Rencontres Plumes Rebelles Nouvelle écrite par Zacharie LEGOFF
sur le thème « Manifester, un droit à promouvoir et à protéger »
Jour 1 Farah:
Encore une… C’est la troisième depuis le début de la semaine. Si une flashball m’atteint encore, je m’écroule au milieu des gens indignés par les agissements de l’État. Les autres participants aux manifestations m’effraient, leurs yeux remplis de rage, leurs voix graves appelant au changement. Mais il le faut bien, nous lui devons au moins ça, elle a tout donné pour que les choses changent, elle est allée jusqu’à donner sa vie afin de se faire entendre. Je pense que depuis qu’elle est morte, tout Téhéran, non, tout l’Iran accorde plus d’importance au renversement qu’à sa vie. Rien n’est fini mais, Mahsa, tu es une héroïne.
Jour 1 Ali :
Je suis à bout. Ces satanés manifestants n’ont pas l’air de comprendre, rien ne changera : c’est comme ça. Mahsa est morte et elle le méritait. Je ne sais pas ce qu’il lui a pris, cette insulte à Dieu, à nous, peuple iranien et musulman, aurait même due être plus réprimandée. La sirène du commissariat retentit, je dois aller remettre une fois de plus des faux-iraniens dans le droit chemin.
Jour 14 Farah:
C’est incompréhensible, comment peut-on être autant inhumain ? Tuer ses semblables sans remords, c’est ce qu’ils font depuis le début et je n’ai pas l’impression qu’ils aient envie d’arrêter. Aujourd’hui je n’en croyais pas mes yeux, nous avons avancé vers le Parlement quand les soldats nous ont piégés dans une rue et ont tiré à vue. Les plus braves d’entre nous eurent le courage d’avancer vers eux et ont essayé de lutter, mais la plupart d’entre nous étaient déjà partis en courant. Cette image ne sortira plus jamais de ma tête, plus je courais, plus les gens avançant à mes côtés se faisaient rares. Une fois arrivée à la fin de la rue, je me retournai et vis des macchabées ou des camarades qui appelaient à l’aide. Quant aux soldats, ils étaient là, ils regardaient les corps gisant dans la rue et paraissaient très calmes, comme si ce qui venait de se passer était totalement normal. Malgré tout, il ne faut pas avoir peur, tous ces confrères sont morts pour que nos vies soient meilleures, comme pour Mahsa, nous devons continuer à nous battre pour eux.
Jour 14 Ali:
Que faut-il faire pour qu’ils comprennent ? Rien ne changera, leurs efforts ne les mèneront pas plus loin. La scène d’aujourd’hui le montre très bien, nous, les vrais Iraniens, ne ressentons aucun mal à tirer sur des gens nous ayant trahis. Et heureusement que nous avons agi ainsi, qu’en aurait été l’état de notre beau Parlement si nous n’avions pas pris les choses en main? Ce genre de démonstration de force devrait nous permettre d’apaiser un peu les esprits et de les dissuader de continuer.
Jour 20 Farah:
C’est phénoménal ! Ils viennent d’annoncer la fermeture de la police des mœurs. On y arrive, progressivement, mais on y arrive, avec tous les efforts qu’on fait, les choses vont changer. Demain je n’irai pas dans la rue, ces 20 jours de lutte m’ont anéantie, je vais simplement rester à la maison et profiter du temps qui passe avec mon mari.
Jour 20 Ali:
Quel coup de maître, annoncer la fermeture de la police des mœurs afin d’apaiser les manifestants, c’est évidemment quelque chose qui fonctionnera et qui nous permettra de respirer un peu, nous les fidèles. J’ai juste envie de pouvoir embrasser mes beaux fils et de rentrer à la maison auprès de ma famille, une famille qui se respecte, une famille qui comprend nos agissements ceux de la police des mœurs, et qui s’en réjouit même.
Jour 26 Farah:
Malgré leur annonce, rien n’est différent, la police des mœurs est toujours là et est restée la même, ça va prendre du temps qu’ils disent.. Demain, si rien ne change, je continuerai à aller dans les rues rejoindre les gens forts qui n’ont pas arrêté. D’autre part, ce temps passé avec ma famille m’a rassurée, le meilleur élément, c’est que j’en ai le cœur net, ils pensent comme moi. Sur la table de nuit de mon mari, j’ai vu un badge de la police des mœurs. Je suis tellement fière de lui, se battre au point de les approcher et de leur arracher leurs matricules, quel homme ! C’est donc pour cela que je ne le vois pas dans les émeutes, il doit être tout devant avec les héros.
Jour 27 Farah:
Je suis retournée manifester aujourd’hui, l’entrain était bien plus grand, ils étaient fous de rages notamment à cause de leurs nombreux mensonges. Il paraît qu’ils en ont attrapé un deuxième et qu’ils l’ont condamné à mort, c’est horrible… Comment peut-on faire cela à des gens se battant pour la simple liberté de vivre ? Comment peut-on tuer les gens rien parce qu’ils pensent différemment de nous, la mort est-elle l’unique solution ? Quand on est pas d’accord avec les gens, doit-on obligatoirement les tuer ? Je ne comprends plus rien, je me demande même s’ils sont encore humains…
17h, Ali est rentré, Farah arrive
En ouvrant la porte elle le surprend en train de se changer mais avec le pantalon de la police des mœurs, elle fond en larmes. En se retournant il la voit brandir une pancarte avec le slogan Femme, Vie, Liberté. Fou de rage, il lui saute dessus et la ligote avant de la livrer lui-même à ses camarades de la police des mœurs.