Joyeux noël

Nouvelle écrite par Margot MAURINA

sur le thème « La grande pauvreté, une violation des Droits Humains »

 

L’horloge de la ville affiche vingt heures, mes yeux se baissent sur mon ventre, c’est la huitième fois qu’il gargouille en trois minutes. Il faut que je trouve quelque chose à me mettre sous la dent et vite. Alors je me mets à marcher, ma maison sur mon dos et je me dirige vers le Bab’s. Le Bab’s c’est un petit restaurant végan, bio et tout le tralala, un restaurant pour ceux qui ont du fric. Je n’ai jamais mis les pieds à l’intérieur, mais derrière le bâtiment je connais bien. A l’arrière se trouve la porte qui mène à la réserve, je l’ai découverte en me faisant pourchasser par un vieux chien qui devait avoir la rage vu la quantité de bave qui dégoulinait de sa gueule. Tout ça pour dire que pour lui échapper j’ai grimpé par-dessus un mur. La chute a été douloureuse car à environ cinquante centimètres de ce mur se trouve un autre mur, celui du restaurant. Je me suis éraflée tout le côté droit et j’ai déchiré mes habits mais au final, rien de grave. Surtout quand on connaît la suite, en me relevant, juste à ma gauche, j’ai vu qu’il y avait une porte en métal, je me suis dit que c’était fermé mais machinalement ma main s’est posée sur la poignée. Et la porte s’est ouverte. Devant moi, une salle remplie de nourriture, je suis restée bouche bée un moment puis j’ai vite ouvert mon sac et je l’ai rempli de tout ce que je pouvais. Et j’ai fui, j’avais trop peur de me faire prendre. Depuis ce jour je n’y suis retournée que deux fois mais uniquement parce que je n’avais pas le choix, je me sens mal de voler. Aujourd’hui je n’ai pris que le strict nécessaire, du pain, du pâté végétal, des petits gâteaux et deux bouteilles d’eau. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de caméra d’ailleurs.

Vivre à la rue c’est loin d’être facile tous les jours, entre la faim constante, la peur de s’endormir et le mépris des passants, l’envie de tout abandonner et de mettre fin à ses jours reste toujours dans un coin de votre tête. Mais moi je vais m’en sortir, et toute seule.

Dans trois jours c’est Noël, mon premier Noël à la rue, mon premier hiver dans le froid. Ces dernières semaines, les températures ont chuté et les premières neiges vont bientôt tomber. Mes vêtements peu épais et mon vieux sac de couchage ne me tiendront bientôt plus assez chaud.

Pour bien profiter de mon repas et pour dormir, je décide de m’installer sous un pont au bord de l’eau. Je change d’endroit toutes les nuits, simple précaution. Le pain et le pâté végétal sont délicieux, cela faisait une éternité que je n’avais pas eu de telles saveurs en bouche. Quarante-cinq minutes plus tard, appuyée contre le mur, les jambes dans mon vieux sac de couchage et ma petite somme d’argent dans les mains j’essaie de m’endormir en faisant abstraction du froid. La douce mélodie de l’eau est si apaisante. Mais je me réveille d’un coup, j’entends des voix, des voix d’hommes. Je n’entends pas grand-chose mais sans les voir je devine qu’ils sont alcoolisés ; grande nouvelle, les hommes alcoolisés qui tombent sur une fille en pleine nuit… Vite, j’essaie de me cacher sous mon sac de couchage pour me cacher avant qu’ils ne me voient mais il est trop petit et se déchire, merde. Mes mains tremblent, je commence vraiment à flipper mais pourquoi ? Pourquoi seraient-ils forcément mal intentionnés ?

Finalement, ils passent devant moi sans même me voir et s’éloignent doucement en laissant derrière eux une forte odeur de whisky. Mon cœur se serre, je sens les larmes monter. J’aimerais tellement me sentir en sécurité et profiter de ma vie. Alors je pleure, sans faire attention à ne pas trop faire de bruit, je pleure jusqu’à ce que je juge bon d’arrêter, et ça me fait un bien fou.

Le soir de Noël des personnes faisant partie d’une association pour aider les sans-abris sont venues au centre-ville pour nous donner des couvertures, des bouillottes et des boissons chaudes. J’ai vu dans le regard des autres gens comme moi le bonheur et l’espoir quand ce fut leur tour. Mais quand ils se sont approchés de moi, j’ai pris mes affaires et je suis partie, j’ai dit que je m’en sortirais seule. Ce n’est pas une pauvre couverture qui va me sauver.

Ça, c’est ce que je me répète en boucle dans ma tête depuis que j’ai refusé leur aide. Je sais au fond de moi qu’une couverture en plus me serait bien utile mais je crois que j’ai trop honte, trop honte d’avouer que j’en ai besoin, de leur aide.

Je me souviens d’une fois où en faisant la manche, une femme s’est approchée de moi pour me donner quelques pièces, et quand elle est arrivée à ma hauteur, elle s’est arrêtée net et m’a regardée stupéfaite. Cette femme je la connaissais, c’était une vieille amie. Je ne lui avais pas reparlé depuis que j’étais à la rue. Alors quand j’ai vu qu’elle m’avait reconnue, je me suis dit qu’elle m’aiderait, parce-que c’est ce que ferait une amie. Mais au lieu de ça elle est restée clouée sur place pendant une éternité puis elle a fait volte-face et s’est éloignée à toute vitesse emportant avec elle ses petites pièces dorées. Après ça je suis tombée de haut, je mentirais si je disais que je n’ai pas été blessée. Ça m’a fait comme un coup de poignard dans le cœur. Comment… comment est-ce possible qu’une fois dans le pétrin les personnes qui vous aimaient ne vous reconnaissent plus et vous fuient ? Sûrement parce qu’elles ne veulent pas de problèmes. C’est à ce moment-là que j’ai dit que je n’avais besoin que de moi pour m’en sortir.

Mais ce soir tout ne se passe pas comme prévu. On est en février et le froid est glacial. Mes mains et mes pieds sont si froids que je ne les sens plus, mon corps ne cesse de trembler et mes dents claquent si fort que j’ai l’impression qu’elles vont se briser.

Je fais tout mon possible pour me réchauffer mais en vain. Mes gestes sont de plus en plus lents, mon corps ne répond plus, non, non, non, pas ça. Mes paupières si lourdes finissent par se fermer pour laisser place au noir complet.

  • Madame est -ce que vous m’entendez ? Madame bougez la main si vous m’entendez.
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  • Est-ce qu’elle va s’en sortir ?
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  • Sa température est en train de remonter et son pouls a un rythme régulier, elle devrait bientôt se réveiller.

Une sensation étrange me parcourt le corps et un brouhaha me transperce les tympans. Je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux mais j’entends des personnes parler autour de moi et de longs bips sonores. Est-ce le paradis ? Je ne sais pas. Quelqu’un m’aurait sauvée ? Je crois que oui. Sans cette personne, je crois que je serais effectivement au paradis mais mes yeux sont ouverts et je sais que je suis en vie.