Cauchemar

Nouvelle écrite par Roxanne-Lou AMINIAN

élève de 2nde au lycée Julien WITTMER de Charolles

 

3 Octobre 2023

 

Aujourd’hui il pleut, une pluie rageuse et agressive qui fouette le sol et tambourine à la fenêtre. Le jardin me sera encore inaccessible: de longues heures d’ennui en perspective. Je suis à bout. Je n’en peux plus on m’a, on nous a trop demandé. Trois longues années de misères et de sacrifices au nom de la bonne cause, et pour quel résultat ? Une économie nationale et mondiale exsangue, des morts par millions, des vaccins inefficaces et aucune solution. Le Covid-19, lui, n’a pas perdu de temps ; non content de ses victoires passées, il s’est permis même d’évoluer. Maintenant, il détruit tout sur son passage et, délaissant les vieux qui n’existent presque plus, il s’attaque maintenant, sans autre forme de procès, à toutes les classes d’âge. Que je regrette les années Macron : ses fanfaronnades et le Premier Confinement avec ses premiers 100 milliards d’euros injectés dans l’économie, dilapidés en quelques mois, comme les 150 milliards qui ont suivi. C’était le « bon temps », des confinements de luxe où ronronnait encore paisible, l’insouciance de nos vies avec cette certitude parfaitement naïve que nous ne pouvions que vaincre le virus ! Maintenant, tout cela est terminé : c’est le chaos, la détresse et l’injustice avec la faim au ventre et la peur de manquer. Les hommes politiques d’antan, ces aboyeurs professionnels et pourfendeurs de portes ouvertes ont depuis longtemps déjà, et lâchement, abandonné le paquebot France. Notre pays, aujourd’hui en 2023 n’a plus, depuis deux ans de gouvernement. L’armée a pris le relais, faisant de son mieux, c’est-à-dire le pire. Elle gère l’Impossible à coups d’Ordonnances et de Lois d’Exception, qui se succèdent, toutes contradictoires et, pour cela, inefficaces. La mondialisation a bien évidemment implosé et ainsi, chaque pays, à l’affût d’un bouc émissaire, a vilipendé l’Autre et fermé ses frontières…

 

8 Octobre 2023 

Les tempêtes d’automne ont encore frappé, des vents chaque année toujours plus puissants, on a atteint sur les massifs des pointes de 228 km/h. Sur l’ensemble du pays, ce sont des centaines de milliers d’arbres au sol et aussi des centaines de milliers de foyers sans eau, sans électricité, sans aucun moyen de communication et personne pour leur venir en aide.

Aujourd’hui, nous avons dû aller au ravitaillement. Il y a belle lurette que nous n’avons plus d’imprimante, j’ai dû encore une fois recopier à la main l’attestation, sans oublier la date et l’heure à la minute près, c’est épuisant. Prudents, nous avons roulé doucement, ne dépassant pas les soixante kilomètres imposés, épargnant ainsi notre essence, et le risque des 1787 euros d’amende. Comme d’habitude, la ville était morose, les gens maintenant ne sont plus seulement masqués, nous sommes tous dans des sortes de combinaisons de chirurgien, avec visières et couvre-chef, il ne faut surtout pas oublier les gants. Au magasin d’Etat, nous avons présenté notre carnet de rationnement et reçu en non-choix ce qui était disponible, c’est-à-dire pas grand-chose : juste de quoi ne pas mourir de faim. Le militaire en faction devant la porte,  m’a draguée gentiment, et c’est une évidence, j’habite chez mes parents. Il m’a dit aussi en confidence que bientôt nous n’aurons même plus à sortir de la maison : pour économiser l’essence et renforcer la sécurité sanitaire, ce seront les camions de l’armée qui nous livreront, à domicile s’il vous plaît, notre maigre pitance.

 

13 Novembre 2023

Une mauvaise nouvelle : Monsieur Vincent, notre vieux voisin de 75 ans, qui est veuf et qui vit seul, a été arrêté. On l’a surpris la nuit dernière à la sortie de la ferme de Josette, sa grande amie d’enfance. La junte est très stricte pour cela, les personnes âgées, plus que tout autre, sont interdites de sortie. La sentence va être lourde pour les deux amants : s’ils attrapent le Covid, non seulement ils subiront l’interdiction d’une prise en charge sanitaire, mais plus même, ils seront euthanasiés! Dans notre monde aujourd’hui, il ne faut pas oublier de savoir lire en noir sur blanc sur les murs de tous les hôpitaux de France et de Navarre la lancinante devise: « Un Lit, Une Vie », oui mais laquelle?

 

28 Novembre 2023

Voici un poème que j’ai écrit il y a déjà trois ans, lors du Premier Confinement. Trois ans ! Une éternité ! Trois ans et près de quatre confinements… J’ai les larmes aux yeux, j’attendais encore le Prince Charmant et je croyais au Père Noël. Nous étions tous à cette époque confiants en notre suprématie : la Civilisation, notre Intelligence et la Science  ne pouvaient que vaincre un malheureux virus. Je me souviens des braillements de joie des collégiens à l’annonce du Premier Confinement. Nous avons vite déchanté. Maintenant, nous ne chantons plus du tout : nous pleurons, écrasés sous la lourde charge de nos innombrables échecs. Mes larmes coulent sur ce poème qui appartient à un autre monde, le Monde d’Avant.

 

Morte est mon âme sombre:

 

Morte est la campagne verte.

Morte est mon âme sombre.

Confinée, prisonnière de mes erreurs passées,

Je pleure le temps d’antan,

A ma raison brisée…

 

Mes illusions perdues se sont éparpillées,

Dispersées, envolées, elles ne reviendront plus.

Je pleure le temps d’avant, au futur incertain.

Prisonnière désormais d’un temps qui n’est plus mien,

Je tourne et tourne en rond, martelant sur le sol :

Le Do, le Ré, le Mi, Fa aussi et le Sol,

Soudain Las Si Donc, je vacille et chancelle,

Et sur le sol enfin, belle au bois dormant, libre,

J’attends le Prince Charmant sur son grand cheval blanc…

 

Morte est la campagne verte.

Morte est mon âme sombre.

Confinée, prisonnière de mes erreurs passées,

Je pleure le temps d’antan,

A ma raison brisée…

 

Sarah, le 30 Avril 2020, 40éme jour de Confinement.

 

7 Décembre 2023

Hier, le général Aigremont, Commandant en Chef des Armées, a fait un  discours télévisé. Sans détours ni fioritures, il nous a expliqué l’importance pour la Nation que lui, commandant en Chef des Armées, devienne aussi le Commandant en Chef des Français… Laissant ensuite la parole au colonel  De Mauduit, catapulté il y a trois mois Ministre de l’Intérieur, celui-ci nous a annoncé « qu’à partir de dorénavant, » le Général Aigremont aurait pour titre officiel celui de Général Protecteur…  Il m’a fallu plusieurs minutes pour assumer le choc. Général Protecteur… je suis bilingue et j’ai étudié l’Histoire anglaise : notre général protecteur nous rappelle étrangement Olivier Cromwell qui s’investit lui-même en 1653 du titre de Lord Protector. Je n’en croyais pas mes yeux et mes oreilles, j’ai seize ans et j’aurai tout vu.

C’est une révolution ? Non Sire, c’est un coup d’Etat!

 

16 Décembre 2023

Tout à l’heure, j’étais en ligne avec Mathieu, en vidéoconférence. Il était enjoué, peut-être éméché.  Il disait quelques bêtises, et polie, je ricanais. Soudain, l’air solennel, il me dit que je lui manquais et qu’il voulait me voir. Je lui rappelai que c’était impossible. Il me répondit que non, cela il le savait mais que c’était nue qu’il voulait me voir. Je suffoquais, j’étais outrée, pour qui me prenait-il : Sœur Marie-Thérèse des Deux-Orphelines, écartelée sur la croix pour assouvir sur l’autel de ses fantasmes ses basses Passions ? Crétin ! Dans un geste théâtral, je coupai la communication, bloquai ses mails, ses entrées sur mes réseaux sociaux et son numéro de téléphone.

C’est dommage, car finalement, Mathieu je l’aimais bien.       

 

31 Décembre 2023

C’est la nuit du Réveillon. Chacun chez soi, mais nous avons l’Internet pour nous « rencontrer ». Enfin quand je dis rencontrer, il faut être précis : depuis trois ans l’Humanité n’a plus de jambes, plus de bras, elle n’est plus qu’une main sur un clavier qui clique fébrilement l’angoisse de ses incertitudes.

Nous n’avons pas le choix, faute de grives, on mange des merles!

 

5 Février 2024

Une très mauvaise nouvelle, il y a quelques jours, mon application Tous Anti-Covid a révélé que j’ai été en contact avec un cas positif. J’ai été immédiatement convoquée pour un test: il était positif. Confinée dans ma chambre, je suis alors tombée malade, avec tous les symptômes extrêmes du Covid. Le médecin, en vidéo-consultation, a proposé mon hospitalisation. Emu de mon jeune âge, il a conseillé à Maman de préparer un solide dossier à soumettre au Médecin Décideur (celui qui en final décide, en ultime recours, qui sera soigné ou non). Il ne faut rien oublier, mon excellent parcours scolaire, mon brevet avec mention, mes certifications d’anglais, mes premières bonnes notes au lycée, et aussi peut-être le plus important, mon très bon parcours citoyen : pas d’amende pour non-port du masque ou masque mal porté, pas d’amende pour non-respect du couvre-feu et une implication chevronnée dans les Jeunesses du Renouveau National…

J’attends l’ambulance qui doit bientôt arriver. J’ai pris une douche et le miroir me renvoie, pathétique, l’image d’une jeune fille trop maigre, mais surtout désespérée. Soudain, une rage de vivre m’envahit et, sans réfléchir, je vole au miroir trois-quatre photos nue et sans équivoque, qu’immédiatement je transmets sur la messagerie de Mathieu avec ces mots :

 « Dans quelques minutes je serai sur le chemin de l’hôpital, porteuse du Covid-19 et d’un lourd regret. Dès lors, si je ne te revois pas, garde ces photos en souvenir de moi. Si je reviens par contre, je te promets de t’offrir l’original de ces images…

Je t’embrasse très fort. »

Maintenant, je m’habille en pleurant. Toute ma vie j’ai été agnostique, mais aujourd’hui j’ai peur et je prie Dieu pour qu’il me vienne en aide !