Nouvelle écrite par Adèle LENORMAND-NOURRY, Lyna RODOT, Wiaam TIZAOUI et Nino PONCET
sur le thème « Vers un accueil équitable de tous les migrants »
On arriva devant la porte du bureau des migrations de la ville, Sadid me donnait la main. Une vieille dame nous accueillit, elle semblait épuisée et inapte à écouter notre histoire. Elle avait un sourire hypocrite et une grise mine. Je savais déjà qu’obtenir nos papiers allait être une rude épreuve. J’aperçus sur une plaquette en métal : « Madame Donné ». Cela devait être son nom de famille. Elle nous installa dans de vieux fauteuils en cuir et nous demanda de raconter notre histoire.
« Nous sommes partis de Lobed il y a vingt jours, à cause de la guerre, qui dure depuis des années. L’homosexualité y est également mal acceptée et les violences envers les hommes comme nous sont nombreuses. La situation était devenue trop dangereuse pour nous. »
La femme resta silencieuse et nous encouragea à continuer.
« Lors de notre voyage, nous sommes passés par Midis puis nous nous sommes embarqués sur un bateau en direction de votre pays. »
Un homme, blanc de peau, les yeux clairs, toqua à la porte, c’était sûrement le prochain rendez-vous qui s’impatientait. La dame nous demanda d’aller attendre dehors et de revenir après. J’étais angoissé. Les quelques minutes qui s’écoulèrent me parurent une éternité. L’homme ressortit enfin, le sourire aux lèvres. La femme nous fit rapidement comprendre que ce n’était pas possible, que notre parcours, nos identités ne nous permettaient pas d’obtenir des papiers.
« Nous sommes jeunes, motivés ! Que voulez-vous de plus ? m’exclamai-je, en colère. Notre vie est en danger ! Vous ne pouvez pas nous renvoyer ! Nous savons que vous accueillez des migrants, certains les accueillent même chez eux, ou leur prêtent des logements ! »
La dame s’énerva : elle n’y était pour rien ! Elle ne faisait qu’appliquer les lois !
Mais quelles lois ? D’autres autour de nous avaient reçu une réponse favorable, pour rester jusqu’à la fin de l’enquête les concernant, au terme de laquelle ils seraient ou non autorisés à rester et, nous, nous étions expulsés immédiatement ? Quelles lois permettaient cela ? Elle pouvait facilement se cacher derrière ses lois, elle savait bien que nous n’allions pas prendre un avocat ! Quelle injustice ! Aurions-nous dû nous blanchir la peau comme le chanteur américain ou nous présenter avec une épouse et des enfants pour avoir une chance ? Ou encore nous couper la barbe et nous raser la tête ? Madame Donné ! Madame Riendonné oui !
Sadid serra ma main et je me calmai. En nous conduisant vers la sortie, la femme nous apprit qu’un bateau partait le lendemain pour reconduire des réfugiés dans leur pays natal. Elle nous laissa avec d’autres demandeurs d’asile déboutés sous la surveillance d’hommes armés.
Nous dormîmes dans une salle, sur des matelas à même le sol, sans couverture. J’avais froid. Au matin, Sadid m’assura qu’il avait vu des rats errer autour des dormeurs… A l’aube, nous embarquâmes sur des bateaux avec d’autres lobodiens, en majorité. Les militaires nous observaient d’un regard noir, glacial. Le trajet devait durer cinq jours ; au bout du troisième, nous fîmes escale dans un pays inconnu afin d’embarquer d’autres migrants. Comme nous ne devions repartir que le lendemain, on nous installa dans un camp à terre. Je fus séparé de Sadid, liste alphabétique oblige. J’avais peur de ne jamais le revoir. Au bout de quelques heures, un homme entra et distribua un verre d’eau à chacun. Il repartit mais un détenu avait discrètement glissé un morceau de carton dans la serrure. La porte automatique ne se verrouilla pas. Sans hésiter, avec d’autres prisonniers, nous nous faufilâmes à l’intérieur du camp. Nous nous dispersâmes. Je voulais retrouver Sadid mais face à des blocs identiques et nombreux, fermés à clé, je compris que ce serait peine perdue. Devais-je renoncer à m’enfuir ? L’idée de revenir en Lobed, d’y être maltraité, battu à mort peut-être, me poussa à escalader les grilles. Sans doute aimais-je ma propre vie plus que Sadid. Des sonneries assourdissantes retentirent à l’intérieur du camp. Mais j’étais de l’autre côté et je courais, courais… Sur le port, je remarquai un bateau qui chargeait des marchandises. Je réussis à me glisser dans une caisse. Je survécus au voyage grâce à l’aide d’un matelot qui, me trouvant, eut la bonté de me cacher dans sa cabine.
Lorsque je fus arrivé à destination, la douane m’intercepta et me conduisit au bureau de demandeurs d’asile. Sur le bateau, j’avais rasé ma barbe, coupé mes cheveux. J’entrai dans le bureau d’un fonctionnaire qui allait décider de ma vie ou de ma mort. Le clone de Madame Donné, la moustache en plus. Je m’inventai une vie : j’étais toujours originaire de Lobed mais cette fois-ci, j’étais fiancé à une charmante jeune fille, je ne croyais plus en Dieu. Il serait peut-être possible pour moi d’obtenir des papiers. Ils ouvraient une enquête. On me tendit un papier sur lequel figurait un numéro : c’était celui d’un bloc, d’une chambre que je partagerais avec trois autres demandeurs d’asile.
J’avais réussi. Et Sadid ? Où était-il au moment où je posais mon sac sur le matelas et serrais les mains de mes compagnons de chambrée. J’étais le même homme que quelques jours auparavant et l’on venait de me donner une chance que l’on nous avait refusée quelques jours auparavant… Désormais, durant toute la durée de l’enquête, je ne serais plus moi-même. Je serais un hétéro, dans la norme, lisse, je me teindrais en blond s’ils le voulaient, porterais des lentilles de contact pour avoir de beaux yeux bleus, je leur ressemblerais en tous points si cela devait les rassurer. J’étais prêt à tout. L’homme assis sur le lit en face du mien avait un magnifique sourire, il était beau, il me faisait penser à Sadid.