Nuée de poussière

Nouvelle écrite par Nina Laine

sur le thème « Accaparement des terres, expulsions forcées : une négation des droits »

 

J’ouvris les yeux. Un rayon de soleil traversa les rideaux et éclaira ma chambre d’une lueur dorée. Aucun nuage ne venait cacher le ciel bleu azur. Je sortis de mon lit et traversai le couloir. Le plancher vermoulu craquait sous la lourdeur de mes pas. Je levai les yeux. Des coulures verdâtres couraient le long des murs d’un jaune passé. Mon immeuble n’était certes pas de la plus grande beauté mais j’avais au moins un toit sur la tête et c’était le principal. Mes parents, épuisés par leur nuit de travail éprouvante, ne se réveilleraient sans doute pas avant onze heures. J’allai à la cuisine pour déjeuner lorsque des coups frappés brisèrent le silence de l’appartement. Je m’avançai à pas prudent vers la porte de bois et regardai à travers la petite lucarne ronde. Un homme se tenait devant. Carrure de rugbyman, crâne dégarni et regard glacé, dénué d’émotion. Cet homme me faisait froid dans le dos. Une voix grave me sortis de ma torpeur.

  • Ouvrez la porte ou je la réduis en miettes !

Je ne répondis rien. J’étais incapable de bouger, les mots semblaient partis, envolés.

  • C’est un ordre !

Sa voix me fit sursauter. Je tendis alors une main tremblante vers la poignée souillée par la rouille. Ce géant était encore plus imposant de face. Il mesurait au moins un mètre de plus que moi, malgré le fait que je sois grand pour mon âge.

– Vous devez quitter cet immeuble immédiatement, dit-il de sa voix rauque. Il doit être détruit la semaine prochaine, pour la construction de la nouvelle mairie.

Cette nouvelle me fit l’effet d’une douche glacée. Je n’eus même pas le temps de répliquer qu’il avait déjà descendu les escaliers, me laissant atterrée, la poignée de la porte entre les mains. Je sentais le sang battre à mes tempes. Le tambourinement de mon cœur résonnait dans le silence pesant de la maison. Je courus jusqu’à la chambre de mes parents. Ils dormaient, serrés, l’un contre l’autre pour se réchauffer. Je n’avais pas le cœur de les réveiller, mais il le fallait bien. Je secouai alors doucement l’épaule de ma mère. Elle émit un grognement puis me regarda de ses petits yeux fatigués.

–  Liam, qu’est-ce-que tu veux ? dit-elle la bouche pâteuse.

– On doit partir. Immédiatement !

Je lui racontai tout : l’homme devant la porte, l’immeuble qui devait être détruit nous obligeant à partir. Ses yeux s’écarquillèrent. Elle sauta du lit et commença à mettre dans des sacs nos maigres biens. Au bout d’une heure tout était rassemblé nous étions prêts à partir. Mais je refusai de m’en aller. Je ne voulais pas laisser ma maison « mourir » je me sentais impuissant. Les larmes commencèrent à monter aux yeux, menaçant de s’écouler le long de mes joues.

  • Allez, viens, tout va s’arranger, dit mon père en m’amenant vers la porte.

Nous fûmes relogés dans un hangar miteux et humide. On puait, on avait faim et soif. Ma vie s’était transformée en cauchemar. Il n’y avait guère que mon meilleur ami pour me consoler.

–  On se vengera t’inquiète pas, dit-il. J’ai vu une affiche sur Amnesty International. C’est une organisation qui aide les personnes comme nous.

Sur ce, il sortit un petit bout de papier. Mon ami n’eut même pas le temps de le déplier que je m’en saisis d’emblée. Son écrit révélait un pur trésor : le numéro d’Amnesty.

            – Amnesty international bonjour, grésilla une voix marquée par cette phrase maintes et maintes fois répétée.

Voyant que je ne disais rien, mon camarade m’arracha le combiné des mains et commença à raconter toute notre histoire. Au bout d’un moment la voix énuméra les droits humains bafoués, par exemple : les droits à un logement convenable, à l’alimentation, à la santé et à la sécurité de la personne.

            – Ces droits viennent de la déclaration universelle des droits de l’Homme mise en place le 10 décembre 1948, continua la voix. Si la situation continue tel quelle, vous risquez de ne plus avoir de logement ni même de quoi vous soigner si vous tombez malade. On essayera d’appeler votre maire, mais rien n’est garanti et cela risque de prendre du temps.

On se regarda. On ne pouvait pas attendre les bras ballants. Il reposa le combiné rouge sur son socle en plastique.

Je montai sur la colline. Mes pieds glissaient sur le sol aride et sec recouvert de multiples sédiments. Mon immeuble resplendissait sous le soleil cuisant de l’après-midi. J’allai le sauver. J’en étais certain. Le plan était simple : l’immeuble n’allait être détruit que le lendemain. Les engins de construction étant sur place, je devais simplement faire en sorte qu’ils ne puissent pas démarrer.

Brusquement, un vacarme assourdissant me percuta les tympans. La poussière soufflée par l’explosion vint s’échouer à ma peau collante de transpiration. Lentement, je me retournai. L’immeuble avait disparu, remplacé par l’horizon infini.

Une tractopelle jaune me regarda d’un regard d’acier, impénétrable.