C’est quoi Simone ? Waouh ! Le prénom en mode zombie !». En 2060 un prénom pareil ne fait plus partie du calendrier numérique qu’on a tous sur nos écrans ! D’ailleurs, les prénoms sont juste évoqués pour donner des idées aux futurs parents. Simone ! Bon, voyons un peu. Il est des sujets que nous n’évoquons plus. A l’école, une seule morale : courage, volonté et patriotisme. En bref, tout ce que nous faisons ou apprenons est fait par et pour la République. Nous débutons le visionnage du vieux film qui, semble-t-il, avait eu un succès au cinéma d’avant, celui du temps de nos arrière-grands-parents. Mon amie et moi n’accrochions avec rien. D’accord, cette femme a vécu beaucoup de choses en son siècle, mais nous nous disions alors que ce n’était pas le nôtre.
Nos coudes, qui jusqu’à présent supportaient nos têtes, se mirent à glisser lentement sur nos bureaux de lycéennes. Là, nous finissions par nous endormir. A cet instant, nous entendions une voix, plus précisément celle d’une femme. Elle semblait parler sur une tonalité à la fois douce et puissante. Mais nous ignorions de qui il s’agissait. Puis, la voix devint de plus en plus lointaine, comme si nous nous en éloignions. Nous nous sommes regardées un instant sans oser nous dire, l’une à l’autre, le moindre mot mais nos regards semblaient trahir nos pensées. Nous venions de vivre la même chose ou du moins, de faire le même rêve. Nous étions bien en cours lorsque la voix de notre professeure créa comme un séisme à nos oreilles résonnant dans tout le corps. Qu’est-ce qu’il se passait ? Notre enseignante nous expliquait que nous finirions de visionner le film le lendemain. Le présent balaya la scène comme le vent souffle sur un tas de feuilles d’automne.
C’est ce jeudi après-midi que les choses prirent une autre tournure. Notre professeure, Madame Langlois, enclencha le reste du film « Simone ». L’étrange se produisit de nouveau et tout recommença ; nous entendions la Voix féminine de cette dame vêtue de vêtements chics et très classiques, avec un chignon. Nous ne savions pas exactement où nous étions. Ce n’était plus la salle de cours d’Histoire. L’endroit était assez bruyant. Il y avait des voix graves, des voix d’hommes, plus précisément. Nous entendions aussi des personnes tousser et beaucoup d’insultes. C’était une grande pièce feutrée, une salle très grande. Il y avait du rouge, du brun ressemblant à du bois, des sortes de dorures aussi. La salle était à demi ronde et chacun écoutait cette femme, seule devant tous, défendant une cause féminine. Mon amie et moi ne connaissions pas cette cause car nulle part, en 2060 elle n’était évoquée. Il faut dire que nous sommes dirigées uniquement par des hommes. Ma grand-mère nous avait pourtant expliqué que de son temps, il y avait ce qu’on appelait la parité, une sorte d’équilibre hommes-femmes à la direction de notre pays. Nous, nous ne connaissons pas cela. Nos études s’arrêtent à un peu de culture générale, mais pas trop et aux tâches ménagères avec les nouveaux robots dirigés par une Intelligence Artificielle dont nous, les jeunes femmes, seront un jour responsables.
Il n’empêche que mon amie et moi restions figées, face à face, les yeux dans les yeux. Je commence à prendre la parole :
– Tu as entendu ce que j’ai entendu ?
– Dis toujours !
– Les paroles de cette femme ! » Et si nous mettions fin à l’avortement clandestin ? Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement « . A la répéter, cette phrase nous fit froid dans le dos. En 2060 et par les changements de régimes politiques, nous n’avons pas ce droit et l’avortement est clandestin au risque d’en mourir, condamnation à mort comme avant leur seconde guerre mondiale ou à la prison à vie. Le Régime politique de notre pays a pour mission de nous repeupler après le Grand Désastre écologique.
Après ce qui nous est arrivé, nous partons directement chez ma grand-mère. Nous réfléchissons et après quelques minutes, nous tombons d’accord : il faut tout dire à ma Mamie.
– Est-ce que tu connais, euh ! c’est quoi son nom… Ah ! oui, Simone Veil ?
Ma grand-mère nous répond :
– Simone Veil, bien sûr ! grâce à sa volonté de fer, et malgré les refus qu’elle a essuyés, les injures aussi, elle a réussi à faire passer une loi pour légaliser « l’IVG ou interruption volontaire de grossesse »; je ne cesserai jamais d’admirer cette femme.
– Grand-mère, est-ce que tu étais pour ou contre la loi sur L’IVG ?
– Pour : si certaines personnes pensaient que le corps de la femme est fait pour reproduire l’humain ou est au service de l’homme, ce n’était pas mon cas.
– Comment toi et ces autres femmes l’avez vécu ?
– J’étais pour cette loi car de nombreuses femmes ont vécu la peur, la tristesse et le malheur. Beaucoup en sont décédées. Certaines femmes essayaient d’avorter avec un cintre ou un couteau ou de l’aspirine. C’était terrible ! Des femmes violées qui tombaient enceintes, accouchaient d’un enfant non voulu. Et quel avenir pour cet enfant ?
– La vie serait tellement différente si aujourd’hui cette loi était de nouveau appliquée !
Mon amie et moi décidons de prendre note de toutes ces choses terribles et injustes. Les semaines passèrent. Un samedi, nous nous donnons rendez-vous au parc habituel près de nos maisons. Nous nous installons sur un banc et je lui explique ce que ma grand- mère m’a confié, en cachette car c’est un sujet tabou de cette deuxième moitié du XXIe siècle, et pas uniquement dans notre pays mais dans le monde entier ; même dans les pays qui se disaient modernes. Nous échangeons toute la journée toutes les informations recueillies auprès de nos grand-mères, et aussi grâce au film que notre professeure a, finalement, osé nous passer au risque d’être renvoyée. Nous ne pouvions pas nous taire. Il fallait que nos générations sachent ce que des hommes et des femmes aussi nous ont retiré, une liberté fondamentale, un droit qui a fini dans les oubliettes des mémoires.
Le lendemain mon amie eut l’idée de créer des affiches. Sur ces affiches nous écrivons : « Stop à ces massacres ! Rendons l’avortement légal comme au temps de nos grand-mères ! faisons honneur à Simone Veil, Grande Femme du Panthéon, dont le nom a été martelé. Elle qui a tant lutté pour notre liberté par la loi du droit à L’IVG ». Mais nous n’avions pas l’argent pour multiplier les affiches.
Je lui dis :«Tu sais, utilisons les réseaux sociaux pour avertir les femmes, les jeunes femmes du monde entier; l’IA peut traduire dans toutes les langues : utilisons-la intelligemment ».
Énormément de personnes sont avec nous. Beaucoup de gens nous soutiennent, pour une fois que les « likes » sont vraiment utiles. Notre message a fait le tour du monde et personne n’a pu l’arrêter car les États ne se doutaient pas que quelques-unes, quelque part dans le monde aborderaient à nouveau ce sujet. Il est devenu viral.
Nous finissons par écrire un grand message de rassemblement mondial, en prenant en compte les décalages horaires : « Toutes les femmes du monde dans les rues des villes avec une rose fuchsia à la main, les hommes les soutenant sont les bienvenus, entamons une longue marche silencieuse ». Ce fut incroyable, nous vîmes sortir ici et là des femmes, de tous les âges, de toutes les conditions sociales et physiques, des hommes aussi qui entamèrent la Longue Marche de la Liberté de la Femme à disposer de son corps librement et à être prise en charge officiellement par la médecine pour le droit à l’avortement; rendons la loi de Simone Veil de l’autre siècle, possible, à nouveau. Sortons-la de l’abîme où une poignée d’hommes et de femmes l’ont plongée jadis.
Nous savons qu’un droit peut disparaître si nous n’y prêtons pas attention. Si nous détournons nos regards des droits acquis par nos aînés ou nos ancêtres. Tout doit rester en mouvement. Mon amie et moi, cessons de scroller bêtement et apprenons activement. Ma grand-mère nous a dit ceci : «Plus nous en savons dans la vie, moins nous sommes ignorants et plus nos réflexions protègent qui nous sommes et où nous voulons aller. A vous de réfléchir et de trier entre ce qui est essentiel et ce qui est superficiel… ».