Eaux Secours !

Nouvelle écrite par Titouan BERHAULT, Paul BÔCHER, Lilou FELIX, Mael NEDELLEC, Ariane TILLMANN et Maiwenn THUAU élèves de 2nde au lycée Simone Veil de Liffré (35) – Professeurs : Mme Camille CHEVALIER et Mme Frédérique COLLET

Papa nous appela, mon petit frère Arnav et moi, pour nous annoncer une bien mauvaise nouvelle.

– Depuis que maman est partie, c’est difficile pour moi de subvenir à vos besoins. Cela va être encore plus dur désormais car je viens de perdre mon travail. Il faudra donc économiser l’eau encore davantage. Il ne nous reste malheureusement que quinze litres d’eau potables pour le mois. Nous devrons limiter notre consommation à un litre par jour.

Je répliquai qu’avec quinze litres, il était impossible de finir le mois en vie. Papa me regarda avec espoir et reprit :

– Inaya, tu es majeure, tu es responsable, je te fais confiance. Tu dois nous aider.
Je regardai mon petit frère qui me suppliait du regard. C’était décidé, il me fallait trouver un travail.

Nous habitions en Jordanie, à Zarka. En ce mois d’octobre 2204, la sècheresse était féroce car les pluies de l’hiver n’avaient pas encore débuté et la terre était brûlée par l’été qui se prolongeait un peu plus chaque année. La ville se composait de trois zones. Une au centre, que j’appelais le «quartier des riches », où vivait et travaillait « l’élite » du pays. La deuxième zone encerclait la première. Elle hébergeait la classe moyenne. La plupart des commerces et des bureaux s’y trouvaient. Enfin, Shomar, mon quartier, se trouvait dans la troisième zone. Elle était pauvre et totalement isolée des deux premières. Shomar contrastait tellement avec les autres que nous avions l’impression d’habiter un autre pays

 

Le lendemain, je me dirigeai, résignée, vers un futur pour l’instant désastreux. L’air des rues brûlantes et poussiéreuses de ma ville me faisaient tousser. Je vis un vieillard accompagné de deux enfants, sur le trottoir, à l’agonie. J’avais la bouche sèche. Le sable avait désormais remplacé l’asphalte des routes. Je peinais à marcher vite dans cette atmosphère aride. Au loin, j’aperçus un pan d’affiche qui battait au vent. Son jaune lumineux s’était fané, au fil du temps et au vent du désert. Mes yeux furent attirés par le mouvement et les grandes lettres noires qui contrastaient sur le fond clair : « DE L’EAU POUR TOUS ! Amnesty International, 4 rue Al Bazatin ». Les mots de l’affiche dansaient encore dans mon esprit, alors même que j’avais tourné la tête et, au lieu de poursuivre ma route vers les immeubles de bureaux et les commerces, je pris la direction de la rue Al Bazatin.

Après vingt bonnes minutes de marche à travers des rues sombres et sales, j’arrivai devant un bâtiment gris et délabré, dont la porte en bois semblait prête à se détacher de ses gonds.

Je frappai.Après quelques secondes, j’entendis un fracas et la porte s’ouvrit. Un vieil homme surgit, il était petit. Ses cheveux grisonnants et ébouriffés, son allure négligée lui donnaient l’apparence d’un savant fou.


– Tu veux quoi !? me dit-il d’une voix peu aimable.
– Je viens à cause de l’affiche…sur l’eau.
Son expression changea soudainement. Les rides de ses yeux se plissèrent un peu plus et une lueur éclaira son regard sombre.
– Rentre, vite !
L’intérieur était sale et malodorant. Je restai planté là, anxieuse, me demandant pourquoi je m’étais aventurée chez ce vieux fou. Il m’indiqua un vieux fauteuil dont le tissu élimé n’avait plus de couleur.
– Alors,tu es venue grâce à cette affiche?
– Oui, j’ai lu : « De l’eau pour tous » alors je suis venue à l’adresse indiquée. J’ai besoin d’eau, tout le monde a besoin d’eau !

Il me regarda un longuement, comme s’il évaluait mon âge, ma force, ou mon courage.

– Comment t’appelles-tu ?

– Je m’appelle Inaya et vous ?

Il ne répondit pas et poursuivit.

– A quoi es-tu prête pour avoir de l’eau, et surtout pour que tout le monde ait de l’eau ? « 

– Je serais prête à tout pour le droit à l’eau.
– Bon, alors maintenant, je peux te répondre. Mon nom est Hassan. Mais les gens m’appellent Aldjadu. Suis-moi ! Ne crains rien !

Je n’étais pas rassurée mais je le suivis quand même.

Il me fit entrer dans une pièce, jonchée de cartes géographiques, de graphiques et de papiers, étalés sur les murs et le sol. Puis, il me tendit un planisphère de la répartition des ressources en eau. J’y vis que la Jordanie était colorée en rouge, signe d’une pénurie d’eau extrême. Il me montra ensuite d’autres cartes et m’expliqua avec patience que rien n’était perdu, que l’eau pouvait être mieux distribuée. En fin d’après-midi, d’autres jeunes gens se joignirent à nous et une véritable réunion de travail se constitua. Certains étaient d’anciens élèves d’Aldjadu, d’autres des voisins, d’autres encore des orphelins. Le vieil homme était comme un grand-père pour eux.

Puis comme le soleil se couchait, je dus rentrer chez moi.


Cela faisait maintenant une semaine, que nous économisions notre eau. Déjà huit litres d’eau utilisés et l’envie d’aider mon pays me rongeait. Je rendais souvent visite à Aldjadu et à ses amis afin d’étudier la situation du pays. J’aimais le groupe que nous formions. Nous nous donnions de l’espoir. Nous avions une idée : l’insurrection.

Pour cela il nous fallait l’aide de la population. Toutes les nuits, nous écrivions sur les murs avec de la peinture, nous confectionnions des affiches : nous voulions que les gens comprennent que leur colère était partagée, qu’ils pouvaient manifestent contre l’État et pourquoi pas se rebeller et le renverser. Grâce au bouche-à-oreille, notre groupe s’était étoffé. Nous étions tous unis pour la même cause : rétablir le droit à l’eau potable en Jordanie.

 

Mon père, trop affaibli pour me réprimander, s’inquiétait de mes virées nocturnes et s’efforçait de me faire confiance. Il fallait agir vite car notre survie dépendait de l’eau. Le cœur de notre action se situait au barrage de Wabilel en bordure de ville. Celui-ci stockait l’eau de Zarka ainsi que d’autres villes en périphérie. Le faire tomber permettrait à toute personne, quelle que soit sa richesse, d’avoir de l’eau. Avec Aldjadu nous avions étudié les plans du site, longtemps. Enfin, nous avions déterminé que lors de la prochaine manifestation, quand les centres de contrôle seraient en train de surveiller la ville, nous nous infiltrerions dans le bâtiment et ouvririons les vannes du barrage. C’était une mission très dangereuse mais essentielle. Le bien commun passait avant tout. Je l’avais compris auprès d’Aldjadu. Lui, pourtant ne souhaitait pas que j’y participe mais j’y tenais plus que tout.

Le grand jour arriva. Avec Aldjadu, nous avions prévu de nous retrouver dans la rue Al Hashimi, qui était proche du barrage. Au moment de dire au revoir à ma famille, je pris mon frère à part.

– Arnav, tu es grand et courageux, ne laisse personne te voler tes droits, c’est pourquoi je me bats, pour que tu puisses avoir un avenir. Je t’aime.

Ses grands yeux ourlés de longs cils noirs me fixaient gravement.

Après l’avoir serré très fort contre mon cœur, je me jetai dans les bras de mon père.Saisie par la peur, je voulais pleurer comme une enfant. Mais il fallait garder mon courage, il n’était pas question s’effondrer maintenant.

– Ma fille, je suis si fière de toi me dit-il. Je vis que son menton tremblait et que ses yeux étaient humides

– Tout ira bientôt mieux, Papa. Ne t’en fais pas.

– Je t’aime ma fille. Ta mère serait certainement fière de toi.

Je pris mon sac, me retournai une dernière fois et m’enfonçai dans la ville.

 

Il y avait du monde dans les rues, ce jour-là. Un foulard cachait mon visage afin que personne ne me reconnaisse. Je vis bientôt Aldjadu au loin. Plus je me rapprochais, plus je pouvais sentir son angoisse. Nous nous mîmes à marcher sans un mot. Nous entendions au loin la clameur des manifestants révoltés.

Les gardiens postés aux alentours du barrage, ne nous virent pas approcher, tant ils étaient occupés par la manifestation. Après avoir longé plusieurs postes de surveillance, nous parvînmes à pénétrer dans le bâtiment. C’est là qu’Aldjadu et moi devions nous séparer. Il irait jusqu’à la salle de surveillance afin de distraire les sentinelles quand je grimperais le long du mur, pour atteindre les vannes extérieures et ouvrir celle qui permettrait l’approvisionnement en eau de notre quartier. Aldjadu me prit dans ses bras et me dit :

– Inaya, c’est moi qui devrais aller où tu vas.

– Non, Adjadu, c’est prévu ainsi. Tu n’es pas assez souple, enfin, à ton âge !

– Tu sais, tu nous as donné l’espoir que nous avions perdu.

Sans plus un mot, il disparut dans le couloir désert et sombre.

 

Alors que je parvenais, en me contorsionnant, en contrebas du barrage, je ne me sentais ni nerveuse ni angoissée.Je n’éprouvais que paix et joie. Demain, les habitants de Zarka auraient de l’eau, qu’ils travaillent ou non. Cette cause pour laquelle je me battais était tellement grande ! Elle me dépassait puisqu’elle concernait tous les êtres humains.

La main sur le volant de la vanne, je regardai mon quartier en contrebas. Demain, Shomar pourrait boire à sa soif. J’inspirai profondément et tournai d’une main ferme le volant. Un bruit sourd résonna. L’eau déferla dans les canalisations. Les flots tumultueux m’emportèrent.