Nouvelle écrite par Léanne TOUAMI, Louis CÉLARIÉ, Martin FROGER, David GIORGI-PERCEVAULT, Paolino GLUCHOWSKI et Armand GRENIER élèves de 2nde au lycée Simone Veil de Liffré (35) – professeurs Mmes Frédérique COLLET et Céline LE FLOCH
La température dépassait 25 degrés. Hourya regarda la montre, seul indicateur du temps qui défilait, elle pointait 8h38. Adil, son père, était impassible mais sa déambulation à travers la pièce trahissait son inquiétude grandissante. Son père lui demanda quand son frère était parti. Mohammed s’en était allé avant le lever de soleil chercher l’eau nécessaire aux tâches journalières. Elle lui répondit que cela faisait quatre heures.
L’eau était vitale. Son père cultivait le qât, une plante traditionnelle gourmande en eau, c’était le seul revenu convenable de la famille, celui de son frère étant faible.
Son père fit soudain volte-face et, d’un regard inquisiteur, demanda pourquoi elle n’était pas en cours. Elle répondit que la tension montait à Sanaa, la capitale et que récemment un camion avait explosé dans le quartier. Il la croyait, Hourya était malheureusement la seule à savoir lire dans la famille, elle pouvait donc comprendre les journaux, et puis, ces évènements étaient récurrents. Hourya n’avait jamais connu autre chose que la guerre ici, au Yémen. Mais, depuis l’assassinat de l’ancien président, les frappes militaires s’intensifiaient, les cadavres s’empilaient et l’indifférence du monde avec. Elle n’avait jamais su expliquer les raisons objectives de ce conflit. Il était interdit d’en parler, mais elle abhorrait les Saoudiens qui lui avaient tout pris, sa mère, l’eau, le bonheur.
Tout à coup, un appel la sortit de ses pensées. Amel se tenait là juste derrière elle :
« J’ai soif, Hourya ! Il reste un peu d’eau ?»
Elle lui servit un verre du précieux liquide qu’était l’eau avec du Lahoh, une galette de blé yéménite. Son père était parti aux champs, elle ne le verrait pas avant le soir. Il reviendrait éreinté comme d’habitude, elle préparerait le dîner et ferait ses devoirs. Une journée somme toute assez banale. Elle n’avait donc plus qu’à tuer le temps en attendant son frère. Elle saisit un livre. Son frère les volait, il travaillait à côté d’une librairie à Sanaa bien qu’il ne sût pas lire. Elle lut Jane Eyre sur la couverture, elle l’avait lu des dizaines de fois déjà car elle adorait la littérature européenne ; son rêve était de se rendre sur le continent occidental, dans les pays de Shakespeare, Dickens, Doyle, Brontë…Ces terres entourées d’eau, ces paysages humides où les seules explosions étaient celles des couleurs au printemps et où on ne fauchait que le blé, pas les vies, la faisaient rêver pour ce qu’elles étaient et pour les hommes qu’elles abritaient. Elle les imaginait à travers les descriptions que les romans lui faisaient vivre page après page. Lorsque qu’elle lisait, l’immersion était complète, elle se voyait sur ces hauts de Hurlevent, le vent glacé lui fouettant le visage et la bruine se déposant délicatement sur sa peau, ou aux côtés de Sherlock Holmes traversant le smog londonien. Parfois, elle était la compagne des larcins d’Oliver Twist et elle filait comme le vent sur les quais de la Tamise et dans le dédale des rues de Londres. Londres, même le nom de la ville résonnait comme une onde de fraîcheur et d’intrigues. Ici, au Yémen, seul le Simoom étouffant l’accueillait au seuil de la porte, prenant rapidement toute la place dans ses poumons, atteignant jusqu’à son cerveau pour y peser comme une enclume brûlante. Aucun brouillard ne s’installait, seule subsistait la chaleur frappant tel un horion et asséchant toute forme de vie. On frappa à la porte, Hourya se ressaisit et alla ouvrir. Un homme se tenait devant elle, grand et ensanglanté. Il la pria de saisir le seau d’eau qu’il lui tendait. Était-ce son frère ? Hourya était bouleversée, qu’était-il arrivé ? Elle l’aida à faire rentrer les seaux en le sermonnant et le questionnant sur l’origine de ses plaies. Il s’assit et lui raconta qu’il avait croisé des membres de Daech qui gardaient le puits. Depuis leur arrivée au pays, ils réquisitionnaient les points d’eau. Ils l’avaient menacé de leurs armes et passé à tabac puis laissé pour mort sur la route. Il avait malgré tout réussi à se relever et continué de marcher pour parvenir à puiser l’eau, tant elle était importante. Hourya était ébranlée mais aussi admirative, il aurait pu et dû revenir mais avait continué pour ramener la précieuse ressource. Sans elle, ils pouvaient à peine tenir deux jours, et encore, en la rationnant. Malheureusement une partie de l’eau rapportée allait servir à éponger le corps ensanglanté de son frère. Elle l’allongea et il la supplia de lui conter une histoire.
Elle réfléchit et choisit un livre qui l’avait marquée quand elle avait commencé à lire. Elle se mit à raconter l’histoire de trois enfants qui, un soir, s’évadèrent de leur maison en suivant un fantôme. Ce dernier les amena sur ses terres où seul l’amusement régnait et où le rire était la langue des enfants. Tous devaient se protéger d’un homme qui voulait les capturer et les empêcher de profiter de leur candeur. Cet ennemi, c’étaient les Saoudiens qui leur volaient leur enfance. Son frère s’était endormi, elle appliqua un torchon sur son front et alla voir sa petite sœur. Amel aussi dormait profondément. Tout était calme. Elle décida d’aller lire dehors à l’ombre, dans son petit locus amoenus.
Il devait à présent faire plus d’une trentaine de degrés. Un jour où elle avait eu accès à internet sur un ordinateur, elle avait pu y lire que le Yémen risquait de devenir l’un des pays les plus chauds de la planète à cause du réchauffement climatique. Les rivières souterraines seraient alors toutes taries. Au cours de son enfance, elle avait vu le soleil griller la terre, les rivières se retirer on ne sait où. Sa cachette se trouvait d’ailleurs près de l’une d’elles. Son père lui racontait qu’avant, on pouvait sauter de rocher en rocher au-dessus de l’eau claire où les gazelles venaient s’abreuver. Ce temps semblait bien loin car il n’y avait plus là qu’un lit de rochers brûlants et une terre craquelée dont les entrailles regardaient le soleil en le suppliant de bien vouloir chauffer moins fort. Elle écarta quelques branches, se faufila à l’ombre et sortit son livre. En un instant, elle fut transportée dans le monde de Jane. Elle se retrouva dans cette maison lugubre qui servait de pensionnat et assista aux sévices que subissait la petite Jane. Elle ne comprenait pas Helen Burns et partageait l’avis de Jane. Quand on subit et que l’on souffre depuis tant d’années comment peut-on concevoir le pardon ? Si son pays sortait enfin de la guerre, faudrait-il s’excuser d’avoir survécu, d’avoir creusé des puits pour subsister ? Pardonner à ces meurtriers qui souillent l’eau, assis sur des collines de Yéménites morts? Hourya bouillonnait.
Après avoir lu, elle rentra, elle vit une voiture qui semblait partir depuis chez elle, c’était étrange, mais quelqu’un pouvait bien s’être perdu. Une fois arrivée, elle aperçut son père, dont le visage était empreint d’une profonde culpabilité. A côté, son frère étouffait des sanglots. Elle chercha Amel du regard mais ne la trouva pas. Elle questionna son père qui lui annonça d’une voix désespérée qu’il n’avait pas eu le choix. Bouleversée et incrédule, elle fila dans la chambre. Elle s’effondra sur le seuil. Adil lui expliqua que cela faisait une semaine que le qât ne poussait plus. L’eau que rapportait son frère n’était plus suffisante, la nappe phréatique sur laquelle ils habitaient était à sec. La situation était similaire à travers tout le pays. Il ne gagnait plus un sou de ses récoltes. Sur la table, de l’argent. C’en était trop pour Hourya qui comprit alors. Elle hurla et partit en courant. Elle ne voulait plus les voir, alors elle courait. Comment avaient-ils pu ? Mais au fond, ce n’était pas leur faute. La seule cause d’où découlaient tous les problèmes qui détruisaient sa vie, c’était l’eau. Elle courait toujours à perdre haleine à travers ce paysage désertique dévoré par la chaleur accablante et la pénurie hydrique. Elle pensait à cette guerre qui les asséchait, à tous ces puits qui nourrissaient d’autres personnes que celles nées sur cette terre. Devant elle, la ville abritait ceux qui, plus malheureux qu’Hourya, mendiaient l’eau. Elle en voulait tant aux autres, ignorants, indifférents au mal qui les rongeait. Alors, sans s’en rendre compte, ses pas l’amenèrent au cyber-café. Et dans une transe fiévreuse, elle écrivit toutes ses plaintes muettes, elle voulait les crier au monde entier. Ses mots se posaient sur l’écran, comme s’ils étaient à leur juste place. Il lui importait peu de savoir si des gens allaient la lire. C’était comme un devoir pour elle de rappeler qu’une ressource vitale avait un impact si grand sur la vie d’un peuple, et comment le manque d’eau les détruisait, les détruirait tous, inexorablement.
* * *
Martin s’ennuie à en mourir, c’est fou comme l’ennui tue un homme. Il pianote sur son clavier, les yeux rivés sur son écran tout en buvant un soda. Il doit monter un documentaire sur l’impact humain du réchauffement climatique. L’envie le quitte peu à peu de poursuivre ses recherches, quand, il ne sait pas vraiment pourquoi, un dernier lien attire son attention : il clique. Puis il lit, lit encore, lit toujours. Une rapide enquête et il la retrouve. Il la scrute longuement, la trouve jolie, même s’il sait ce que cache ce sourire. Elle étudie au Canada, dans le Droit. Elle a quitté le pays le plus aride de la Terre pour celui des lacs, des fleuves et des torrents : est-ce vraiment un hasard ? Il sourit et dit : « Pas d’inquiétude, Hourya, je ferai entendre ta voix. »